Tunisie : un livre dédié à la poutargue, ce « caviar » méditerranéen

L’homme d’affaires d’origine tunisienne Gérard Memmi, qui commercialise ce mets iodé, publie un livre passionnant, entre histoire et gastronomie.

Un délice simple : des œufs de poisson séchés et salés. © Rina Nurra

Un délice simple : des œufs de poisson séchés et salés. © Rina Nurra

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 20 décembre 2019 Lecture : 2 minutes.

Planter ses dents dans un morceau de pain agrémenté d’une tranche de poutargue, c’est mettre la mer entière dans sa bouche et partir pour un long voyage à travers la Méditerranée. Poutargue ? Certains se récrieront face à cette graphie, notamment les Tunisiens, qui disent plutôt « boutargue », mais l’auteur de ces lignes étant originaire des alentours de Martigues, dans le sud de la France, c’est lui qui décide.

Gérard Memmi, qui est lui d’origine tunisienne, a bien entendu opté pour le « b » : Boutargue. Histoires, traditions, recettes, qui vient de paraître aux éditions Flammarion, est un livre superbe sur ce mets raffiné concocté avec les sacs ovariens de la femelle Mugil cephalus. Connu sous le nom de muge au-dessous de la Loire (« mulet », au-dessus), ce poisson à grosse tête est pêché depuis plus de quatre mille ans, bien d’avantage pour l’orange merveilleusement iodé de ses œufs que pour sa chair, plutôt fade et filandreuse.

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Aujourd’hui à la tête des établissements qui portent son nom, Gérard Memmi a repris la petite entreprise de son père, qui transforme désormais 65 tonnes d’œufs de muges (dont 80 % en provenance de Mauritanie et du Sénégal) et affiche un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros par an. Vendue à des restaurateurs et à des épiceries fines, exportée jusqu’au Japon, la poutargue demeure un produit de luxe : ce « caviar » méditerranéen coûte environ 140 euros le kilo.

Alcool de figue

Entrepreneur avisé et passionné, Memmi a sollicité l’aide de Laurent Quessette et de Josseline Rigot pour construire son ouvrage, à la fois ode enthousiaste au produit et livre de recettes concoctées par Benoît Nicolas, Meilleur Ouvrier de France, et quelques autres grands chefs. Tout en naviguant parmi les photos lumineuses de l’ouvrage, chacun pourra y pêcher les informations qui l’intéressent. Certains essaieront d’identifier la boisson idéale pour accompagner la poutargue – un vin de Bandol ou de Cassis pour les amateurs du sud de la France, un shot de boukha (alcool de figues) pour les Tunisiens – , d’autres chercheront les aliments qui se marient le mieux avec son goût intense, comme l’œuf, l’asperge, la ciboulette, la pomme de terre, etc., tandis que les plus érudits s’intéresseront à sa longue histoire.

Si la poutargue s’accorde si bien avec des produits simples comme le pain, les pâtes, les œufs ou la pomme de terre, c’est parce qu’elle se suffit à elle-même

Le livre de Gérard Memmi nous apprend ainsi que dans l’Égypte des pharaons les poissons étaient vidés, écaillés, leur dos était fendu, puis ils étaient séchés au soleil. Et surtout que les poches d’œufs, déjà, étaient conservées par salage, pressage et séchage. « De nombreux édifices funéraires, des tombeaux et des mastabas représentent la fabrication de la boutargue : à Saqqarah, près de Memphis, au sud du Caire, la célèbre tombe de Ti, dont le mastaba fut découvert en 1860 par Auguste Mariette, montre des Égyptiens accroupis, fendant le dos des mulets, extrayant les ovaires des femelles, des boutargues séchant à côté », écrit-il.

Une représentation qui remonte à la Ve dynastie, sous l’Ancien Empire, c’est-à-dire plus de deux mille quatre cents ans avant notre ère… mais le procédé n’a pas changé ! Pourquoi changerait-il, d’ailleurs, puisqu’il est parfait ? Une perfection simple à prouver : si la poutargue s’accorde si bien avec des produits simples comme le pain, les pâtes, les œufs ou la pomme de terre, c’est parce qu’elle se suffit à elle-même.

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