Centrafrique – Firmin Ngrebada : « La présence russe n’est pas un problème »

De l’influence de Moscou à la présidentielle à venir, en passant par la puissance des groupes armés et les relations entre Bangui et les chefs de guerre, le Premier ministre centrafricain revient pour Jeune Afrique sur les principaux dossiers face auxquels son gouvernement est confronté.

Le Premier ministre centrafricain, Firmin Ngrebada. © Vincent Fournier/JA

Le Premier ministre centrafricain, Firmin Ngrebada. © Vincent Fournier/JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 3 décembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Il y a six mois, alors qu’il recevait JA à Bangui, le Premier ministre Firmin Ngrebada se disait « optimiste » et « convaincu » d’aller dans la bonne direction. De passage à Paris, l’homme de confiance du président Faustin-Archange Touadéra, en fonction depuis le 25 février, n’a rien perdu de son assurance quand il évoque l’influence de Moscou, les groupes armés ou la prochaine présidentielle.

Jeune Afrique : Les effets des accords de paix dits de Khartoum, signés en février, semblent limités. Faut-il encore y croire ?

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Firmin Ngrebada : Je ne suis pas d’accord : les résultats sont satisfaisants. Le niveau de sécurité s’est amélioré, malgré des regains de violence marginaux. Le dialogue fonctionne, le désarmement est presque achevé dans l’Ouest, et les unités spéciales mixtes de sécurité [éléments de l’armée, rebelles et Minusca] y seront bientôt opérationnelles. Nous allons ensuite passer à une autre région.

Certains groupes armés n’ont-ils pas violé les accords ?

Ils ont libéré une partie des bâtiments administratifs qu’ils occupaient et démantelé certaines barrières illégales. Bien sûr, il reste des faiblesses. Ils avaient pris l’engagement de ne plus effectuer de mouvements de troupes et de ne plus s’affronter, et, récemment, le groupe d’Ali Darassa [Unité pour la paix en Centrafrique] a transgressé ces règles. Mais des efforts ont été faits.

Le même Ali Darassa avait été nommé, à la suite des accords, conseiller spécial à la primature

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Nous avons dû faire des compromis. Mais il n’y a pas de compromission. Je suis certain que la justice passera pour ceux qui le méritent. Avoir été nommé à un poste ne signifie pas qu’il y ait une immunité.

Quelles sont vos relations avec les principaux chefs rebelles que sont Noureddine Adam, Ali Darassa et Sidiki Abass ?

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Nous sommes en contact permanent avec eux pour faire en sorte qu’ils respectent leurs engagements. Il y a quelques jours, j’ai envoyé des ministres à la rencontre de Sidiki Abass [chef du groupe 3R, Retour, Réclamation et Réhabilitation], et il a fait preuve de sa volonté d’aller vers le désarmement dans le Nord-Ouest. Nous obtenons des résultats. Il faut continuer.

Où en est le désarmement de ces groupes ?

Nous partons de loin, on en parlait déjà quand François Bozizé était au pouvoir, mais rien n’avait été fait. Le « grand désarmement » lancé par le président Touadéra en décembre 2017 dans l’Ouest est presque achevé. Le Front démocratique du peuple centrafricain, d’Abdoulaye Miskine, les ex-anti-Balaka, l’Union des forces républicaines fondamentales, les 3R… Tous jouent le jeu. La pression a payé.

Le 19 novembre, Abdoulaye Miskine a pourtant été placé en détention au Tchad…

Il a cherché à créer un groupe armé, ce qui est interdit par les accords. Nous réfléchissons avec le Tchad, qui lui reproche des actions sur son territoire, à la meilleure façon de gérer son cas. Le ministre de la Justice s’est déjà rendu à N’Djamena. Nos juridictions sont prêtes, et nous avons créé une cour pénale spéciale. Mais il me semble qu’Abdoulaye Miskine est aussi accusé de crimes qui relèvent de la Cour pénale internationale [CPI]. Or l’État centrafricain est partie au statut de Rome, et, s’il y a des mandats émis par la CPI, nous y répondrons.

