Sénégal : avec Diamniadio, Macky Sall saura-t-il déjouer les aberrations urbanistiques de Dakar ?

Le président Macky Sall s’est lancé dans une course contre la montre pour construire le nouveau pôle urbain de Diamniadio avant la fin de son second mandat. Mais les concepteurs du projet devront éviter de reproduire les erreurs qui ont rendu la capitale difficilement vivable.

Place Soweto, dans la commune du Plateau. © Youri Lenquette pour JA

Place Soweto, dans la commune du Plateau. © Youri Lenquette pour JA

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Publié le 10 décembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Le quartier du Plateau, à Dakar. © Youri Lenquette pour JA
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Dakar, une capitale en mode XXL

Réseaux de transports, espaces publics, complexes culturels… Depuis la corniche et le centre du Plateau, à l’ouest, jusqu’à la ville nouvelle de Diamniadio, à l’autre extrémité de la presqu’île, l’agglomération sénégalaise est en chantier. Et semble bien partie pour inventer la métropole africaine du futur

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C’est un clip vidéo onirique de deux minutes et trente secondes. Réalisé pour le compte de la République du Sénégal par le groupe Teylium, de l’homme d’affaires Yerim Sow, il met en scène, en images 3D, ce à quoi pourrait ressembler dans quelques années la ville nouvelle de Diamniadio, cette annexe de la capitale dont Macky Sall a fait l’un des piliers de son double mandat présidentiel, dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE).

Pour qui connaît Dakar la folklorique, ses multiples ruelles ensablées, ses cars rapides hors d’âge, ses charrettes à cheval circulant sur les avenues, ses petits commerçants devenus maîtres des trottoirs, ses artères maigrelettes asphyxiées par les embouteillages, ses talibés mendiant à chaque carrefour, ses égouts à ciel ouvert…, ce spot peut faire sourire.

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Car Diamniadio se donne à voir comme une cité high-tech, irréprochable, où rien ne dépasse. Une métropole revue de fond en comble, dans laquelle « les règles d’urbanisme sont respectées et les signes extérieurs de pauvreté que nous traînons derrière nous comme un boulet sont éliminés au profit d’une vision structurée du petit commerce », conformément aux vœux de l’architecte Pierre Goudiaby Atepa.

Gazon à l’anglaise

Dans cette ville nouvelle encore virtuelle, les pâtés de maisons sont strictement délimités, les bâtiments et les infrastructures – ultra­modernes – paraissent harmonieusement conçus, les artères sont larges et la circulation fluide, les habitations respectent un strict cahier des charges… Et, surtout, de multiples espaces verts s’y insèrent : ici des cocotiers majestueux bordant les avenues, là de vastes étendues de gazon taillé à l’anglaise ; le tout miroitant dans les eaux d’un majestueux lac artificiel.

La région de Dakar © JA

La région de Dakar © JA

Nous voulons réussir à Diamniadio ce qui a été raté à Dakar

Pour l’heure, il ne s’agit encore que d’un rêve. Mais, de part et d’autre de l’autoroute à péage qui relie désormais le centre-ville de Dakar à l’aéroport international Blaise-Diagne, les grues de chantier s’activent à en faire une réalité. Pour les autorités, outre la volonté affichée de désengorger une capitale devenue invivable sous le poids de la croissance démographique et de l’exode rural, l’objectif tient en quelques mots : « Nous voulons réussir à Diamniadio ce qui a été raté à Dakar », résume Abdou Karim Fofana.

Nommé ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique en avril, l’ancien directeur général de l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’État (AGPBE) suit le projet depuis son origine.

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Les bases du cœur de ville

Force est de constater que la première phase du projet n’a pas traîné. Entre 2014, date du lancement officiel des travaux, et février 2019, date de la réélection de Macky Sall à la présidence, de nombreuses infrastructures ont poussé en un temps record sur cette terre argileuse qui complique le travail des bâtisseurs : le Centre international de conférences Abdou-Diouf (Ciad), un hôtel Radisson Blu, un palais omnisports – le Dakar Arena, qui scintille de mille feux à la nuit tombée –, une zone économique truffée d’entrepôts, une cité ministérielle – dont une partie est déjà opérationnelle, qui accueille divers départements dits techniques, etc.

Les immeubles de la première phase du quartier ministériel de Diamniadio, inaugurée en mai 2018. © Youri Lenquette

Les immeubles de la première phase du quartier ministériel de Diamniadio, inaugurée en mai 2018. © Youri Lenquette

Des immeubles de logement ont été construits, mais il reste du travail pour rendre opérationnels la voirie, etc.

