[Tribune] Jack Ma : « L’Afrique d’aujourd’hui, c’est la Chine d’il y a 20 ans ! »
Les carences qui, en Afrique, ralentissent l’entrepreneuriat ressemblent à celles contre lesquelles j’ai dû lutter il y a vingt ans lorsque j’ai créé Alibaba. En s’appuyant sur la révolution numérique, il est possible de faire de l’Afrique un hub planétaire.
J’ai pour la première fois mis les pieds en Afrique en 2017. Conseiller spécial de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, j’ai été amené à me rendre au Kenya et au Rwanda. M’étant beaucoup documenté avant de partir, je croyais savoir à quoi m’attendre – et espérais surtout sortir de ma zone de confort.
Car je n’avais nullement l’habitude d’analyser la situation dans tel ou tel pays étranger. À ma grande surprise, elle n’était pas très différente de celle que j’avais pu connaître chez moi, en Chine.
Lors de chacun de mes voyages, je m’efforce de rencontrer de jeunes entrepreneurs. Et le continent n’a pas fait exception à la règle. J’ai donc parlé à des chefs d’entreprise africains. J’ai découvert leurs histoires personnelles, leurs rêves. Et soudain je me suis trouvé propulsé vingt ans en arrière, à l’époque de la création d’Alibaba.
Un peu partout sur le continent, j’ai constaté que la plupart des entrepreneurs n’étaient pas aussi obsédés par l’idée de faire une brillante carrière que leurs collègues américains ou, de plus en plus, chinois. Prudents, ils cherchent avant tout un emploi salarié stable dans des secteurs comme la banque, l’énergie ou les mines.
Révolution numérique
L’entrepreneuriat, c’est l’affaire des joueurs, ceux qui sont incapables d’exercer un métier traditionnel, et qui, pour gagner leur vie, doivent se bagarrer et se montrer créatifs.
Je suis convaincu que l’avenir de l’Afrique appartient à ses entrepreneurs, ces inlassables rêveurs pour qui chaque problème est une chance. Je ne doute pas que tous ces jeunes rencontrés en 2017 soient les futurs héros du continent. Et je me suis promis de tout faire pour les aider à atteindre leurs objectifs.
L’Afrique est mûre pour une transformation radicale. Le monde vit actuellement une révolution numérique qui pourrait déboucher sur des changements d’une ampleur sans précédent. Il suffit désormais d’un smartphone pour souscrire un crédit et créer son entreprise. Les technologies du mobile et de l’internet permettent à tout un chacun d’accéder à une gamme très étendue de produits et de services.
Dans ce nouveau monde, des infrastructures lourdes n’ont guère d’utilité
La révolution numérique pourrait être à l’origine d’une vertigineuse prospérité sur le continent, dès lors qu’il disposera des entrepreneurs et des entreprises capables de la mener à bien. Les sceptiques peuvent bien souligner l’insuffisance de ses infrastructures et estimer qu’il n’est absolument pas prêt à entrer dans l’ère numérique, ils se trompent : il est au contraire fort bien placé.
Dans ce nouveau monde, des infrastructures lourdes n’ont guère d’utilité. Quand un système marche trop bien, tout changement suscite des résistances. L’héritage est trop difficile à assumer.
Forte démographie
Fort heureusement, ce n’était pas un problème en Chine en 1999, quand j’ai créé Alibaba. Nous avions une population nombreuse, un revenu par habitant faible, et des infrastructures peu développées dans les secteurs du commerce de détail, de la logistique et de la banque.
Mais deux décennies plus tard, le nombre d’usagers d’internet est passé de 8,8 millions à 850 millions ; le revenu par habitant, qui ne dépassait pas 800 dollars, culmine à présent à 9 000 dollars ; et les ventes de l’e-commerce atteignent 1 000 milliards de dollars au total.
Six des dix économies qui progressent le plus vite au monde sont africaines
À lui seul, l’écosystème Alibaba a permis de créer plus de 40 millions d’emplois dans l’ensemble du pays. L’an dernier, les revenus tirés de l’e-commerce ont dépassé 97 milliards de dollars dans la Chine rurale, générant près de 7 millions de nouveaux emplois.
Et l’Afrique peut faire encore mieux. Comme en Chine, le manque d’infrastructures y est un atout. Autre ingrédient de son futur succès : elle compte 1,3 milliard d’habitants, dont 40 % ont moins de 16 ans. Six des dix économies qui progressent le plus vite au monde sont africaines. Et le nombre de smartphones par habitant y croît rapidement.
Les « 4 E »
Pour prospérer, le continent doit impérativement adopter ce que j’appelle les « 4 E ». Le premier désigne les entrepreneurs. Nous devons absolument les soutenir et inspirer une nouvelle génération. Montrons aux jeunes Africains ce qu’ils peuvent faire pour transformer la société. Et il ne s’agit pas de célébrer les milliardaires, ni de mobiliser l’épargne publique à leur profit. Je parle de start-up favorisant la croissance « inclusive » et contribuant à résoudre des problèmes sociaux.
C’est la raison pour laquelle ma fondation vient de créer le prix du Netpreneur africain. Pour la première édition, cette année, nous avons recherché à travers tout le continent les entrepreneurs les plus impressionnants du moment. Plus de 10 000 candidatures ont été retenues. Les dix finalistes ont été départagés lors d’un grand événement télévisé.
L’enjeu ? Une importante somme d’argent, bien sûr, mais aussi un encadrement des activités des lauréats ainsi que des stages de formation. Les trois vainqueurs se nomment Temie Giwa-Tobosun, Christelle Kwizera et le Dr Omar Sakr. Tous comptent parmi les novateurs les plus prometteurs au monde. Il va de soi que nous entendons récompenser et soutenir ces fantastiques entrepreneurs. Mais, plus important encore, nous aimerions aussi qu’ils soient une source d’inspiration pour d’autres.
Les deux E suivants recouvrent l’e-gouvernement et l’éducation, indispensables au soutien des entrepreneurs. Le continent a besoin de gouvernements disposant des compétences indispensables à l’émergence d’une économie numérique. Et ses entrepreneurs doivent pouvoir accéder à des formations et à des systèmes éducatifs adaptés à cette nouvelle ère.
Il va sans dire que je compte prendre part à cette mission. C’est pourquoi, en association avec la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, Alibaba Business School a mis en place un programme de formation à l’e-commerce, l’Association des e-fondateurs, afin de fournir aux jeunes entrepreneurs du continent le savoir-faire nécessaire au développement de l’e-business.
Alibaba Business School a mis au point un programme du même type à l’intention des responsables politiques et des membres de gouvernements pour les aider à naviguer dans un paysage technologique des plus changeants. L’an dernier, une telle opération a été engagée au Rwanda pour préparer les éducateurs à former la prochaine génération d’entrepreneurs. D’autres sont à l’étude pour d’autres pays.
E-infrastructures
Le dernier E concerne les e-infrastructures et sous-tend les trois autres. Car l’Afrique a besoin de services internet de classe mondiale, base de la nouvelle économie numérique : analyse de données, logistique et paiements.
Depuis ma première visite, il y a vingt ans, j’ai sauté sur toutes les occasions de m’informer sur ce prodigieux continent et de rencontrer de nouveaux entrepreneurs. Mon but est de visiter l’ensemble des pays qui le composent. Chaque fois, je me convaincs un peu plus que ses entrepreneurs sont l’avenir de l’Afrique.
Si tout le monde accepte de travailler ensemble, alors l’Afrique deviendra un hub d’innovation et de croissance
Et que le meilleur moyen de les aider est de les soutenir et de leur fournir les outils dont j’aurais aimé disposer lorsque je me suis lancé dans ma propre aventure. Car aucun entrepreneur ne peut se développer seul. Il a besoin de responsables politiques, d’éducateurs, d’autres capitalistes, d’associations professionnelles et d’incubateurs de start-up.
Si tout le monde accepte de travailler ensemble, alors l’Afrique deviendra un hub d’innovation et de croissance. Car chacun sait bien qu’elle a le potentiel de devenir un leader planétaire.
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