« Rhapsodie des oubliés », le tourbillon urbain de la rue Léon
Sofia Aouine a remporté le prix de Flore pour son roman « Rhapsodie des oubliés », dans lequel elle raconte les folles pérégrinations d’un adolescent au cœur de la Goutte-d’Or, à Paris.
« Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. » C’est ainsi que Sofia Aouine nous plonge dans sa rhapsodie tourbillonnante à travers la voix d’un jeune de 13 ans, Abad, observateur à la langue acérée d’un petit territoire dont le centre névralgique est la rue Léon, dans le 18e arrondissement de Paris. Le propos fataliste et sarcastique de ce « je » prend à la gorge, pétri de poésie et d’une certaine forme d’allégresse à laquelle se mêle une amertume distillée de façon subtile. Sofia Aouine ne cherche pas à nous faire pleurer, alors même qu’elle nous flanque les gifles d’une réalité crue.
Celle « d’une planète de martiens, un refuge d’éclopés, de cassos, d’âmes fragiles, de “ceux qui ont réussi à dépasser Lampedusa” […]. » C’est dans la langue de ce jeunot, arraché à son enfance au Liban, parfois heureux, parfois désabusé et souvent amoureux, que réside une grande partie de la beauté de cette « couture de chants » composée avec force passion. Aussi, cet ouvrage est la musique d’un orchestre fou heureux. Cet ouvrage est une éruption volcanique. Il est plein de dissonances, de virages, de panneaux « stop » et d’accélérations qui décoiffent. Les phrases y sont délicieuses. L’existence d’Abad est comme une pelote de laine dont les fils appartiennent aussi à d’autres : son père, sa mère, ses copains voyous, sa vieille voisine Odette, la dame censée guérir son « dedans » ou encore Gervaise, péripatéticienne camerounaise du « boulevard des rêves brisés ».
À la marge
Cette existence, Sofia Aouine la raconte en pensant au début de la sienne. « L’histoire d’Abad est liée à celle de mon enfance et de mon roman familial. J’ai été placée parce que je n’étais pas un garçon. Et cela a eu une incidence sur ma vie de femme et d’adulte. Quand j’ai vu Les Quatre Cents Coups, de François Truffaut, c’était la première fois que je voyais, à travers la fiction, un enfant qui me ressemblait. Un gamin à la marge, qu’on n’écoute pas », raconte la reporter radio de 41 ans, née dans les Hauts-de-Seine au sein d’une famille algérienne d’origine kabyle. Un jour de 2013, c’est donc un garçon qui a pris la parole. Un garçon à l’image d’Antoine Doinel, le héros de Truffaut. Quant à la Goutte-d’Or et Barbès, il faut y voir l’envie de raconter le Paris populaire, un territoire façonné par l’immigration algérienne.
L’humour est la politesse du désespoir
« Je suis tombée amoureuse de la rue Léon. Mes balades dans ce quartier ont duré une dizaine d’années. Ça s’est imposé à moi. Il y avait tout un monde à raconter. Il y a une richesse de mémoires et de communautés de destins. Mais c’est aussi le quartier où l’on est quotidiennement confronté à la violence sociale. Ce territoire m’a choisie autant que je l’ai choisi. » Aussi, Sofia Aouine a fait le choix de l’humour noir, d’un langage caustique parce que « l’humour est la politesse du désespoir, comme le disait Pierre Desproges ». Elle planche déjà sur deux prochains ouvrages, dont un livre jeunesse. En attendant, Rhapsodie des oubliés scelle la naissance d’une voix singulière et salvatrice.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles