Présidentielle en Algérie – Azzedine Mihoubi : « Le changement que je propose ? Aller vers la république des institutions »

Sa candidature à la présidentielle du 12 décembre n’est pas la plus médiatisée, mais l’ancien ministre de la Culture voit sa cote grimper. Il nous détaille son projet pour sortir le pays de l’ornière. Entretien exclusif.

Azzedine Mihoubi au siège du RND, le 3 décembre. © Ryad Kramdi pour JA

Azzedine Mihoubi au siège du RND, le 3 décembre. © Ryad Kramdi pour JA

Publié le 8 décembre 2019 Lecture : 12 minutes.

À l’effervescence de son siège de campagne d’El Achour, à l’ouest d’Alger, Azzedine Mihoubi préfère ce jour-là le calme du QG du parti qu’il dirige, le RND. Le candidat nous reçoit au septième étage, dans son bureau. Dans la salle adjacente défilent les ambassadeurs d’Allemagne, du Royaume-Uni, d’Espagne, des Pays-Bas, de Belgique et d’Arabie saoudite. Vingt minutes d’entretien chacun, puis arrive notre tour.

À chaque question succède un grand silence, puis un sourire, et enfin la réponse. Mihoubi parle à voix basse. Affable, il revendique sa « connaissance de l’Algérie dans sa diversité et sa complexité ». « En période de crise, on en appelle aux intellectuels, car ils sont porteurs d’espoirs », plaide-t-il.

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Est-il cet homme providentiel qui sauvera le pays ? « Le prochain président ne doit pas se concevoir comme tel, et l’Algérie n’a pas besoin d’être sauvée, rétorque-t-il. J’aspire pour ma part à être un dirigeant honnête et performant. »

Jeune Afrique : Vous présentez le profil le plus atypique de cette campagne. Écrivain, poète, homme politique sur le tard… Pourquoi vous engager dans un scrutin compliqué ?

Azzedine Mihoubi : C’est vrai, j’ai un parcours à part, avec près de 40 ans dans la vie littéraire et culturelle. J’ai été journaliste dans la presse écrite, puis à la télévision et à la radio algérienne. Écrivain, avec 47 ouvrages publiés, des pièces de théâtre, des scénarii… Mais je suis aussi un ancien élève de l’École nationale d’administration, avec une carrière dans la fonction publique, jusqu’à ma nomination en tant que secrétaire d’État puis ministre. J’ai toujours été au service de l’Algérie et des Algériens. Et je crois en mon pays.

Être candidat était une évidence ?

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La décision n’a pas été facile à prendre, mais c’est justement parce que le contexte est complexe que je voulais proposer une voie et un programme crédibles. Au-delà de ma personne et de mon parcours, ce qui compte, c’est le projet que je propose. J’estime, en toute humilité, pouvoir apporter des solutions sérieuses et durables aux multiples défis que connaît notre pays, et plus globalement notre région et notre continent. C’est pourquoi je prends 15 engagements et propose dans mon programme plus de 200 mesures concrètes dans les principaux domaines d’avenir.

Rentrons dans le vif du sujet. Vous promettez de moraliser la vie publique et la vie économique. Comment comptez-vous vous y prendre ?

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D’abord, par une lutte implacable contre la corruption, à laquelle doit s’adjoindre une approche plus préventive. Je m’engage à établir un cadre de gouvernance transparent, qui permette aux citoyens de demander des comptes à leurs responsables, nationaux et locaux. Les déclarations de patrimoine des élus et des hauts fonctionnaires seront régulièrement surveillées. Ils auront à signer une charte éthique. Et des campagnes de sensibilisation seront lancées, notamment sur la question des conflits d’intérêts.

Les cent premiers jours de mon mandat seront consacrés à la transformation de notre République

Les cent premiers jours de mon mandat seront d’ailleurs consacrés à la transformation de notre République, pour moderniser le fonctionnement de nos institutions, adopter une nouvelle organisation territoriale et renforcer le rôle du Parlement dans sa mission de contrôle de l’exécutif. L’objectif est aussi de renforcer le rôle des élus locaux pour qu’ils participent de manière proactive au développement.

Une sorte de démocratie participative ?

Vous ne croyez pas si bien dire. Je prévois de créer un portail de consultation en ligne pour que les citoyens puissent réagir à des sujets d’intérêt général et faire des propositions. J’aspire à ce que nos institutions soient à l’écoute des citoyens et entièrement à leur service. Les nouvelles technologies doivent nous permettre de les placer au cœur du dispositif de contrôle de l’action publique.

