Télécoms : Orange attend son heure en Afrique du Nord
Implanté au Maroc, en Tunisie et en Égypte, le groupe français ne parvient pas à inquiéter les leaders de ces marchés, et sa transformation en opérateur de services piétine… en attendant l’arrivée en 2020 d’Orange Money dans le royaume chérifien.
Lorsqu’il accepte de parler à la presse, les mots d’Alioune Ndiaye sont toujours pesés. « En Afrique du Nord, nous sommes en position de challengers forts dans les trois pays », répond-il à Jeune Afrique lors d’un déjeuner organisé, à la mi-novembre, au Cap, en marge du forum AfricaCom, le rendez-vous annuel des télécoms sur le continent.
« Challengers forts » : avec cette formule rassurante, le directeur général d’Orange Afrique et Moyen-Orient (Omea) espère balayer les doutes quant à la capacité de ses filiales à peser face aux leaders de la zone. Si la croissance y est réelle, il n’en demeure pas moins que deux mondes cohabitent chez Omea. Le premier, situé au sud du Sahara, tire, grâce à plusieurs opérateurs numéro un sur leurs marchés, les résultats de l’entité. L’autre, au nord, offre une situation plus contrastée, avec des « challengers » qui ne parviennent pas à inquiéter les leaders dans leurs pays respectifs.
Le géant des télécoms est implanté dans trois pays sur la rive sud de la Méditerranée : le Maroc, la Tunisie et l’Égypte. La région Afrique du Nord et Moyen-Orient (Mena), qui comprend aussi la Jordanie, enregistre le plus faible revenu par utilisateur (Arpu) du continent – 2,20 euros –, ce qui n’empêche pas le quatuor de représenter un quart du chiffre d’affaires Afrique Moyen-Orient du groupe (5,2 milliards d’euros en 2018 pour 122 millions de clients) et de connaître une croissance de 5 % derrière le groupe Sonatel (6 %) et les pays d’Afrique centrale (7 %), mais devant Orange Côte d’Ivoire (4 %), qui inclut aussi le Burkina Faso et le Liberia, selon les chiffres communiqués par l’opérateur en juin.
À la différence de ses implantations subsahariennes, Orange doit composer, au Maroc, en Tunisie et en Égypte, avec des concurrents, notamment avec ceux détenus totalement ou en partie par les États, qui lui mènent la vie dure et le cantonnent à la deuxième place, voire à la troisième.
L’obtention de la 4G a boosté les résultats en Égypte
Au pays des pyramides, la filiale d’Orange dirigée par Yasser Shaker (660 millions d’euros en 2018) reste, avec 28 millions de clients, le premier marché mobile de l’opérateur devant la France. Mais cette filiale, qui détient 28 % de part de marché, est devancée par Vodafone, et sa contribution a par ailleurs baissé de presque 50 % par rapport à 2016 en raison de la dévaluation de la livre égyptienne.
La marque reste pour le moment cantonnée à une frange plutôt aisée de la population
Le lancement de la filiale mobile de Telecom Egypt (également actionnaire de Vodafone) lui a fait perdre un certain nombre de clients entre 2016 et 2018, mais c’est aussi le cas du numéro trois, Etisalat. « En Égypte, Orange est talonné par l’opérateur émirati, qui profite d’une image plus jeune », observe Denis Martin, associé du cabinet de conseil en stratégie Emerton. Ses résultats décevants sont aussi le fruit d’un passage en 2016 à la marque Orange, jugé raté en interne, et d’une obtention tardive de la licence 4G.
« La volonté était d’attirer les jeunes. Mais la marque, encore perçue comme européenne sur ce marché arabophone et anglophone, reste pour le moment cantonnée à une frange plutôt aisée de la population », confirme un jeune consommateur égyptien. Pour augmenter l’utilisation de data, Orange a décidé de commercialiser dans le pays, en novembre, le nouveau Sanza XL, téléphone mobile d’entrée de gamme compatible avec la 4G.
