[Tribune] La Tunisie en mal d’idéaux
En Tunisie, la politique obéit à une succession de cycles. Au silence glacial des années sans élections succède le bouillonnement fiévreux des mois précédant les scrutins. La sensation que cela procure ? Celle d’un choc thermique.
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Amine Snoussi
Essayiste, auteur de « La politique des Idées » (Centre national du livre), et militant pour la justice sociale et écologique.
Publié le 12 décembre 2019 Lecture : 3 minutes.
Cette année 2019 a donc vu fleurir de nouveaux labels : Tahya Tounes, Qalb Tounes, Aïch Tounsi, Al-Karama, l’Union démocratique et sociale. Sur 217 députés, 75 sont issus de ces jeunes mouvements ou partis. 34,5 % des élus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sont donc nés à la politique en 2019, illustrant l’incapacité des partis plus anciens à relever le défi de la longévité. D’autres y sont arrivés, comme le parti islamiste Ennahdha, ou le Mouvement du peuple, créé en 2011, qui a participé aux trois élections parlementaires tunisiennes et a fini par obtenir des résultats tangibles cette année avec un sixième rang honorable et 16 élus.
Pourtant, le pari du temps long paie, notamment en matière d’implantation locale, à rebours des coups d’éclat éphémères et du jeu de chaises musicales entre formations clones. Le chef du gouvernement a créé de son côté un nouveau parti calqué idéologiquement sur l’ancien Nidaa Tounes, afin d’en récupérer les déçus. Calcul électoral ingénieux, mais d’une grande irresponsabilité. Le tourisme partisan lie éternellement la politique à une échéance électorale. Il fait primer l’intérêt électoraliste sur les convictions. L’immédiat sur l’immémorial. Le conjoncturel sur le structurel. C’est précisément ce qui empêche une nation de s’inscrire dans une vision séculaire.
Infatigable jeunesse
Les partis qui ont vu le jour ces dernières années ont tout misé sur l’influence et la communication, au détriment de la capacité d’anticipation. À mon sens, le renouvellement de la classe politique permettrait de sortir de l’impasse. Or une partie de la jeunesse est déjà politisée. Elle a pu mesurer, dès 2011, que là où il y a une volonté, il y a un chemin. Par son idéalisme, elle raisonne d’un point de vue du bien commun et non de celui des intérêts particuliers. Inlassable, infatigable jeunesse… Elle seule dispose de l’énergie nécessaire pour politiser l’ensemble des composantes de la population.
C’est bien de cela dont il s’agit, au fond : susciter l’intérêt de tout le spectre social pour la politique. Aujourd’hui, les inégalités économiques et culturelles sont autant de barrières à l’adhésion à un parti. Les inégalités de revenus empêchent de faire de tous les Tunisiens – citadins et ruraux – des militants de la cause commune. Mais ne leur jetons pas la pierre.
Le discours ambiant depuis 2014 vise à convaincre que le pouvoir doit revenir aux plus diplômés, aux plus expérimentés ou aux mieux introduits dans certains groupes. Ce discours a vécu et a été, fort heureusement, enterré par l’échec cuisant du pouvoir exécutif depuis cinq ans. Peut-on faire de la politique sans être bardé de diplômes ? Oui, mille fois oui ! Tout Tunisien est légitime politiquement à partir du moment où il rejette l’individualisme, la recherche de l’intérêt personnel et la corruption, etc.
Remettre l’idéologie au centre du débat
Que les jeunes s’engagent ! Qu’ils remettent l’idéologie au cœur des débats, loin des éphémères têtes d’affiche. Un parti bien charpenté sur le plan intellectuel peut certes mettre du temps à s’installer dans le paysage politique. Cependant, une fois enraciné, il résistera mieux aux bourrasques que tous ses concurrents construits à la va-vite. Encore l’éternel débat entre idéalisme et réalisme, me dira-t-on. Mais, là aussi, le réalisme politique s’inscrit dans un temps court, car il a une analyse statique d’une situation donnée, nécessairement obsolescente au bout d’un certain temps. L’idéal, lui, ne s’éteint que lorsque ses objectifs sont atteints. N’a-t-on pas brocardé les premiers militants écologistes pour finir par rallier leurs combats ?
Le conflit de générations est l’affrontement entre une jeunesse sensible à des idéaux et des aînés réduits à un froid réalisme, non par conviction, mais plutôt par dépit et par la volonté d’obtenir des résultats rapides. En s’investissant dans les partis, la jeunesse se forgera une légitimité nouvelle, qui n’aura rien à envier à la pseudo-« expérience politique » des plus anciens.
À la maturité des hommes politiques, préférons l’engagement durable, le seul qui permette aux partis de résister aux soubresauts de la vie politique. La jeunesse veut être convaincue du bien-fondé d’un combat et non être réduite à une armée mobilisable pour la prochaine bataille électorale. Jeunes de Tunisie, engagez-vous, et vite !
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