[Édito] Les trois décisions majeures de l’Iran suite à l’assassinat de Qassem Soleimani
L’année 2020 a commencé très fort dès son premier jour. Notre pauvre monde a tremblé tout au long de la semaine dernière, et l’épicentre de ce premier tsunami de l’année a été, comme souvent, le Moyen-Orient.
Tout part de cette zone, ou y arrive, comme Carlos Ghosn, magnat de l’industrie automobile mondiale. Détrôné et malmené par la justice nippone, il a fui le Japon en avion privé à la fin de 2019 pour atterrir à Beyrouth via la Turquie.
Mercredi 8 janvier, il a tenté de « justifier l’injustifiable » et va sans doute refaire carrière dans son pays d’origine. En sera-t-il un jour le ministre des Finances ou peut-être le président ? Ne l’excluez pas.
Recep Tayyip Erdogan, président tout-puissant de la Turquie, a décidé, lui, renouant avec ses prédécesseurs ottomans du XIXe siècle, d’envoyer son armée en Libye guerroyer aux confins du Sahel africain, de la Tunisie et de l’Algérie.
Il a passé quelques heures, le 25 décembre, dans la capitale tunisienne pour s’assurer de l’appui des Tunisiens. Il faut s’attendre à ce que la Libye et sa capitale, Tripoli, deviennent, en 2020, l’enjeu d’un inexpiable conflit de type moyen-oriental (1) dont nous aurons à reparler plus d’une fois dans les prochains mois.
Acte de (mauvaise) guerre
Le plus spectaculaire des épisodes de cette agitation guerrière aura été, sans conteste, l’assassinat par les États-Unis, dans la nuit du 3 au 4 janvier, à l’aéroport de Bagdad et sur ordre de leur président, Donald Trump, du plus populaire des généraux iraniens : Qassem Soleimani. Un acte de (mauvaise) guerre qui aura de profondes et durables conséquences sur toute la région, voire au-delà.
Je me propose de commenter ce dernier événement, dont j’essaierai d’évaluer les conséquences. Le général iranien, populaire et respecté, comme l’ont montré ses funérailles, était un chef de guerre qui s’exposait. Jamais loin des champs de bataille, il aurait pu être tué plus d’une fois et a été à l’Iran ce que le général Rommel fut à l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Son pays se ressentira longtemps de la perte qu’il a subie par sa mort. Et répondra à cet acte de guerre par des actes de guerre.
Est-ce à dire que Téhéran se lancera dès demain dans des opérations armées contre l’Amérique ? Je ne le crois pas. Ses dirigeants ont entendu Trump menacer, en cas de représailles, de bombarder cinquante-deux de leurs sites, y compris les « culturels », ce qui serait un crime de guerre prémédité et une réaction impériale disproportionnée. Ils savent que ce raciste est capable, si son pays le laisse faire, de semer le chaos dans le monde pour se faire réélire.
Les grandes décisions iraniennes prises au plus haut niveau vont bien au-delà des quelques missiles tirés, dès la semaine dernière, contre des bases américaines en Irak.
Elles sont, selon moi, au nombre de trois :
1) L’Iran est désormais déterminé à consacrer autant de moyens qu’il pourra et autant de temps qu’il faudra pour mettre fin à toute présence de forces armées américaines opérationnelles dans son voisinage immédiat : Irak, Syrie, Turquie, Afghanistan. Il s’emploiera donc à les en faire partir, et ce sera un élément important de sa stratégie pour la décennie.
2) L’Iran ne s’engagera plus, ni vis-à-vis des États-Unis ni vis-à-vis des Européens, à renoncer à devenir une puissance nucléaire. Il a d’ores et déjà repris ses activités d’enrichissement d’uranium.
3) La réconciliation avec les États-Unis, considérée par ces derniers comme possible, aurait pu être scellée si l’accord conclu en 2015 avec le président Obama avait été appliqué. Elle devient désormais impossible à vue d’homme, même si Trump est battu à la fin de cette année.
Président-voyou
L’ancien conseiller de Donald Trump, le belliciste John Bolton, limogé en septembre dernier, a félicité son ancien patron d’avoir « montré qu’il n’a pas peur, lui, de prendre des risques, dont celui du chaos », de réaffirmer qu’il n’est pas contre la torture, que les États-Unis ne quitteront l’Irak que s’il s’acquitte de sa dette à leur égard, que l’assassinat ciblé comme le crime de guerre peuvent être érigés en politique. Et Bolton de conclure que si Trump continuait dans cette voie, il serait sûr de terminer son mandat et améliorerait ses chances de se faire réélire.
Jugé de beaucoup plus loin par François Hollande, président de la République française de 2012 à 2017 : « Donald Trump est capable de tous les excès, dans les compliments comme dans les dénigrements. […] En lui une forme de certitude qui s’ajoute à l’ignorance de bien des dossiers planétaires. Il n’y a pas de compromis possible avec lui.
Trump a été sous-estimé ; beaucoup avaient cru voir dans sa vulgarité, ses outrances, ses provocations une tactique. Nous pensions, parce que nous sommes des êtres raisonnables, que son entourage, ses conseillers, sa famille, son parti, voire le Congrès, parviendraient à le maîtriser, le modérer, le tempérer. Nous nous sommes trompés. Donald Trump a déchiré l’accord sur le climat, s’est écarté de l’accord sur le nucléaire iranien, s’est lancé dans une guerre commerciale avec la Chine tout en construisant un mur à la frontière avec le Mexique. […]
Un nouveau mandat de Donald Trump serait un désastre pour la lutte contre le réchauffement climatique
Ses variations, ses humeurs, ses foucades semblent la réalité de sa pensée : c’est une vision réactionnaire de la société, une conception inégalitaire de l’humanité. Il est nationaliste, protectionniste, il méprise le féminisme, les droits de l’homme, la solidarité. Un nouveau mandat de Donald Trump serait un désastre pour la lutte contre le réchauffement climatique, un danger pour la croissance et le commerce international et un risque de tensions majeures au Moyen-Orient. »
Ce portrait de Trump est celui d’un président-voyou qui est prêt à tout, y compris l’assassinat, pour être réélu. Nous pouvons aider indirectement à ce qu’il ne le soit pas.
(1) Les envoyés spéciaux des médias signalent la présence, par milliers, de mercenaires russes, syriens, soudanais et tchadiens.
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