Gabon : l’économie, c’est (presque) reparti

Retour de la croissance après deux années d’atonie, hausse des recettes supérieure aux objectifs… La relance est timide mais réelle. Et l’État semble décidé à mener les réformes qu’exige une situation encore précaire.

Guide investir Gabon 2018 -Olam Usine d’embouteillage d’huile de palme, Lambarene. Juillet 2018.© Jacques Torregano pour JA © Jacques Torregano/Divergence pour JA

Guide investir Gabon 2018 -Olam Usine d’embouteillage d’huile de palme, Lambarene. Juillet 2018.© Jacques Torregano pour JA © Jacques Torregano/Divergence pour JA

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Publié le 18 décembre 2019 Lecture : 6 minutes.

À Libreville au Gabon. (photo d’illustration). © Jacques Torregano pour JA
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Gabon : enfin la relance ?

Si les récents remaniements au sein du cabinet présidentiel et du gouvernement ont inquiété les uns et déconcerté les autres, ils ont aussi et surtout clarifié la situation au sommet de l’État : un an après son AVC, Ali Bongo Ondimba est bel et bien de retour aux commandes de l’exécutif et dicte le tempo.

Sommaire

L’économie gabonaise va mieux. La croissance quasi nulle de 2017 (0,5 %) et de 2018 (0,8 %) devrait se redresser nettement cette année selon les prévisions du FMI, qui ont d’ailleurs été revues à la hausse à 3,4 %, au lieu de 2,9 %, à l’issue de la mission du Fonds à Libreville du 27 septembre au 9 octobre.

L’inflation est contenue à 1 % en glissement annuel – supérieure à 6 % à la fin de 2018, elle est retombée à 1 % depuis juillet et devrait s’établir aux alentours de 2,5 % en moyenne annuelle. La dette publique et le déficit budgétaire ont également diminué.

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« Les indices macroéconomiques se sont améliorés, mais de façon plus lente que nous ne l’avions prévu, commente Alice Ouedraogo, représentante-résidente de la Banque mondiale à Libreville. La reprise est essentiellement due aux meilleures performances des secteurs pétrolier, minier et agricole. Les réformes portant sur la gestion des finances publiques, dont certaines sont encore en cours de mise en œuvre, ont été bénéfiques. Elles ont déjà permis une baisse de la masse salariale et une mobilisation accrue des ressources. Les efforts de maîtrise des finances publiques ont par ailleurs permis un recul des importations et amélioré les réserves de change. »

Chargement de conteneurs au port de Libreville. © Jacques Torregano pour JA

Chargement de conteneurs au port de Libreville. © Jacques Torregano pour JA

Onze objectifs

Si la reprise est incontestable, sa lenteur aussi. Selon l’analyste Mays Mouissi, le Plan de relance économique (PRE) 2017-2019 comportait onze objectifs : réduire le déficit budgétaire à moins de 3 % du produit intérieur brut (PIB), augmenter les recettes hors pétrole de 12,5 % à 16,3 %, ramener la dette publique à moins de 40 % du PIB, porter la croissance à 5 %, créer au moins 30 000 emplois dans le privé, renouer avec un solde positif de la balance des paiements, renforcer la compétitivité des filières qui sont des moteurs de la croissance, réduire de 100 000 le nombre de Gabonais économiquement faibles, construire plus de 160 salles de classe, réhabiliter trois universités et mettre en service dix centres de formation et de perfectionnement professionnels, et, enfin, garantir la continuité de l’approvisionnement en eau et en électricité.

Deux objectifs seulement ont été atteints : la réduction du déficit budgétaire et le solde positif de la balance des paiements

Or, alors que l’année 2019 s’achève, deux objectifs seulement ont été atteints : la réduction du déficit budgétaire et le solde positif de la balance des paiements.

Rigueur budgétaire

Ces résultats mitigés s’expliquent d’abord par la rigueur budgétaire. Celle-ci a touché le pouvoir d’achat, en réduisant de quelque 25 milliards de francs CFA (environ 38 millions d’euros) la masse salariale de l’État. Elle a aussi réduit quasiment à zéro les investissements publics, stoppant notamment l’activité du BTP, traditionnellement grand pourvoyeur d’emplois. Le chômage et la pauvreté, qui frappe plus de 25 % de la population, ont progressé.

L’autre partie de la dette fait l’objet d’une évaluation, qui a pris de nombreux mois de retard

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Deux autres facteurs ont contribué à freiner la reprise. Le premier est le règlement de la dette intérieure, qui affecte la santé du secteur privé. « Ce règlement s’opère de deux manières, explique Didier Lespinas, président du Comité Gabon des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF). La première se fait par le canal du Club de Libreville, qui a fait l’objet de décaissements quelque peu erratiques – le dernier, au début de novembre, portait sur les échéances groupées de mai, juin, juillet et août. L’autre partie de la dette fait l’objet d’une évaluation, qui a pris de nombreux mois de retard, sur la base d’un audit réalisé par Price Waterhouse Cooper (PwC). »

L’extrême dépendance du Gabon au pétrole et la faible diversification de son économie constituent un autre handicap majeur. Cependant, là aussi, même si les résultats sont encore peu perceptibles au niveau macroéconomique, les choses bougent. La deuxième source de devises du pays est le bois tropical, et l’interdiction faite en 2009 d’exporter des grumes non transformées a porté ses fruits, puisque la production de bois ayant subi deux transformations a plus que quadruplé en dix ans.

