Mauritanie : mis à l’écart par le président Ghazouani, son prédécesseur Aziz rumine un éventuel retour

En rompant avec son ex-dauphin et successeur, Mohamed Ould Abdelaziz s’est plus que jamais isolé des sphères du pouvoir. Mais l’ancien président refuse de s’avouer vaincu.

Au château de La Celle-Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, où se tenait une réunion de soutien au G5 Sahel, en décembre 2017. © HAMILTON/REA

Au château de La Celle-Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, où se tenait une réunion de soutien au G5 Sahel, en décembre 2017. © HAMILTON/REA

Publié le 22 janvier 2020 Lecture : 7 minutes.

À Nouakchott ce 19 décembre, reclus chez lui, Mohamed Ould Abdelaziz ne décolère pas. L’ancien président estime être depuis plusieurs jours la cible de tracasseries administratives l’empêchant de tenir une conférence de presse dans l’un des hôtels de la capitale.

Lui qui, hier encore, était l’homme fort de la Mauritanie serait désormais tributaire du bon vouloir d’un simple préfet. Il s’impatiente, la situation l’insupporte. Il se sent trahi. « Je suis persécuté », déclare-t-il d’emblée aux journalistes qu’il a finalement reçus à son domicile à la nuit tombée. Et de dénoncer un « acharnement » à son encontre après que plusieurs médias locaux ont préféré ne pas couvrir cette allocution.

Aziz a toujours été dans la confrontation. S’il n’a pas d’adversaire coriace face à lui, il se pose en victime

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« Aziz a toujours été dans la confrontation, précise le capitaine Ely Ould Krombelé, un ami de jeunesse. S’il n’a pas d’adversaire coriace face à lui, il se pose en victime. » En rompant subitement avec son dauphin et successeur, Mohamed Ould Ghazouani, qui a catégoriquement refusé qu’il prenne le leadership de l’Union pour la république (UPR), Aziz s’est totalement isolé des sphères du pouvoir. Tant qu’il reste campé sur ses positions, l’ex-président n’existe ainsi politiquement que dans l’opposition au nouveau chef de l’État.

Mohamed Ould Abdelaziz est désemparé car il a face à lui un homme puissant mais calme qui refuse de rentrer dans son jeu

« Il est désemparé car il a face à lui un homme puissant mais calme qui refuse de rentrer dans son jeu », ajoute un ex-collaborateur. Si les deux hommes, auparavant en contact permanent, ne se sont pas parlé depuis le 22 novembre, Ghazouani, qui déteste le conflit et prend soin de ne froisser personne, continue en effet de se montrer très disposé à l’égard de son prédécesseur.

Selon nos informations, les deux « frères » n’ont pas conclu d’accord politique avant le scrutin de juin dernier, pas plus qu’ils ne se sont entendus sur un futur partage du pouvoir.

Ghazouani était d’accord pour accorder d’éventuelles faveurs à son plus proche ami, mais il n’a jamais imaginé ne pas être le chef de sa propre majorité. De son côté, l’ancien chef de l’État, intimement persuadé qu’il aurait toute latitude, a franchi la ligne rouge en se présentant publiquement comme la « référence » de l’UPR.

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Directif et impulsif

« Aziz a sous-estimé l’importance que Ghazouani accorde à son serment présidentiel, estime l’un de ses fidèles. Il ne le connaît pas véritablement. À l’inverse, Ghazouani a pris le temps, durant toutes ces années, d’apprendre à comprendre le fonctionnement d’Aziz. Il sait désormais quelles sont ses qualités, ses défauts et il peut anticiper chacun de ses actes. »

Dans ses rapports personnels, Aziz demeure le seul chef. Il est fort, directif, impulsif, il ne supporte pas la critique

Si ces deux anciens généraux se vouent mutuellement un grand respect, leur relation est aussi très hiérarchisée, comme dans les rangs de l’armée. « Dans ses rapports personnels, Aziz demeure le seul chef, poursuit un proche de ce dernier. Il est fort, directif, impulsif, il ne supporte pas la critique. Il a besoin de quelqu’un de très calme à ses côtés, qui l’apaise et ne le contredise pas. » Membre de la tribu maraboutique des Ideiboussat, Ghazouani a été, durant quarante-deux ans, cet allié calme, patient et mesuré.