Les démarches administratives seront simplifiées, ouvrant la voie à une véritable administration électronique, et réduisant de facto la bureaucratie, qui favorise la corruption. Enfin, je veux renforcer les moyens de la justice dans sa lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscale. La coopération internationale nous permettra de récupérer les biens mal acquis, où qu’ils se trouvent.

Le candidat Azzedine Mihoubi lors d'un meeting à Alger, jeudi 5 décembre 2019. © Doudou Toufik/AP/SIPA

Le candidat Azzedine Mihoubi lors d'un meeting à Alger, jeudi 5 décembre 2019. © Doudou Toufik/AP/SIPA

Quid de l’équation financière ? Avec un baril de pétrole autour de 60 dollars et un tissu industriel quasi inexistant, le recours à l’endettement extérieur semble inéluctable…

L’emprunt extérieur ne peut être qu’une voie de dernier recours. Nous sommes marqués par l’expérience amère des années 1990 au cours desquelles notre économie a été asphyxiée par le remboursement de la dette. Grâce à un remboursement anticipé du solde, l’Algérie est aujourd’hui l’un des pays les moins endettés au monde.

J’ai la conviction que l’Algérie peut devenir en une décennie la première puissance économique du continent

Nous avons encore des réserves de change, ainsi que les revenus tirés des exportations d’hydrocarbures. Ce n’est donc pas un problème de ressources, mais d’adéquation avec notre niveau de dépenses. Il s’agit maintenant d’orienter l’investissement public en priorité vers des projets stratégiques pour la diversification de l’économie et la relance de la croissance. J’ai la conviction que l’Algérie peut devenir en une décennie la première puissance économique du continent.

Que proposez-vous ?

J’accorde une place particulière à la route Transsaharienne – qui doit nous relier au reste de l’Afrique – , ainsi qu’au grand port d’El Hamdania [Cherchell] dont nous lancerons enfin les travaux. Ces deux infrastructures seront dynamisées par des zones industrielles, qui permettront d’arrimer l’Algérie au commerce mondial.

Pour l’industrie, je propose un plan ambitieux de développement, dans les filières où nous pouvons être compétitifs : agroalimentaire, électronique, pétrochimie, sidérurgie, textile et industries mécaniques. Je finaliserai également les négociations d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce [OMC]. L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui n’en fasse pas partie.

Pourquoi réussiriez-vous une diversification maintes fois promise, mais jamais réalisée ?

La diversification ne se décrète pas, elle se construit. Si nous ne pouvons agir sur le prix du baril, nous pouvons actionner le levier de la dépense publique. Notre approche doit être rationalisée : en finir avec ces centaines de milliards de dollars injectés dans des projets en attendant d’hypothétiques retours sur investissement, souvent décevants, voire inexistants… Les politiques économiques jusqu’ici ont souvent manqué de cohérence et de coordination.

L’important, c’est de voir loin. Je ne gérerai pas le pays au jour le jour

Pour que l’entreprise, publique comme privée, puisse créer de la richesse et de l’emploi, sans dépendre d’un soutien public, je m’engage à assainir l’environnement des affaires. L’important, c’est de voir loin. Je ne gérerai pas le pays au jour le jour. Un plan « Vision Algérie 2054 », établi par le Conseil national économique et social [CNES], fixera les trajectoires à suivre et les cibles à atteindre à l’horizon du centenaire du déclenchement de la Révolution.

Je nommerai un gouvernement de compétences nationales dont la mission prioritaire sera de redresser la situation économique. Il mettra en œuvre un plan de réformes structurelles pour atteindre l’objectif de 5 % de croissance annuelle. Je compte aussi mettre en place un « super-ministère » de l’Économie qui regrouperait plusieurs départements ministériels : Finances, Énergie et Mines, Industrie, Prospective, Commerce, Économie numérique… Je veux m’entourer d’experts pour accompagner notre plan d’action stratégique à long terme. Enfin, j’engagerai une réforme profonde du système financier pour permettre aux banques de moderniser leur fonctionnement et de jouer leur rôle de stimulation de l’économie.

Azzedine Mihoubi lors d'un déplacement à Beni Slimane, au sud d'Alger, le 19 novembre 2019. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Azzedine Mihoubi lors d'un déplacement à Beni Slimane, au sud d'Alger, le 19 novembre 2019. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Avoir été ministre de la Culture sous Bouteflika est-il un handicap à l’heure où la rue réclame le départ de tous les symboles de l’ancien régime ?

