Guinée – Fadi Wazni (SMB-Winning) : « Au Simandou, le principal défi est logistique »
De la bauxite au fer : le patron du consortium sino-guinéo-singapourien détaille sa stratégie pour le démarrage de l’exploitation des blocs 1 et 2 du gisement du mont Simandou, obtenus le 13 novembre.
La filière minière en Guinée continue son développement
Le lancement de nouveaux projet renouvelle la carte du secteur minier en Guinée, où la formation de la population à ces métiers progresse. Mais tous les acteurs ne parviennent à établir des relations apaisées avec la population locale.
Fondateur du groupe de logistique terrestre United Mining Supply (UMS), bien établi à Conakry depuis 2002, le Franco-Guinéen Fadi Wazni est à l’origine du consortium entre son groupe, le singapourien Winning Shipping International et l’aluminier chinois Shandong Weiqiao, tous trois coactionnaires de la Société minière de Boké (SMB), dans le nord de la Guinée.
Entrée en exploitation seulement en 2016, cette dernière est devenue sous sa gouverne le premier exportateur de bauxite du pays dès 2017, exportant en 2018 quelque 42 millions de tonnes vers la Chine, quand ses concurrents dans le pays, Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) et Rusal, n’en expédiaient au total qu’une vingtaine de millions de tonnes.
Le 13 novembre, ce même groupement UMS-Winning-Weiqiao a remporté l’appel d’offres sur les blocs 1 et 2 du mégagisement de fer guinéen du mont Simandou, le plus important du continent. Fadi Wazni revient dans Jeune Afrique sur les conditions de cette attribution d’un projet minier emblématique – précédemment aux mains du controversé Beny Steinmetz, accusé de corruption – et qui attend une entrée en exploitation depuis plus de deux décennies, isolé à quelque 900 km à l’est de Conakry.
Jeune Afrique : La plupart des observateurs du secteur étaient convaincus que votre groupe allait emporter les blocs 1 et 2 du Simandou. Y avait-il véritablement match avec Fortescue, qui s’était positionné mais qui ne bénéficiait pas de soutien local ?
Fadi Wazni : Les choses n’étaient pas jouées d’avance, bien au contraire. Nous avions face à nous le numéro un mondial du minerai de fer, le brésilien Vale, qui avait retiré un dossier de candidature – même s’il n’a finalement pas déposé d’offre –, ainsi que le géant australien Fortescue Metal Group (FMG), le 4e de la filière.
Si nous l’avons emporté, c’est parce que nous avons mis les moyens pour répondre le mieux possible aux exigences des autorités, avec une équipe de cinquante personnes travaillant sur le dossier.
Qu’est-ce qui a décidé un groupe tel que le vôtre, actif à Boké dans la filière de la bauxite, à vous positionner sur ce mégagisement de fer, situé à l’autre extrémité de la Guinée ?
Le principal défi pour le faire entrer en production est logistique. Or c’est un domaine où nous excellons déjà
Il y a eu un alignement des planètes qui nous a poussés à candidater. Nous nous sommes intéressés au sujet quand nous avons appris que les blocs étaient retombés dans l’escarcelle de l’État. Pour tout Guinéen, le Simandou, le plus important gisement de fer du continent, est un dossier emblématique. Le principal défi pour le faire entrer en production est logistique. Or c’est le domaine où nous excellons déjà à Boké.
Notre consortium allie les expertises complémentaires de trois partenaires : celles de Winning dans le transbordement et le transport maritime de minerai, d’UMS en matière de logistique terrestre, et la connaissance de Shandong Weiqiao des principaux clients métallurgistes.
Par ailleurs, au moment où cet appel d’offres a été annoncé par les autorités, nous étions déjà en train de faire construire un chemin de fer entre nos nouvelles mines de bauxite de Santou et de Houda [dans la zone de Télimélé] et notre terminal fluvial de Dapilon [près de Boké]. Notre partenaire China Railways Construction Corporation (CRCC), chargé de ce chantier dans le nord du pays, était d’accord pour participer avec nous à la construction des infrastructures ferroviaires et portuaires.
La participation de ce géant chinois du BTP est-elle certaine ?
Le nom de CRCC – qui est l’un des rares capables de bâtir le Transguinéen, voie ferrée de 800 km – est cité dans notre réponse à l’appel d’offres, ainsi que l’enveloppe globale – de 5 milliards de dollars sur les 8 milliards de la phase 1 – que nous comptons lui attribuer pour le chantier. Pour le moment, il s’est engagé, après avoir étudié très sérieusement les choses.
Le trajet du chemin de fer est-il peu ou prou le même que ceux envisagés par Rio Tinto, actionnaire majoritaire des blocs 3 et 4 du Simandou depuis 1995, ou par Vale, auparavant actif sur les mêmes blocs que vous ?
Il n’y a pas de surprise. Les études menées par CRCC aboutissent logiquement aux mêmes conclusions que celles des autres grands groupes impliqués sur le gisement du Simandou. L’itinéraire de la voie ferrée envisagé par CRCC est à peu près le même que ceux proposés par les équipes de l’anglo-australien Rio Tinto et ses partenaires. Quant à la presqu’île de Matakong, où doit être installé le port minéralier, elle faisait déjà partie des sites portuaires envisagés.
