Thomas Piketty et Kako Nubukpo, l’interview croisée : « L’Afrique doit inventer son propre avenir »

L’un plaide pour une réorganisation de la mondialisation, l’autre prône un changement de modèle de croissance pour le continent. Entretien croisé avec deux économistes qui n’ont pas peur de casser les codes.

Thomas Piketty et Kako Nubukpo. © Photomontage ; Photos : Vincent Fournier / JA

Thomas Piketty et Kako Nubukpo. © Photomontage ; Photos : Vincent Fournier / JA

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 2 janvier 2020 Lecture : 17 minutes.

Voilà deux économistes qui auront marqué l’année qui s’achève et qui, cela ne fait guère de doute, vont continuer à animer le débat en 2020. À 48 ans, le Français Thomas Piketty est un obstiné détracteur du capitalisme contemporain, qui, selon lui, engendre de grandes inégalités dans le monde. Dans son ouvrage Capital et Idéologie, paru en septembre dernier aux éditions du Seuil, il insiste sur la nécessité, déjà défendue dans son best-seller Le Capital au XXIe siècle, paru six ans plus tôt chez le même éditeur, de réformer ce système.

Il faut réorganiser « la mondialisation », martèle-t-il, favoriser une plus grande « justice sociale », « désacraliser » la propriété privée et mettre un terme à la « logique d’accumulation infinie » que celle-ci induit. Utopistes pour certains, ses idées font néanmoins leur chemin dans les discussions au sein des partis travaillistes et conservateurs au Royaume-Uni, tout comme aux États-Unis, où elles sont au cœur de la campagne pour les primaires du Parti démocrate.

Quant à Kako Nubukpo, 51 ans, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’université de Lomé, ancien ministre et ancien directeur de la francophonie économique à l’OIF, il combat depuis plusieurs années le franc CFA, monnaie utilisée par 14 pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, dans sa forme actuelle.

C’est également par le biais d’un livre, L’Urgence africaine, publié chez Odile Jacob en septembre, qu’il a fait parler de lui en 2019. Pour lui, il faut rapidement changer de modèle de croissance sur le continent, opter pour un développement « endogène », rompre avec les institutions de Bretton Woods qui ont fait de l’Afrique un « laboratoire néolibéral » et s’entêtent à y imposer des politiques de développement qui ne fonctionnent pas, alors que le continent connaît une croissance démographique sans précédent !

Si ces deux intellectuels mènent leurs réflexions sur des terrains différents, ils partagent un même socle idéologique, proche du socialisme. Surtout, l’un et l’autre ont la parole libre et n’ont pas peur de déranger. Interview.

Jeune Afrique : Liban, Haïti, Irak, Chili, Hong Kong, Algérie, France…. Plusieurs régions du monde sont secouées par des vagues de contestations populaires. Comment analysez-vous ce phénomène ?

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Thomas Piketty : Je pense qu’on arrive au bout du cycle de développement qui a commencé dans les années 1980 sous le coup du reaganisme et du thatchérisme et qui s’est diffusé dans les années 1990 en Europe et dans d’autres parties du monde. Ce modèle, la mondialisation dans sa forme actuelle, a favorisé une remontée très forte des inégalités.

Et l’absence d’un horizon égalitaire crédible, notamment depuis la fin du communisme soviétique, et de discussions sérieuses sur une alternative au système fondé sur le marché nourrit beaucoup de frustrations. On est donc à un moment charnière où se pose la question de la réorganisation de la mondialisation.

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Kako Nubukpo : Ce qui se passe aujourd’hui est une forme de mondialisation de la contestation fondée sur des éléments qui sont au cœur du vivre-ensemble, c’est-à-dire l’impératif d’une justice sociale. En Équateur, en Haïti ou même en France, où l’État est dit social, les troubles provoqués par l’augmentation des prix du carburant traduisent cette demande, ce besoin.

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