Côte d’Ivoire : Meiway, l’inoxydable maître du zoblazo

À 57 ans, le toujours fougueux créateur du zoblazo sort un treizième album et envisage de fonder un institut de formation musicale en Côte d’Ivoire.

L’artiste ivoirien Meiway. © Photo : Kobela Irabe

L’artiste ivoirien Meiway. © Photo : Kobela Irabe

leo_pajon

Publié le 14 janvier 2020 Lecture : 6 minutes.

Une fan ivoirienne nous avait demandé de lui poser la question : « Tu peux demander à Meiway comment il fait pour se maintenir aussi bien à son âge ? Style vestimentaire, physique, il est en forme ! » Et de fait, quand on retrouve l’artiste, né à Grand-Bassam le 17 mars 1962, on a le sentiment d’être face à un jeune homme.

Venu à Toulouse à l’occasion du festival Danses et continents noirs, le showman arbore un indémodable « total look » noir (chemise col Mao, pantalon, mocassins), rehaussé d’innombrables bijoux dorés. Bonnet à la Usher, barbe tirée au cordeau, la star de 57 printemps se joue des années. « Je fais du jogging aux Buttes-Chaumont, près de mon appartement parisien, du vélo d’intérieur, de la gym… J’étais un beau mec avant, mais aujourd’hui j’ai du mal à me regarder dans une glace. »

C’est mon apprentissage qui m’a permis de résister aux tempêtes des modes ; si tu veux tenir, il faut avoir des racines fortes

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Il faut dire que Meiway est exigeant. Avec lui-même comme avec la concurrence. « C’est mon apprentissage qui m’a permis de résister aux tempêtes des modes ; si tu veux tenir, il faut avoir des racines fortes, estime Mister Zoblazo. Être un artiste, c’est un peu plus que savoir manier les platines ou être une star des réseaux sociaux. Regardez toutes les vedettes du coupé-décalé : combien ont disparu depuis que le mouvement est né, il y a presque vingt ans… J’en compte moins de cinq encore en activité : Serge Beynaud, Debordo Leekunfa, Bebi Philip… »

Désiré Frédéric Ehui, de son vrai nom, a grandi dans une famille de mélomanes. Son père jouait de l’accordéon pour des fêtes, en compagnie de groupes traditionnels (mais ne lui a pas appris à jouer de son instrument). Sa mère, chanteuse dans une chorale catholique, l’entraînait tous les dimanches à l’église, où il a intégré le groupe en tant que percussionniste. Mais, très tôt, ce passionné veut aller plus loin. Il approfondit ses connaissances en autodidacte, apprend la guitare, le chant, la batterie, sait bientôt jouer « sur toutes les percussions du village ».

De là son attachement aux rythmes folkloriques du sud de la Côte d’Ivoire. Dès le collège, en 1978, il intègre un groupe de musique, Pace, qui ne tardera pas à exploser en vol. C’est en solo, après un passage par la France, que Meiway poursuit l’aventure musicale. Depuis son premier album, Ayibebou, sorti en 1989, il est resté populaire en Côte d’Ivoire, mais aussi au Bénin, au Burkina, au Ghana, au Togo…

C’est d’ailleurs à Lomé, le 2 novembre, à l’occasion du Festival de la bière, que « l’albatros » a lancé son nouvel album, le treizième, baptisé Légende. Le premier single du disque, diffusé sur le web en mai 2019, Korokoto, et sa chorégraphie pointue ont été très bien accueillis (plus de 500 000 vues sur YouTube).

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Touche-à-tout

Meiway ne livrera pas le secret de sa forme. Mais sa discographie parle pour lui. Certes, le maître du zoblazo est un musicien touche-à-tout qui soigne son look et ses chorégraphies. Mais il s’est avant tout imposé sur le long terme grâce à une stratégie de caméléon, en se fondant dans toutes les modes musicales. Il s’est aventuré du côté du highlife ghanéen, du m’balax sénégalais, de la salsa cubaine, du zouk ou du rap. Il a joué aux côtés de Manu Dibango, Jacob Desvarieux (chanteur et guitariste du groupe Kassav’), Koffi Olomidé, Lokua Kanza, Alibi Montana…

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Avant d’autres artistes, il a mis en place une approche globale de son activité : il a créé son groupe, le Zo Gang International (avec des musiciens et des danseuses, à Paris et à Abidjan), son label Meiway Organisation, son fan-club, il alimente régulièrement sa page Facebook et son compte Instagram…

C’est d’ailleurs sur les réseaux sociaux que l’on a pu découvrir sa fille Lyn Mary, devenue un nom connu du gospel, ou ses trois aînées (Sarah, Astrid et Johana), qui ont participé aux chœurs de son dernier album. Meiway a onze enfants, de six mamans différentes.