Extraire de la bauxite n’est pas la même chose que se lancer dans un projet de fer, beaucoup plus complexe, notamment pour un groupe comme le vôtre, inexpérimenté en la matière. Comment vous êtes-vous assurés de détenir les compétences extractives ?
En recrutant les meilleurs. Nous avons des contacts au plus haut niveau avec des partenaires sud-africains reconnus en matière de minage. Pour l’extraction comme pour les autres composantes du projet, nous faisons travailler des experts : le canadien WSP [anciennement Louis Berger] pour les questions environnementales ; le cabinet français August Debouzy pour les questions juridiques ; avec PwC pour notre business plan ; ou encore Total pour les questions d’approvisionnement en carburant…
Quelle sera la structure chargée de l’exploitation des blocs 1 et 2 du Simandou ?
Celui qui réussit le démarrage du Simandou aura nécessairement un poids important dans l’économie
Une nouvelle société, avec un autre nom que SMB, va être constituée, et la convention sera à son nom, ainsi que cela est prévu dans le cahier des charges de l’appel d’offres. Concernant les partenaires, ce sont les mêmes que ceux de notre consortium pour Boké, avec la même répartition au capital : le singapourien Winning, avec 45 % des parts, le guinéen UMS avec 30 %, et enfin le chinois Shandong Weiqiao avec 25 %. Nous travaillons en confiance depuis plusieurs années et sommes capables de nous décider rapidement, ce qui est crucial pour un projet de cette envergure.
Les dirigeants de cette société pour le Simandou seront-ils les mêmes que ceux de la SMB ?
Cette société aura son propre management et son personnel. Mais il y aura nécessairement un comité de suivi des activités de ce projet, qui comprendra des dirigeants actuels de notre consortium, les plus impliqués sur l’appel d’offres. J’en ferai partie, ainsi que Frédéric Bouzigues, le directeur général de la SMB, mais aussi Ismaël Diakité, notre coordinateur général, qui a déjà une expérience dans la région du Simandou puisqu’il a été directeur général de Rio Tinto pour la Guinée.
Comment les deux compagnies du même consortium, la SMB et la nouvelle société minière du Simandou, vont-elles pouvoir s’appuyer ?
Sur le plan financier et bancaire, les flux de trésorerie de la SMB vont nous permettre d’appuyer le projet du Simandou, puisque les deux projets sont menés dans le même pays, utilisant la même monnaie. Concernant l’approvisionnement, nous allons profiter de nos bateaux qui viennent chercher le minerai – de bauxite aujourd’hui, de fer demain – pour importer une partie des équipements à moindre coût.
Winning a mis en place la seule ligne directe entre l’Afrique de l’Ouest et la Chine, sans escale ! Enfin, il y aura nécessairement des transferts de compétences en matière de logistique ferroviaire et maritime entre nos deux projets.
Les autorités guinéennes vous ont-elles encouragés à vous intéresser au fer du Simandou ?
Disons plutôt qu’elles ne nous ont pas découragés. Nous bénéficions auprès d’elles de notre démarrage réussi à Boké, grâce à notre logistique qui a fait ses preuves.
Après la SMB, premier exportateur de bauxite du pays, vous devenez pilote d’un autre mégaprojet minier guinéen, dominant le secteur extractif du pays. Conakry pourra-t-il vous refuser quelque chose ?
Un projet comme le nôtre est conventionné et observé à l’échelle nationale et internationale par les différentes autorités mais aussi par des ONG. Notre consortium a d’ailleurs vocation à s’internationaliser. Peu importe l’opérateur, celui qui réussit le démarrage du Simandou – qui représente au total 15 milliards d’investissement dans un pays au PIB de quelque 11 milliards de dollars – aura nécessairement un poids important dans l’économie. Cela nous donne une responsabilité mais pas de passe-droits.
Concernant le soutien de la classe politique, je n’ai pas non plus d’inquiétudes
Êtes-vous inquiet de la situation politique à Conakry, marquée par plusieurs manifestations de l’opposition, à l’approche de la présidentielle ? Dans quelle mesure avez-vous le soutien de l’ensemble de la classe politique ?
Cela fait plus de vingt-cinq ans que je suis installé à Conakry, je ne suis pas inquiet. La Guinée est une jeune démocratie. Il y a des soubresauts, mais les institutions fonctionnent. Notre projet au Simandou est de longue haleine et intéresse les Guinéens de tous bords. Cela fait des décennies que les Guinéens attendent que leur pays prenne sa part au marché du fer. Le Transguinéen aura un impact massif sur l’économie, bien au-delà de la seule activité minière.
Concernant le soutien de la classe politique, je n’ai pas non plus d’inquiétudes. Pour l’anecdote, sachez que nous avons déjà discuté de trois conventions avec l’Assemblée nationale actuelle : celles touchant à l’exploitation des mines de Santou et de Houda, du chemin de fer et de la raffinerie attenante. Nous avons échangé avec les députés de tous bords, et elles ont été ratifiées à l’unanimité, sans abstention, donc avec les voix des députés de l’opposition.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Nous espérons signer la convention dans les prochaines semaines. La ratification par l’Assemblée nationale dépendra du calendrier politique, que nous ne maîtrisons pas. Quant à la date d’entrée en exploitation, nous visons 2025.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles