Angola : Isabel dos Santos, une « princesse » aux abois

Le gel préventif de ses avoirs et l’ouverture d’une enquête au Portugal écornent un peu plus l’image de businesswoman à succès que s’était forgée Isabel dos Santos, la fille de l’ex-président angolais. Laquelle a déjà lancé la riposte.

La décision du tribunal provincial de Luanda lève pour la première fois le voile sur l’étendue de son empire financier. © Daniel Rodgrigues/Bloomberg via Getty Images

La décision du tribunal provincial de Luanda lève pour la première fois le voile sur l’étendue de son empire financier. © Daniel Rodgrigues/Bloomberg via Getty Images

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Publié le 13 janvier 2020 Lecture : 4 minutes.

Isabel dos Santos, le 15 mars 2019. © Unitel Angola/AP/SIPA
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Angola : le déclin de l’empire dos Santos

Après 38 ans de présidence dos Santos en Angola, la mainmise de l’ancienne famille présidentielle est remise en cause depuis l’élection du nouvel homme fort du pays, João Lourenço. Ce dernier a lancé une vaste lutte anti-corruption, frappant de plein fouet les dos Santos, qui dénoncent une chasse aux sorcières.

Sommaire

L’année 2020 commence mal pour Isabel dos Santos, huitième fortune africaine et fille aînée de l’ancien président angolais, José Eduardo dos Santos. Le 30 décembre, la justice a annoncé le gel de ses avoirs, comptes bancaires et participations dans plusieurs sociétés en Angola. Une mesure préventive visant à obtenir le paiement à l’État d’un préjudice estimé à 1,1 milliard de dollars, mais qu’Isabel Dos Santos qualifie de « persécution politique ».

Dix jours plus tard, le 10 janvier, au Portugal – autre place forte de la Princesse, actionnaire d’Eurobic (banque), d’Efacec (énergie), de Galp (pétrole) et de Nos (télécommunications) -, la justice portugaise a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les opérations financières de la femme d’affaires angolaise. Le processus a été déclenché après le dépôt d’une plainte par l’ancienne eurodéputée socialiste Ana Gomes pour blanchiment d’argent.

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Depuis plusieurs années, celle-ci demande à ce que la lumière soit faite sur l’origine des fonds angolais investis au Portugal, et notamment ceux qui ont servi à une société détenue par Isabel dos Santos à devenir actionnaire majoritaire d’Efacec.

Sacrée première Africaine milliardaire en 2013 et surnommée la Princesse durant les trente-huit ans du règne de son père, Isabel dos Santos vit des heures difficiles depuis l’arrivée au pouvoir, en 2017, de João Lourenço.

Prêts publics

C’est le tribunal provincial de Luanda, saisi par le service national de recouvrement des avoirs, qui la fait vaciller. Dans une décision de quinze pages, il explique ce qui lui est reproché : Isabel dos Santos s’est associée avec des sociétés publiques, notamment la compagnie pétrolière Sonangol, afin de créer des coentreprises. Or, pour financer ces opérations, elle s’est appuyée sur des prêts publics, dont les remboursements n’ont pas été honorés.

Et c’est parce que l’État craint de ne jamais récupérer son dû qu’il a décidé de geler ses avoirs, ainsi que ceux de son mari, Sindika Dokolo, et de leur associé portugais Mário Filipe Moreira Leite da Silva. S’ensuit la liste des actifs concernés, exposant d’une façon spectaculaire et inédite l’empire de la Princesse et sa maîtrise des sociétés holding : des participations dans neuf entités, du premier opérateur de téléphonie mobile Unitel à des banques (BIC, BFA) en passant par les médias, le ciment, la grande distribution et même la bière.

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La riposte, menée dans les médias et sur les réseaux sociaux, n’a pas tardé. Se disant victime d’une « attaque nucléaire », Isabel dos Santos a déclaré au Financial Times préparer une contre-offensive judiciaire. Elle a contesté l’ensemble des accusations et a expliqué avoir remboursé en kwanzas à Sonangol un prêt de 75 millions d’euros, une opération bloquée par les autorités angolaises en raison du changement de devises.

Argumentaire bien rodé

« Le président Lourenço mène une bataille contre l’ancien chef de l’État dos Santos », a-t-elle ajouté, pointant une « chasse aux sorcières aux motivations politiques » pour détruire l’héritage de son père. Des éléments de langage repris par son mari, Sindika Dokolo, qui a dénoncé une « cabale » et la volonté de « réécrire l’Histoire ». Tous deux n’ont pas manqué de souligner leur contribution à l’économie angolaise, selon un argumentaire bien rodé, rappelant que les sociétés d’Isabel dos Santos « emploient 20 000 personnes et ont versé 200 millions de dollars d’impôts à l’État ».

Je travaille tout le temps, sept jours sur sept

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Si elle se défend avec autant d’ardeur, c’est parce que la décision judiciaire affecte l’un de ses acquis les plus précieux : son image de femme d’affaires à succès. Face aux questions sur l’origine de sa fortune (estimée aujourd’hui à 2,2 milliards de dollars par Forbes) et aux soupçons de népotisme, elle a toujours opposé le récit d’une réussite méritée, obtenue grâce à un dur labeur et à des investissements avisés. « Je travaille tout le temps, sept jours sur sept, avait-elle déjà affirmé au quotidien britannique en 2013. Je vendais des œufs à l’âge de 6 ans. »

Conflit au sein d’Unitel

Cette déclaration avait suscité l’exaspération de la société civile angolaise, mais son image à l’étranger était demeurée intacte. Absente d’Angola depuis dix-huit mois, Isabel dos Santos avait par ailleurs pris soin de participer à de nombreux événements internationaux, du Festival de Cannes au Bloomberg Global Business Forum à New York, en passant par le Mobile World Congress de Barcelone ou le Forum Russie-Afrique de Sotchi. En fin de compte, son limogeage de la direction de Sonangol, en 2017, et la remise en cause de contrats ou de positions attribués à certaines de ses sociétés paraissaient donc avoir eu un impact limité.

Mais cette belle époque semble toutefois toucher à sa fin. Le gel de ses avoirs en Angola pourrait en effet avoir des conséquences jusqu’au Portugal. Isabel dos Santos est en outre toujours empêtrée dans un conflit d’actionnaires au sein d’Unitel, où elle croise le fer avec le brésilien Oi et Sonangol, se battant contre une décision d’arbitrage rendue en sa défaveur qui pourrait lui coûter cher.

Alors que le procès pour fraude de son demi-frère José Filomeno doit reprendre le 16 janvier, le dossier du gel des avoirs d’Isabel dos Santos devrait revenir devant la justice angolaise à la mi-mars. Ce ne sera pas sa première bataille, mais sans doute l’une des plus importantes de sa carrière.

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