Les « hijabistas », ces fashionistas voilées que les marques de luxe s’arrachent

Alors que les marchés de la mode et de la haute couture dites pudiques sont en pleine expansion, les hijabistas s’affirment comme des ambassadrices du chic.

La blogueuse Ruba Zai (1,1 million d’abonnés sur Instagram) a collaboré avec Dolce & Gabanna et Saint-Laurent. © Ruba Zai/Instagram

La blogueuse Ruba Zai (1,1 million d’abonnés sur Instagram) a collaboré avec Dolce & Gabanna et Saint-Laurent. © Ruba Zai/Instagram

KATIA TOURE_perso

Publié le 11 décembre 2019 Lecture : 4 minutes.

C’est en 2013 qu’est postée, sur les réseaux sociaux, une vidéo intitulée Somewhere in America et dans laquelle on aperçoit des jeunes femmes voilées ultra-lookées prendre la pause, danser, faire du skate ou encore de la moto dans la ville de New York. Vue par des millions de personnes, cette vidéo a donné naissance au mouvement des « hijabistas ».

Depuis, sur les réseaux sociaux et aux quatre coins du monde, nombreuses sont les fashionistas musulmanes voilées – et qui ne portent pas forcément le hijab, lui préférant parfois le turban – à revendiquer le terme, contraction de « hijab » et de « fashionista », au même titre que les « mipsterz » – contraction de « musulman » et de « hipsters » pour la gent masculine.

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Parmi elles, Ruba Zai, jeune blogueuse, youtubeuse et instagrameuse néerlandaise d’origine afghane suivie par 1,1 million d’abonnés sur son compte, hijabhills. En juin 2017, elle a collaboré avec Dolce & Gabanna pour leur collection d’abayas, mais aussi avec Saint Laurent.

Prêt-à-porter et haute-couture sur la brèche

Et que dire de la Britannique Mariah Idrissi, suivie par 90 300 abonnés, toujours sur Instagram, et qui a posé à plusieurs reprises pour H&M. Sans parler des comptes participatifs, comme Hijabista Fashion Style (149 000 abonnés), où des jeunes femmes voilées, stylées et branchées, elles-mêmes suivies par des milliers d’abonnés, prennent la pause devant des boutiques comme Max Mara ou des voitures de luxe et arborent des sacs griffés.

Les hijabistas font le bonheur des enseignes de prêt-à-porter et de haute couture qui proposent des articles de mode dite pudique ou modeste (Oscar de la Renta, Burberry, Tommy Hilfiger, etc.). À l’heure où la France se déchire sur la question du droit des femmes musulmanes à se couvrir les cheveux lors des sorties scolaires, les mondes de la mode et du luxe ne se sont pas laissés embarquer par la polémique. Et pour cause, d’ici à 2023, le marché de la modest fashion (« mode pudique ») pèsera 361 milliards de dollars, contre 270 milliards en 2016, selon le rapport « State of the Global Islamic Economy 2018-2019 – An Inclusive Economy », publié par Thomson Reuters.

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Ce même rapport démontre que les musulmans ont dépensé la somme de 270 milliards de dollars en articles de mode et de luxe en 2017. Premiers pays concernés par ce marché : les Émirats arabes unis, suivis par Bahreïn et l’Arabie saoudite.

Rien d’étonnant donc que l’édition arabe de Vogue fasse poser en couverture des mannequins en hijab, qui, de surcroît, jouissent d’un succès international, comme la Somali-Américaine Halima Aden ou la Britannique Ikram Abi Omar. On ne compte plus les sites de mode destinés aux femmes portant le voile comme hijab-ista.com ou louellashop.com – ce dernier diffusant la marque Louella by Ibtihaj, créée par l’escrimeuse américaine et voilée Ibtihaj Muhammad.

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Détail de la couverture de Vogue Arabia (Avril 2019).

Détail de la couverture de Vogue Arabia (Avril 2019).

Soie et satin

Considérée par Vogue comme l’ambassadrice du hijab de luxe aux États-Unis, l’avocate et blogueuse Melanie Elturk est devenue créatrice de mode en 2010, avec la naissance de sa griffe Haute Hijab, cofondée avec son mari. Établie à Detroit, elle affirme s’être lancée dans l’aventure après avoir souffert, durant son adolescence, du manque de choix en matière de hijabs.

« J’ai passé la plus grande partie de ma jeunesse avec deux horribles hijabs qui me faisaient me sentir tout sauf belle. Les seules options disponibles dans le commerce étaient des foulards, mais ils étaient toujours trop épais et jamais à la bonne taille », a-t-elle notamment confié au média musulman Mizane Info.

Suivie par 277 000 personnes sur Instagram, elle propose sur son site des hijabs en soie, en viscose, en crêpe Georgette ou en satin pour une moyenne de prix allant de 20 à 60 euros. De même, la Tunisienne @AnotherArabGirl (30 400 abonnés sur Instagram) a aussi créé sa marque de hijabs très colorés, The Hijabista by Souha, qu’elle vend directement sur le réseau social.

Les acteurs du luxe qui s’adresse aux hijabistas n’hésitent pas non plus à mettre le cap sur les très riches pays du Golfe tout en gardant un pied en Europe, aux États-Unis ou en Asie. C’est le cas de Ghizlan Guenez, femme d’affaires d’origine algérienne, établie à Londres et à Dubaï et fondatrice de The Modist, plateforme de vente en ligne spécialisée dans les articles de luxe depuis mars 2017.

https://www.instagram.com/p/B5kxgKNDpFr/

Des produits jusqu’à 400 euros

Son public cible : « Toute femme qui veut paraître chic et élégante sans trop en dévoiler. » Celle qui a elle-même financé la création de The Modist, après avoir travaillé pour l’Abraaj Group, société située à Dubaï et spécialisée dans le capital- investissement, a vu en seulement sept mois sa plateforme d’e-commerce passer de la distribution de 75 à 140 marques de luxe. Autant dire que les hijabistas ont largement de quoi « shopper ».

En moyenne, le prix des articles s’élève à plus de 400 euros et les recettes du site proviennent à 50 % du Moyen-Orient, suivi par les États-Unis puis le Royaume-Uni. Le mouvement des hijabistas concerne en premier lieu les « millennials » et n’est en rien figé.

Par exemple, la blogueuse et instagrameuse de 29 ans Ascia Al Faraj (2,7 millions d’abonnés sur Instagram), qui, en septembre, a choisi d’arrêter de se couvrir les cheveux. Celle qui collabore avec des griffes comme Chanel ou Kenzo a argué que dix années passées sous le feu des projecteurs avaient profondément altéré le regard qu’elle portait sur elle-même. Ainsi, pour se retrouver, elle a choisi de laisser ses turbans de côté, quitte à créer la controverse.

Les « burkistas » investissent Instagram

Les blogueuses en burka ou en niqab se fraient aussi un chemin sur Instagram. La plus célèbre d’entre elles, Amy Roko, Saoudienne de 24 ans, cumule près de 1,5 million d’abonnés. C’est une véritable star du web dans les pays du Golfe grâce à ses vidéos humoristiques.

https://www.instagram.com/p/B5nrwWqnAzZ/

On découvre également des comptes comme celui de la blogueuse mode Nada (308 000 abonnés), celui d’Aida Faris (14 300 abonnés) ou encore Beautiful Niqabis (2 238 abonnés). Il existe près de 40 000 occurrences du hashtag « niqabista » sur le réseau social. Les marques ne sont pas en reste, comme Madina Paris (130 700 abonnés), qui propose abayas, capes, jilbabs, gants, etc.

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