« Durant ces cinq premières années, nous avons posé les bases du cœur de ville, poursuit Abdou Karim Fofana. Des immeubles de logement ont été construits, mais il reste du travail pour rendre opérationnels la voirie, les réseaux d’eau et d’électricité, ainsi que les transports, avec l’entrée en service du TER. » Quant aux entreprises, elles commencent à affluer dans cet eldorado qui devrait comporter, à terme, un pôle économique multiforme, vivier de dizaines de milliers d’emplois.

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Malgré les promesses ambitieuses des promoteurs de la ville nouvelle, certains architectes s’interrogent mezza voce sur la pertinence d’un projet qui semble perpétuer l’hypertrophie de la capitale, dont le pays est depuis longtemps affligé. La région de Dakar concentre en effet plus de 23 % de la population alors qu’elle représente moins de 0,3 % du territoire.

Rééquilibrer les projets d’infrastructures à l’échelle du territoire

« En tant qu’urbaniste et aménageur, il me semblerait plus utile de décentraliser davantage, de rééquilibrer les projets d’infrastructures à l’échelle du territoire, notamment en désenclavant le sud du pays, argumente l’un d’entre eux. Cela développerait chez les Sénégalais de l’intérieur un sentiment d’appartenance au pays, tout en nous permettant de nous rapprocher des pays voisins autrement que par le verbe. »

« Cette hypertrophie, subie, est désormais inexorable », reconnaît Abdou Karim Fofana. Mais le défi qui se pose à nous est de l’aménager au mieux, ajoute le ministre de l’Urbanisme. Le Sénégal n’avait pas les moyens d’aménager une annexe de la capitale à 300 km de Dakar. Nous disposons désormais d’un aéroport international, à Diass, qui sera bientôt relié à Dakar par un TER, lequel desservira toute la grande banlieue. Nous avons conçu Diamniadio en tenant compte de nos moyens du moment. »

Un credo: le « fast track »

Si Macky Sall apparaît comme le principal artisan politique du projet, existe-t-il un concepteur global de ce chantier tentaculaire ? Aucun de nos interlocuteurs n’a jamais entendu parler d’une personne qui aurait pensé ce que deviendra Diamniadio dans cinquante ou cent ans.

D'autres immeubles de la première phase du quartier ministériel de Diamniadio. © Youri Lenquette

D'autres immeubles de la première phase du quartier ministériel de Diamniadio. © Youri Lenquette

Dakar souffre d’une démographie galopante et d’un urbanisme déstructuré, il fallait donc agir sans attendre

« La Délégation générale du pôle urbain de Diamniadio et du lac Rose [DGPU, directement rattachée à la présidence] fait office de maître d’œuvre », précise Abdou Karim Fofana, dont le prédécesseur au ministère de l’Urbanisme, Diène Farba Sarr, en est désormais le patron.

Et d’ajouter que cette ville nouvelle a été l’occasion pour le chef de l’État de mettre en pratique son credo : le fast track, une méthode qui a pour ambition de compresser le calendrier des projets présidentiels. « Diamniadio est basée sur une volonté politique, elle-même fondée sur une analyse anticipative : Dakar souffre d’une démographie galopante et d’un urbanisme déstructuré, il fallait donc agir sans attendre. C’est ensuite que nous avons lancé différentes études correctives », poursuit le ministre.

Des travaux sur le long-terme

« Le défi auquel se heurte un tel projet est que le temps nécessaire pour qu’une ville existe réellement est bien plus long que le temps électoral », souligne notre architecte-aménageur. Et d’évoquer les travaux d’urbanisme menés au Maroc. « La contrainte temporelle n’y est pas la même : lorsque le roi intervient sur un projet de ce genre, il a plusieurs décennies devant lui. Et il sait qu’il transmettra ensuite le flambeau à son fils. Il fera donc tout pour que ce soit dans de bonnes conditions. »

Quid de cette contrainte pour Macky Sall, qui achèvera son second mandat en 2024, à un moment où Diamniadio ne sera encore qu’un embryon ? Son successeur pourrait-il revenir sur l’ambition de l’actuel président ? Abdou Karim Fofana ne veut pas le croire. « Les Sénégalais sont rationnels, assure-t-il. Et la construction de Diamniadio est désormais irréversible. »

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