Au Nigeria, Lagos devient le nouveau laboratoire de la fintech

Plusieurs start-up nigérianes viennent de lever près de 400 millions de dollars. Les entreprises du secteur veulent faire du pays un tremplin continental.

Dans la mégapole de 20 millions d’habitants, les motards à casque vert ORide (filiale d’OPay, qui a levé 120 millions de dollars) transportent personnes et marchandises. Ici, en août 2019. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Dans la mégapole de 20 millions d’habitants, les motards à casque vert ORide (filiale d’OPay, qui a levé 120 millions de dollars) transportent personnes et marchandises. Ici, en août 2019. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Publié le 5 décembre 2019 Lecture : 5 minutes.

À la mi-novembre, en une semaine, plusieurs ­capital-risqueurs ont investi près de 400 millions de dollars dans des fintechs nigérianes. Tous voient dans ces start-up de réelles possibilités de construire de nouveaux réseaux financiers panafricains. OPay, spécialiste des paiements mobiles fondé par le norvégien Opera – lui-même contrôlé par le milliardaire chinois Zhou Yahui –, a levé 120 millions de dollars auprès de différents investisseurs, dont Sequoia Capital China et SoftBank Ventures Asia, après avoir déjà collecté 50 millions en juin.

Quelques jours auparavant, Visa avait annoncé un investissement de 200 millions de dollars dans le groupe nigérian Interswitch, tandis que la plateforme de paiement PalmPay levait 40 millions de dollars auprès de ses actionnaires chinois, le fabricant de téléphones Transsion et le géant d’internet NetEase.

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Les plateformes d’argent mobile, un marché en pleine expansion

« Les opportunités de croissance dans le domaine des paiements au Nigeria n’ont sans doute pas d’équivalent sur le continent actuellement », estime Segun Agbaje, directeur général de Guaranty Trust Bank, la plus grande banque nigériane par le nombre de clients, pionnière du paiement numérique. « Il y a tellement de potentiel inexploité… c’est un créneau où les utilisateurs augmentent de 20 % à 30 %, mois après mois, voilà pourquoi l’argent afflue », constate le financier.

C’est comme si nous tentions de rattraper une voiture en courant tant les possibilités au Nigeria sont immenses

Enregistrées en quelques jours, ces opérations représentent un tiers de l’ensemble des levées de fonds réalisées l’an dernier par des start-up en Afrique selon les données de Partech Ventures. Opay, Palmpay et Interswitch entendent utiliser cet argent pour se développer en Afrique subsaharienne, où seulement un tiers des adultes détiennent un compte bancaire.

Chacune de ces entreprises aspire à devenir la première société de paiement panafricaine. Atteindre cet objectif demeure néanmoins un véritable défi au regard de la faiblesse des échanges transfrontaliers sur le continent, mais aussi des différents régimes de contrôle des changes et des cadres réglementaires en vigueur. Tous utilisent le Nigeria – la première économie d’Afrique – comme tremplin pour leur expansion.

« C’est comme si nous tentions de rattraper une voiture en courant tant les possibilités au Nigeria sont immenses », estime Mitchell Elegbe, fondateur d’Interswitch, alors que la Banque centrale du géant ouest-africain (CBN) vient d’autoriser les plateformes d’argent mobile – un secteur où le Kenya fait figure de pionnier. Environ 95 % des transactions s’y font encore en espèces, et près de 60 millions d’adultes n’ont pas de compte bancaire, constituant autant de clients potentiels.

il est beaucoup plus facile de commencer ici pour ensuite s’étendre dans d’autres pays

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« En matière de paiements, le marché nigérian est probablement assez grand pour ne pas avoir à chercher ailleurs », juge à ce propos Omobola Johnson, ex-ministre nigériane des TIC, désormais associée au sein du fonds de capital-risque TLcom, dévolu au continent. « Et il est beaucoup plus facile de commencer ici pour ensuite s’étendre dans d’autres pays du continent que l’inverse. »

Interswitch, première licorne africaine, coté au LSE en 2020

Lagos est devenu un hub pour le nouveau secteur financier grâce à Interswitch, qui a conçu la plupart des applications mobiles pour les banques nigérianes, créant ainsi les conditions d’un développement rapide des paiements numériques. Depuis sa création en 2002, la société est devenue un acteur incontournable dans ce domaine. Elle a notamment émis 19 millions de cartes de paiement au Nigeria sous la marque Verve.

Le partenariat avec Visa va nous permettre de reproduire la même chose sur plusieurs marchés en même temps

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Mais si la population du pays est passée, en moins de vingt ans, de 160 millions d’habitants à plus de 200 millions, Mitchell Elegbe confirme qu’il voit désormais au-delà de ses frontières. « Je crois que les possibilités dans d’autres pays africains sont similaires, et le partenariat avec Visa va nous permettre de reproduire la même chose sur plusieurs marchés en même temps. » Interswitch a déclaré des bénéfices après impôts de 23,3 millions de dollars en 2018 contre 15 millions deux ans auparavant.

L’investissement de Visa, qui a acquis 20 % de son capital pour 200 millions de dollars, a permis à Interswitch de revendiquer le titre de première licorne africaine, en prévision de sa future introduction à la Bourse de Londres, attendue au début de 2020.

Autre acteur mondial du secteur, Mastercard mise aussi sur le développement de ces marchés. En mars, il a injecté 300 millions de dollars dans Network International, le plus grand processeur de paiements du Moyen-Orient et d’Afrique, établi à Dubaï, juste avant son introduction au London Stock Exchange (LSE).

OPay joue sur plusieurs tableaux

Fondé en 2018, OPay a adopté un modèle différent, mêlant services de paiement et plateformes de réservation. Ses motards ORide à casque vert sont omniprésents dans les rues encombrées de Lagos, transportant des personnes et des marchandises. L’entreprise s’est également lancée dans la livraison de nourriture avec OFood, et le marketing pour les petites entreprises avec OLeads. Autant d’activités qui alimentent la croissance de la fréquentation de sa plateforme, dont Opay compte étendre la présence à l’intérieur du Nigeria, mais aussi au Ghana, en Afrique du Sud et au Kenya grâce à l’injection de liquidités.

Si OPay a été en mesure d’attirer d’importants investissements, c’est en partie dû à la croissance exponentielle d’entreprises de Lagos qui offrent des services de paiement similaires, créant de nouvelles habitudes de consommation, telles que Paystack et Flutterwave. Ce dernier a son propre partenariat avec Visa et un autre avec Alipay, du géant chinois de l’e-commerce Alibaba, pour offrir des paiements numériques entre la Chine et l’Afrique. Selon Iyinoluwa Aboyeji, cofondateur de Flutterwave et l’un des leaders de la scène technologique lagosienne, l’intérêt des acteurs mondiaux pour les entreprises locales s’explique par un besoin d’expertise dans la réponse à apporter aux besoins des consommateurs.

« Si l’on considère que la moitié de la population active mondiale se trouvera en Afrique au cours des trente-cinq prochaines années, que tous ces gens peuvent donc travailler, gagner de l’argent et bien sûr le dépenser, devenir leur ultime intermédiaire quand ils effectuent des achats constitue une occasion favorable », juge l’entrepreneur.

Transsion offre une vitrine à Palmpay

Arif Chowdhury, originaire du Bangladesh est le vice-président de Transsion © crédit

Arif Chowdhury, originaire du Bangladesh est le vice-président de Transsion © crédit

En 2020, l’application PalmPay sera préinstallée sur trois marques de mobiles appartenant à Transsion (Tecno, Infinix et Itel). Cela représentera 20 millions d’appareils en Afrique.

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