Il n’est pas le seul à avoir violé les accords de paix. Quels rebelles arrêter et quels autres laisser en liberté ?

Ce n’est pas le choix du gouvernement, qui respecte l’indépendance de la justice. Cela dit, nous souhaitons que les rebelles prouvent leur volonté de respecter leurs engagements. Ceux qui ne le feront pas seront sans doute rattrapés par la justice.

Diriez-vous que vous reprenez le contrôle du pays ?

Les services de l’État se redéploient. Les préfets se réinstallent, les forces de sécurité sont présentes quasiment partout. Et les réfugiés ont commencé à rentrer.

Vous devez organiser une présidentielle en décembre 2020. Serez-vous prêts ?

La situation était plus catastrophique en 2015. Les conditions sont réunies pour que nous allions aux élections, et le président tient à respecter les délais constitutionnels. Pour organiser le scrutin, qui aura lieu partout, il nous faut 40 millions de dollars. L’UE a déjà mis 15 millions d’euros sur la table, l’État, 1,2 milliard de F CFA [1,8 million d’euros], et 2,6 milliards sont prévus dans le budget 2020. Quant à la Minusca, elle a le mandat pour soutenir ce processus.

La Minusca est très critiquée, jugée trop peu offensive. Qu’en pensez-vous ?

Quand nous sommes arrivés au pouvoir, il n’y avait pas d’État, pas d’armée. Elle nous a aidés à assurer la sécurité et la stabilité.

La Centrafrique a été au cœur d’un début de bras de fer entre la France et la Russie. Quel rôle Moscou joue-t-il à Bangui ?

Il n’y a pas de dossier russe ! Nos relations avec Moscou datent des années 1970. En Centrafrique, il y a de la place pour toutes les bonnes volontés. La France nous soutient et a un rôle historique, mais la Russie est aussi un partenaire traditionnel.

Avoir des « conseillers » russes à la présidence ne semble pas très « traditionnel »…

Je ne veux pas discuter de ces détails. Et pourquoi ne parler que des Russes ? Des Chinois et des Français travaillent et ont des entreprises en Centrafrique.

Le soutien sécuritaire de la Russie a-t-il une contrepartie dans le domaine minier ?

Toutes les autorisations d’exploitation des ressources naturelles sont accordées avec l’aval du Parlement. À ma connaissance, il n’y en a aucune qui a été accordée à des entités russes, et tout contrat qui n’aurait pas été examiné par les députés serait nul. Attention aux fausses nouvelles !

Ces « fausses nouvelles » semblent avoir affecté vos relations avec la France…

Nos relations sont excellentes. Les présidents Macron et Touadéra se sont encore vus le 11 novembre, et la France a soutenu un allègement de l’embargo sur les armes.

Pourtant, en août, la Centrafrique a été évoquée lors d’une rencontre entre les présidents russe et français. N’est-ce pas le signe d’un malaise ?

Je ne sais pas. Je n’y étais pas.

Vous dressez un bilan sécuritaire satisfaisant. A-t-il permis la reprise de l’économie ?

Le chemin est encore long : nous réglons actuellement les arriérés de salaire de 2002 des fonctionnaires. Mais nous progressons. En 2013, notre croissance était négative et reculait de 37 %. Nous ne disposions que de 85 milliards de F CFA de ressources. Aujourd’hui, notre croissance est de plus de 4 %, et nous avons plus de 120 milliards de F CFA disponibles. Nous avons aussi conclu un accord avec le FMI, ce qui signifie que la gouvernance s’est améliorée.

Faustin-Archange Touadéra sera-t-il candidat à sa réélection ?

Nous en parlerons le moment venu. Aujourd’hui, il a la tête sur les épaules et se consacre au travail qui lui reste à faire.

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