Dans le royaume chérifien, l’opérateur, piloté depuis 2016 par Yves Gauthier (562 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, 33 % de part de marché), a, lui, fort à faire avec le tout-puissant Maroc Telecom (50 % de part de marché). Dirigé par Abdeslam Ahizoune, l’opérateur historique rend difficile le dégroupage indispensable à ses concurrents pour développer des offres internet par l’intermédiaire de l’ADSL et réplique dès qu’Orange et Inwi, troisième opérateur du marché, proposent des offres séduisantes.
Une accélération pas assez rapide
En Tunisie, la situation du groupe français (202 millions d’euros de CA et 4 millions de clients) n’est pas meilleure. Il n’occupe que la troisième place sur le marché (26 %) derrière le leader, Ooredoo (43 %), et Tunisie Telecom (29,5 %). Orange, qui doit composer depuis son lancement, en 2010, avec la présence de Marouane Mabrouk, l’ex-époux d’une des filles de Zine el-Abidine Ben Ali, comme actionnaire majoritaire, n’a jamais réussi à s’imposer.
« Sa filiale a pourtant face à elle un opérateur historique, Tunisie Telecom, qui n’innove pas et qui doit composer avec un sureffectif patent », juge un analyste. Thierry Millet, le directeur général d’Orange à Tunis, tente d’inverser la tendance. En 2017 et en 2018, il a réinvesti 20 % et 19 % de son chiffre d’affaires. Si la croissance est au rendez-vous (6,7 % de son CA au premier trimestre 2019), celle des concurrents reste cependant supérieure.
Orange est bon quand ses filiales sont dominantes mais il est très mauvais en tant que challenger
Bien que lucide sur les contextes nord-africains, Alioune Ndiaye préfère insister sur le verre à moitié plein, refusant de dresser un constat d’échec : « En Égypte, nous avons pu améliorer notre situation en accélérant sur la 4G, et, au Maroc, les services bancaires seront lancés dans trois ou quatre mois. »
« Orange est bon quand ses filiales sont dominantes mais il est très mauvais en tant que challenger », constate néanmoins un ancien prestataire de l’opérateur.
Contrairement à l’Afrique subsaharienne, où le groupe s’engage dans une stratégie visant à le faire évoluer en opérateur de services en investissant, au-delà de son cœur de métier, dans les secteurs du paiement mobile, de la banque, de l’éducation et de l’agriculture, cette stratégie de diversification apparaît beaucoup plus timorée au Maghreb. Au nord du Sahara, Orange agit davantage au cas par cas, en essayant avant tout de résoudre les points qui bloquent son développement.
Maroc Telecom, un concurrent indétrônable
Dans le royaume chérifien, où Maroc Telecom fait figure d’épouvantail, Orange a accéléré, au cours des derniers mois, le déploiement de la fibre optique pour offrir des connexions internet à des clients à haute valeur ajoutée. « Le parc adressable approche les 300 000 logements, et le FTTH est déployé dans une dizaine de grandes villes », indique Yves Gauthier. Mais la véritable offensive démarrera en 2020 avec le lancement d’Orange Money. L’opérateur, qui vise 6 millions d’utilisateurs d’ici à 2022 ou 2023, doit encore « régler la question de l’interopérabilité entre les banques, les monnaies et les opérateurs », précise Alioune Ndiaye.
« La zone présente certainement un fort potentiel concernant les services financiers digitaux. Mais il reste largement inexploité. La plupart des pays sont toujours en phase d’exploration des modèles, tandis que l’Afrique subsaharienne et l’Asie se penchent sur les services financiers digitaux de »deuxième ou troisième génération » », analyse Sylvain Morlière, responsable des services financiers mobiles chez Sofrecom.
À Casablanca, Orange arrivera après Inwi, la filiale du holding royal Al Mada, qui a lancé Inwi Money en septembre. Mais l’opérateur dispose d’un savoir-faire éprouvé au sud du Sahara, où les services de paiement mobile et la consommation de data devraient rapporter plus de 400 millions d’euros en 2019, compensant largement la baisse des revenus sur la voix. « Le taux de bancarisation est certes plus élevé au Maroc que dans notre zone, mais il n’y a pas de raison que cela ne prenne pas », rassure Mamadou Bamba, directeur général d’Orange Côte d’Ivoire, où le mobile money fonctionne depuis 2008.
Les services financiers représentent 30% du CA de Safaricom
Annoncé à Tunis en 2016, Orange Money n’est cependant toujours pas opérationnel et ne devrait pas l’être avant 2021, selon une source interne. En Égypte, Orange Money a pris la suite de Mobicash, lancé en 2013, à l’époque où le groupe français était associé, au sein de Mobinil, au magnat copte Naguib Sawiris. Mais la croissance de cette offre n’a pas été aussi forte qu’escompté.
En Afrique du Nord, les conditions de marché présentent une certaine singularité
En Égypte, 2 % des plus de 15 ans avaient un compte mobile money en 2017, contre 21 % en moyenne en Afrique subsaharienne, selon un récent rapport de FT Partners Research. Un manque à gagner important pour les filiales nord-africaines puisque les services financiers peuvent représenter plus de 10 % des revenus des opérateurs et même 30 % dans le cas de Safaricom, au Kenya.
« En Afrique du Nord, les conditions de marché présentent une certaine singularité. La bancarisation y est en général plus élevée qu’au sud du Sahara, les établissements postaux occupent historiquement une position clé dans l’inclusion financière, et les modèles réglementaires encadrent strictement les innovations digitales dans le secteur des services financiers », détaille Sylvain Morlière pour expliquer le retard pris sur ce segment par l’ensemble des opérateurs.
Une situation qui n’est pas sans conséquence. L’adoption des services de transfert et de paiement joue un rôle capital dans le développement de nouvelles activités – comme la vente d’électricité, déjà effective en Pologne et à l’étude pour la zone Afrique.
Cependant, Orange reste très attaché à sa présence au sein de cet espace géographique. « Notre implantation au Maghreb est naturelle et comporte un aspect diplomatique », confie même une source interne au groupe. D’ailleurs, l’opérateur ne désespère pas de pénétrer, un jour, le marché algérien, même si la situation actuelle du pays fait sans doute obstacle à toute tentative.
Taieb Belkahia, de la banque aux télécoms
Nommé directeur de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) en décembre 2018 et établi à Casablanca, l’ex-patron de Meditel, réputé proche du banquier Othmane Benjelloun, épaule Alioune Ndiaye dans le pilotage des activités de l’opérateur au Maroc, en Tunisie, en Égypte et en Jordanie.
Ce Marocain est diplômé de l’École de notariat de Toulouse et de l’Institut des hautes études de management de Casablanca. Il a commencé sa carrière dans le secteur bancaire (CIH Bank, puis ABN Amro Bank) avant d’intégrer Méditel (devenu Orange Maroc) en 2001.
La vente d’Orange Niger finalisée
Le 22 novembre, Orange a finalisé la vente de sa filiale nigérienne pour un montant non communiqué. L’acquéreur n’est autre que son actionnaire minoritaire, la société Zamani Com S.A.S., elle-même détenue par Rimbo Invest, du Nigérien Mohamed Rissa, et Greenline Communications, du Malien Moctar Thiam.
Dans un communiqué, l’opérateur français précise que « les services de l’entreprise continueront d’être commercialisés sous la marque Orange pendant une période de transition ». Le groupe, qui a affirmé n’avoir jamais gagné d’argent au Niger, a quitté le pays à la suite d’un redressement fiscal de 22,6 milliards de francs CFA (34,4 millions d’euros).
Dans l’énergie en Jordanie
La stratégie de diversification d’Orange conduit parfois l’opérateur à aller là où personne ne l’attend. Il y a quelques jours, le groupe a inauguré, en Jordanie, trois centrales solaires de 7 MW, 7,5 MW et 22 MW qui lui permettront de couvrir 75 % de ses besoins en énergie.
En août, le groupe français avait obtenu un financement de 35 millions d’euros pour ce projet via la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), la Jordan Kuwait Bank, Arab Jordan Investment Bank (Qatar) et le Fonds pour les technologies propres (Banque mondiale).
Ce n’est pas la première incursion d’Orange dans ce secteur. En Pologne, il distribue de l’électricité à 200 000 clients et pense à développer cette activité en Afrique.
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