« It Must Be Heaven » : Elia Suleiman, le Tati palestinien
Avec « It Must Be Heaven », délicatement absurde, le réalisateur Elia Suleiman montre qu’il est possible de traiter des sujets les plus graves avec humour et légèreté.
« C’est un réalisateur palestinien, mais ses films sont drôles » : voici ce que déclare, dans un bureau new-yorkais, un homme (Gael García Bernal, jouant son propre rôle) pour présenter à une productrice le cinéaste qui l’accompagne, un certain E.S., à la recherche d’un financement pour son prochain film.
Comme s’il était à coup sûr impossible d’être à la fois palestinien, donc condamné à souffrir du terrible sort réservé à sa terre natale, et drôle. Eh bien, Elia Suleiman, puisqu’il s’agit bien sûr de lui, démontre une nouvelle fois, avec It Must Be Heaven, que c’est tout à fait possible. Et que c’est même l’essence de son cinéma : apparaître à l’écran à la fois on ne peut plus palestinien et on ne peut plus drôle.
Burlesque
On attendait depuis dix ans un nouveau long-métrage du plus connu et du plus talentueux des cinéastes palestiniens et on n’est pas déçu. Le scénario du film tient en très peu de chose. Un réalisateur de Nazareth quitte la Palestine pour aller rechercher à l’étranger, à Paris puis à New York, un financement pour son prochain long-métrage.
Il va se heurter dans les deux cas à un échec, car ses interlocuteurs lui font savoir que son scénario « n’est pas assez palestinien », autrement dit pas assez politique et guerrier au premier degré pour pouvoir être lancé comme le film de combat que se doit d’être tout film proposé par un Palestinien. Mais peu importe cette histoire qui n’est bien sûr qu’un prétexte, bien choisi il est vrai, permettant à Elia Suleiman de promener son visage et sa démarche lunaires, à la Buster Keaton ou à la Jacques Tati selon les scènes, aussi bien dans son pays occupé qu’ailleurs dans le monde.
Car, on l’a compris, si Elia Suleiman est drôle, ce n’est pas parce qu’il fait rire, encore que ce soit souvent le cas, mais parce que son cinéma est burlesque, décalé, poétique ou absurde. Comme il l’est lui-même, omniprésent mais toujours silencieux à l’écran, jamais démonstratif par la parole, mais seulement par ses regards ou son air de clown triste et sa faculté à observer ou à vivre des situations incongrues. Dans l’univers de Suleiman, ce sont les passagers de l’avion qui souhaitent la bienvenue en France aux hôtesses de bord et non l’inverse ; les New-Yorkais partis faire leurs courses se promènent tous avec des armes de guerre ; on demande aux SDF si, pour le repas qu’on va leur offrir, ils préfèrent du poulet ou du poisson ; les éboueurs jouent au golf dans la rue, etc.
Vision du monde
Comme le dit le cinéaste, auteur rare de quatre longs-métrages depuis 1996 : « Si dans mes précédents films la Palestine pouvait s’apparenter à un microcosme du monde, mon nouveau film tente de présenter le monde comme un microcosme de la Palestine. » Une vision désespérée, mais originale et comique, de l’état de la planète et de celui de la Palestine qui nous vaut un très beau film – les images sont superbes – qu’ont su récompenser les jurés du dernier festival de Cannes, où It Must Be Heaven a obtenu une mention spéciale au palmarès.
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