En tant que ministre, j’étais un citoyen au service de l’État, de l’Algérie et du peuple. Les décisions prises ou les documents signés l’ont été au nom de la République algérienne, et pas au nom d’Untel ou d’Untel. J’ai servi dans le cadre des institutions, dans le strict respect de mes prérogatives et des lois. Aujourd’hui, notre pays a besoin de l’engagement de tous ses enfants, sans exclusion et sans stigmatisation. Le « dégagisme » ne constitue pas une voie politique sérieuse. Va-t-on exclure tous les fonctionnaires qui ont travaillé honnêtement pour l’État algérien ?

Ce chantage porte en lui un risque évident pour la stabilité de notre pays et de la région. Plusieurs ministres et Premiers ministres sont traduits en justice, ce qui prouve à ceux qui auraient encore des doutes que nul n’est au-dessus des lois en Algérie. Ceux qui sont poursuivis le sont à titre individuel et rendront des comptes pour tout manquement dans les responsabilités qui leur ont été confiées. Il ne faut pas jeter l’anathème sur tout le monde.

Il n’y a pas que d’anciens responsables qui sont traduits en justice. Bouregaa, Hanoune, Benhadid, les manifestants portant le drapeau amazigh, des opposants à la présidentielle… Y a-t-il des détenus d’opinion en Algérie ?

Les cas évoqués sont très différents et ne peuvent pas être regroupés sous l’unique label de « délit d’opinion », notion qui d’ailleurs n’existe pas dans la loi algérienne… Il n’y a pas de « détenus d’opinion » à proprement parler, mais des personnes poursuivies pour des motifs divers, d’une certaine gravité, qui concernent essentiellement l’atteinte à l’unité nationale et à ses symboles, comme notre drapeau, pour lequel 1 million et demi de martyrs se sont sacrifiés.

C’est l’un des principes du droit : Dura lex, sed lex. En tant que président, je respecterai scrupuleusement l’indépendance de la Justice

La justice s’est prononcée sur certains cas, elle est sur le point de le faire pour d’autres. Je respecte ses décisions. Les voies de recours existent pour ceux qui s’estimeraient lésés. C’est l’un des principes du droit : « Dura lex, sed lex. » « La loi est dure, mais c’est la loi. » En tant que président, je respecterai scrupuleusement l’indépendance de la Justice. Je m’engage à entamer des réformes pour renforcer ses moyens, sa capacité d’action, et garantir son indépendance par rapport au pouvoir exécutif.

Le pays, profondément divisé, a besoin d’être réconcilié. Quelle voie proposez-vous ?

Je ne souscris pas à votre propos. Malgré des divergences sur l’approche politique, nous restons unis et profondément attachés à notre État et à notre système républicain. Il y a quasi-unanimité sur la nécessité de transformer et d’adapter nos institutions, et de réformer profondément l’économie, la justice, notre système social…

Si je suis élu, je le serai par des Algériens qui auront pu choisir librement, par le dialogue, le plus apte à diriger notre nation. Dès le début de mon mandat, j’engagerai un débat national avec l’ensemble des forces politiques et la société civile pour convenir des amendements constitutionnels à engager. Je convoquerai un référendum aussitôt un consensus établi. Si notre réforme est approuvée par le peuple, elle débouchera sur une transformation effective de notre modèle. Je souhaite établir une République exemplaire par son intégrité, sa transparence et la centralité accordée au citoyen.

Azzedine Mihoubi pendant l'interview, le 3 décembre. © Ryad Kramdi pour JA

Azzedine Mihoubi pendant l'interview, le 3 décembre. © Ryad Kramdi pour JA

L’amazighité est-elle toujours une composante de l’identité nationale ?

Oui, c’est l’une des trois composantes de l’identité algérienne, et elle le restera, aux côtés de l’arabité et de l’islam. Ce principe est inscrit dans notre Constitution et ne saurait être modifié. Nul n’a le droit de monopoliser cette identité ou de l’instrumentaliser à des fins politiques et électoralistes. Nous sommes fiers des racines amazighes de l’Algérie et œuvrerons à protéger cet héritage. Je continuerai à promouvoir l’usage de la langue tamazight comme langue officielle, notamment dans le système éducatif.

Les meetings de vos concurrents sont chahutés. Comment se passent vos rencontres avec les Algériens ?

Partout je suis allé, j’ai été accueilli en concitoyen, ami et frère. Je remercie mes sœurs et mes frères de m’avoir reçu dans les différentes régions du pays, je les remercie de l’intérêt accordé à ma candidature. J’ai parcouru des milliers de kilomètres pour animer des meetings dans les grandes villes du Nord et dans plusieurs régions du Sahara, comme Tamanrasset, Illizi, Adrar ou Béchar.

Le développement du Sud est une partie importante de mon programme. J’ai aussi tenu des rencontres avec des organisations de la société civile. J’ai pu aller au contact de mes concitoyens dans des espaces publics. Nous ne partageons pas toujours les mêmes avis – c’est normal en démocratie – , mais j’ai ressenti que nous avions en commun le respect de l’autre, l’attachement sans faille à notre pays et la volonté de construire un avenir radieux pour nos enfants.

Au niveau régional, vous plaidez pour « la poursuite de l’édification de l’Union du Maghreb arabe ». Faut-il saisir la main tendue par le roi Mohammed VI pour normaliser les relations entre les deux pays ?

Le Maroc est un pays frère. Nous ne sommes pas condamnés à nous tourner le dos pour l’éternité, et nous devons œuvrer à établir des relations de confiance et de respect mutuel, dans l’intérêt de nos pays et des relations qui lient nos peuples. Nos liens avec le royaume du Maroc s’inscrivent dans le cadre maghrébin, sur lequel nous souhaitons travailler davantage pour construire l’intégration régionale, notamment économique, avec la libre circulation des personnes et des biens, ainsi que la possibilité de mettre en place un marché commun.

Vous comptez relancer l’intégration régionale ?

La Tunisie vient d’élire un nouveau président, l’Algérie en fera autant dans les prochains jours. C’est peut-être l’occasion d’enclencher une nouvelle dynamique. Si je suis élu, je proposerai l’organisation en Algérie d’un Sommet maghrébin en 2020, qui réunira les gouvernements du Maroc, de la Tunisie, de la Libye et de la Mauritanie. Nous pouvons avancer sur les principaux dossiers d’intérêts communs, comme la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, et le règlement des crises qui secouent notre région, Libye et Sahel en tête.

Le roi Mohammed VI le 20 août 2019, à l'occasion du 66e anniversaire de la Révolution du roi et du peuple. © YouTube/Al Aoula TV

Le roi Mohammed VI le 20 août 2019, à l'occasion du 66e anniversaire de la Révolution du roi et du peuple. © YouTube/Al Aoula TV

Et le Sahara occidental ?

La position algérienne est connue et constante. Je suis fondamentalement attaché au respect du droit international, exprimé par la charte des Nations unies, par les différentes résolutions du Conseil de sécurité et par la résolution 1540 de l’Assemblée générale des Nations unies. Le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est inaliénable et doit pouvoir s’exprimer à travers un référendum sous la supervision des Nations unies.

Nous sommes convaincus que nos frères marocains comprendront tôt ou tard que la politique du fait accompli ne fonctionne pas

La Minurso a été établie pour l’organisation de ce référendum. Ce n’est pas uniquement la position de l’Algérie, c’est celle de la communauté internationale. La question du Sahara occidental est inscrite depuis les années 1960 comme un cas de décolonisation auprès de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies. Nous sommes convaincus que nos frères marocains comprendront tôt ou tard que la politique du fait accompli ne fonctionne pas et ne constitue pas une voie acceptable dans le règlement de cette question.

Concernant les relations algéro-françaises, vous souhaitez « réclamer à la partie française plus d’efforts ». Sur quels dossiers ?

La reconnaissance par l’État français des crimes commis en Algérie durant la période coloniale est un préalable à nombre d’avancées. Je pense également à la restitution des crânes des résistants algériens, conservés en France, à l’ouverture des archives françaises concernant la période coloniale et les essais nucléaires effectués par l’Armée française dans le Sahara algérien.

Nous n’oublions pas non plus la question de la circulation des personnes, avec une nécessaire adaptation des dispositions spécifiques aux citoyens algériens lors de leur séjour en France. La coopération économique pourra connaître un nouvel élan en établissant des projets industriels en coproduction, qui permettraient à chacun de nos pays d’y trouver son intérêt.

Le RND, que vous dirigez depuis juillet, connaît des dissensions. Est-il condamné à disparaître ?

Tous les grands partis connaissent des divisions. Il faut le voir comme un signe de vitalité et de bonne santé démocratique. Le RND est né dans le contexte critique des années 1990 et a su devenir une force politique de premier plan. Nous comptons des militants dévoués sur tout le territoire. Tant que ces militants seront engagés, et tant que notre projet rassemblera une part importante de l’électorat, le RND continuera à être un pôle nationaliste. Le RND n’est donc pas près de s’éteindre. Cela ne nous empêche pas d’évoluer, pour nous adapter aux changements de la société, pour nous ouvrir à des profils issus de nouveaux horizons et pour nous ouvrir aussi aux jeunes.

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