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Par ailleurs, les premières exportations d’huile de palme ont été réalisées par Olam Palm, la filiale gabonaise du géant singapourien Olam International, en 2017, notamment vers le Cameroun. Cela est de bon augure, mais ne peut prétendre pour l’instant compenser la chute des revenus pétroliers.

Forte augmentation du stock d’IDE

Forte augmentation du stock d’IDE

Comment accélérer le rythme du redressement, alors que la poursuite de la sagesse budgétaire s’impose ? Et alors que le pays stagne à la 169e place sur 190 pays dans les classements « Doing Business » 2019 et 2020 sur la qualité du climat des affaires de la Banque mondiale, alors qu’il était au 144e rang en 2015 ? « Le Gabon regorge de potentialités dans le secteur forestier, le tourisme, l’économie numérique, l’agrobusiness ou encore la pêche, souligne Alice Ouedraogo. Mais pour attirer des investisseurs privés qui épauleraient cette diversification, il lui faut poursuivre la consolidation des soubassements de cette diversification, notamment par la mise en œuvre du cadre pour les partenariats public-privé, la finalisation du nouveau code des investissements, le développement de la formation professionnelle, la réalisation des infrastructures de base, ainsi que la mise en place d’un cadre propice aux règlements des litiges commerciaux, notamment un tribunal de commerce et une chambre d’arbitrage et de médiation. »

L’État doit encourager le développement d’un secteur privé qui ne dépende plus de lui comme par le passé

Les Gabonais commencent à se faire à l’idée que la rente pétrolière est finie. Cela signifie que l’État ne peut plus tout et qu’il doit soupeser la pertinence de chacune de ses dépenses pour ne plus gaspiller des ressources devenues rares.

Cela signifie aussi qu’il doit encourager le développement d’un secteur privé qui ne dépende plus de lui comme par le passé. Il lui faut devenir chef d’orchestre et se consacrer à la réalisation des infrastructures qui manquent cruellement à un pays dont 11 % des routes seulement sont goudronnées.

Mais les Gabonais, eux aussi, sont appelés à faire leur révolution culturelle. La voie royale de la fonction publique est durablement bouchée, et il leur faut penser à prendre le chemin de la formation professionnelle plutôt que les couloirs des universités de droit ou de lettres.

Ces citadins – neuf Gabonais sur dix vivent dans les villes – seraient bien avisés de retrouver le goût de l’agriculture, toujours méprisée. Celle-ci peut devenir un précieux vivier d’emplois et améliorer la balance commerciale du pays, qui importe entre 50 % et 80 % de son alimentation.

À Libreville, à la fin d’août. Sensibilisation d’étudiants au maraîchage et au potentiel des filières agricoles. © Steve JORDAN / AFP

À Libreville, à la fin d’août. Sensibilisation d’étudiants au maraîchage et au potentiel des filières agricoles. © Steve JORDAN / AFP

Le gouvernement a deux ans pour réussir les réformes auxquelles il s’est attelé avec courage, contraint et forcé par la crise pétrolière. S’il tergiverse, le retour des cycles électoraux risque de ranimer les vieux démons de la facilité et du court terme.

TVA et brouillard comptable

Le Gabon fait des progrès incontestables en matière de paiement de ses dettes. Il a soldé les arriérés de ses dettes commerciales extérieures. Le Club de Libreville (créé au début de 2018 par la Confédération patronale gabonaise dans le cadre du mécanisme d’apurement de la dette intérieure) a prévu de rembourser sur soixante-deux mois les 285 milliards de francs CFA (environ 434,5 millions d’euros) d’arriérés dus aux entreprises gabonaises, promesse qui s’exécute, certes, mais avec quelques à-coups.

Reste le lancinant problème du remboursement des trop-perçus de TVA, qui étranglent bien des entreprises. Lorsque celles-ci versent au fisc plus de TVA qu’elles n’en perçoivent pour le compte de celui-ci, elles disposent d’un crédit de TVA que les services fiscaux doivent leur rembourser. Dans de nombreux pays d’Afrique, ce remboursement est trop lent. Au Gabon, il est franchement problématique, car il peut prendre des mois, voire des années.

Cette compensation prive l’État de recettes liquides et l’empêche d’avoir un espace budgétaire sécurisé pour ses investissements publics, qui serait précieux en ces temps de disette

Pour survivre et récupérer leur dû, les entreprises dont les trésoreries sont ainsi asséchées ont pris l’habitude de pratiquer une compensation fiscale, c’est-à-dire qu’elles s’entendent avec les services fiscaux pour déduire leur crédit de TVA de la masse des autres impôts sur les sociétés, sur les bénéfices, fonciers, etc., qu’elles doivent acquitter. « Cette compensation prive l’État de recettes liquides et l’empêche d’avoir un espace budgétaire sécurisé pour ses investissements publics, qui serait précieux en ces temps de disette », analyse un spécialiste.

De plus, personne n’est en mesure de dire quel est le montant de ces arriérés de TVA ni comment éviter qu’ils se perpétuent, voire qu’ils s’aggravent. L’État est tout aussi perdant que les entreprises, dont les PME, principales victimes de ce brouillard comptable et fiscal.

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