« Ce sont eux qui me permettent de faire ma mise à jour, confie l’artiste. Quand je suis devenu professionnel, en 1989, il faut bien se dire qu’Internet n’était pas installé, on n’avait que le Minitel ! Un jour, je me suis dit : « Bon Dieu, je suis en train d’être un has-been ! » Je me suis acheté un laptop, un smartphone, et mes enfants m’ont formé. » Désormais, quand il fait des clips, Meiway porte des lunettes noires, à la Maître Gims, pour être à la page.

Projet à Grand-Bassam

À sa manière de mettre sa progéniture en avant, on comprend que la légende a besoin aujourd’hui de transmettre. « Je ne suis pas du genre à dire que la musique c’est pour la vie, que je ne prendrai jamais ma retraite… Je ne veux pas devenir le rival de mes enfants. » Et l’Ivoirien de tacler sans les nommer ses confrères Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly. « Les rastas passent leur temps à tirer sur les politiques qui se maintiennent trop longtemps au pouvoir… Mais l’alternance, ils devraient l’appliquer aussi à la musique ! Il faut laisser la place aux jeunes. »

Meiway a un projet, « un dossier de 50 pages [qu’il a] posé sur le bureau de l’État ivoirien il y a déjà cinq ans, sans recevoir de réponse pour l’instant ». Son idée : créer un centre de formation musicale, le plus grand d’Afrique de l’Ouest, à Grand-Bassam. Il affirme se battre pour trouver un terrain et avoir seulement besoin du financement. Il n’ira pas trouver d’institutions étrangères…

« Ni l’Institut français, ni le FMI, ni la Banque mondiale. Après soixante ans d’indépendance, il est temps de se débrouiller seuls ! Chez nous, il y a l’argent, il faut juste que nos gouvernants cessent de travailler pour leur intérêt personnel. » En attendant que ce complexe sorte de terre, Meiway continuera à défendre le zoblazo. « Je suis le père et la mère de ce bébé, je ne peux pas l’abandonner. »

« Arafat m’appelait papa »

Des fans de DJ Arafat au Stade Felix Houphouët- Boigny, le 30 Août 2019 . © OLIVIER pour JA

Des fans de DJ Arafat au Stade Felix Houphouët- Boigny, le 30 Août 2019 . © OLIVIER pour JA

Au festival Danses et continents noirs, Meiway donnait son concert dans le cadre d’un hommage à DJ Arafat. « Cet enfant, je l’ai vu naître et grandir, confie l’artiste de Grand-Bassam. J’ai travaillé avec son père, Pierre Jouon, qui a été mon ingénieur du son pendant plus de dix ans. Il est même mort dans notre hôtel lorsque nous étions en tournée… C’est dans son restaurant musical, le Nandjelet, à Abidjan, que nous faisions parfois des répétitions. Arafat avait 8 ou 9 ans, il assistait à nos séances et essayait les instruments. »

Une relation filiale se crée entre les deux hommes. Et Meiway décèle rapidement le talent du petit. Il l’invite, le premier, à participer à un album, pour un hommage à l’équipe nationale de Côte d’Ivoire (À nous la victoire), à l’occasion de la Coupe d’Afrique de 2006. Il sera même le parrain du premier concert d’Arafat à Yopougon.

« Il m’appelait papa, il me respectait… Mais il évitait aussi mon autorité. Quand j’ai appris, pour sa mort, je m’en suis voulu de ne pas m’être rapproché de lui. Mais il s’enfermait avec tous ceux qui étaient à sa solde. Autour de lui, il n’y avait que des suiveurs, personne qui puisse lui tenir tête. Il était devenu inaccessible. »

Un carton… en play-back

Ce n’est pas peu dire qu’ils attendaient le concert. Outre de nombreux spectateurs blancs, toutes les diasporas – camerounaise, congolaise, ivoirienne évidemment… – s’étaient donné rendez-vous dans la salle toulousaine du Metronum, le 29 octobre 2019. La plupart des fans, sapés comme jamais, avaient préparé leur mouchoir blanc pour exécuter dignement les danses du zoblazo.

Acclamé dès son entrée sur scène avec deux danseuses, Meiway faisait forte impression dans un costume d’un rouge flamboyant… Un enthousiasme que sa prestation en play-back sur de la musique enregistrée n’a pas douché. Car s’il n’a pas laissé libre cours à son talent de chanteur, l’artiste s’est beaucoup donné, dansant pendant plus d’une heure et multipliant les transitions parlées pour galvaniser le public. Des anciens tubes (Miss Lolo) aux nouveaux sons (Korokoto), le set sportif de l’Ivoirien a convaincu la salle, toutes générations confondues.

Rondes endiablées, spectateurs invités à monter sur scène… Une longue queue de fans enfiévrés s’est formée à la fin du concert pour la séance de dédicace du maître. Il faudra attendre la saison du festival toulousain de cette année pour l’entendre à nouveau, en live cette fois et avec son orchestre.

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