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Retour en 1977. Le jeune élève officier Mohamed Ould Abdelaziz a alors 21 ans. Il décide de quitter la Mauritanie, alors présidée par Mokhtar Ould Daddah, pour suivre une formation de trois ans à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc. Un an plus tard, il se lie d’amitié avec un autre jeune Mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, qui vient d’intégrer à son tour le prestigieux établissement – avec l’actuel ministre de la Défense, Hanena Ould Sidi. Une fois diplômés et promus sous-lieutenants, les deux amis multiplient, chacun de son côté, les stages à l’étranger.

Le chef de l’État (à g.) aux côtés de Mohamed Ould Abdelaziz, lors d’un meeting de campagne, le 20 juin, à Nouakchott. © SIA KAMBOU/AFP

Le chef de l’État (à g.) aux côtés de Mohamed Ould Abdelaziz, lors d’un meeting de campagne, le 20 juin, à Nouakchott. © SIA KAMBOU/AFP

En décembre 1984, l’arrivée au pouvoir à Nouakchott du colonel Maaouiya Ould Taya par un coup d’État militaire les réunit : Aziz et Ghazouani deviennent ses aides de camp. En 1991, ce dernier est promu commandant et propulsé à la tête du Bataillon blindé. Au même moment, Aziz, qui a créé le Bataillon pour la sécurité présidentielle (Basep) un an plus tôt, est écarté de son commandement par Ould Taya et muté au Bataillon de commandement et des services.

Même sous-lieutenant, Ghazouani ne consentait à se frotter qu’aux chefs. Il était très fier, voire un peu hautain, et déjà renfermé sur lui-même

Les proches du président se sont toujours méfiés de ce militaire au fort caractère, intimement persuadés qu’il pourrait, en dépit de leur proximité tribale – l’épouse d’Aziz est une Smasside, tout comme Taya –, le trahir. « Même sous-lieutenant, il ne consentait à se frotter qu’aux chefs, dit l’un de ses anciens compagnons d’armes. Il était très fier, voire un peu hautain, et déjà renfermé sur lui-même. » Après avoir suivi un cours d’état-major au Maroc, il réintègre le Basep et contribue à déjouer (avec, entre autres, l’ex-patron de la Sûreté nationale, Ely Ould Mohamed Vall, décédé en 2017), la tentative sanglante de putsch contre Taya, survenue en juin 2003.

L’année suivante, Ghazouani est promu chef du deuxième bureau à l’état-major national, et Aziz est toujours à la tête du Basep. Dès janvier 2005, les deux hommes décident de renverser Maaouiya Ould Taya – ils n’en auraient informé Ely Ould Mohamed Vall que quarante-huit heures auparavant.

En août, la mort du roi Fahd, en Arabie saoudite, signe la fin du règne du colonel : les deux compagnons profitent de sa présence aux funérailles à l’étranger pour le déposer. Taya tombera des nues en apprenant la nouvelle sur le chemin du retour. « Ely » devient président de la transition pour deux ans, et Ghazouani le remplace à la Sûreté nationale.

Aziz n’avait confiance qu’en lui

Trois ans plus tard, peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdallahi (le premier président démocratiquement élu du pays), Aziz décide là encore de le renverser. Une nouvelle fois, il en informe d’abord Ghazouani, qui vient d’être nommé chef d’état-major de l’armée. Les deux hommes, fraîchement promus généraux, vont à nouveau travailler en duo pour mener à bien ce projet. « Aziz n’avait confiance qu’en lui », se souvient leur ami commun Ely Ould Krombelé.

État de grâce

Élu en 2009 et réélu en 2014, Aziz n’est jamais parvenu à se débarrasser de cette image de putschiste qui n’a cessé de lui coller à la peau. L’opposition ne lui a jamais pardonné son péché originel : la chute de « Sidi ». Ghazouani, qui a toujours veillé à demeurer l’homme de l’ombre, a réussi à sortir des écrans radars. « Il ne subit pas les situations, il les crée et en tire profit », confie un proche.

Chez nous, il est difficile de dire la vérité aux chefs ; on les craint, et chacun a de petits intérêts en jeu

Il est d’ailleurs de ceux qui s’activeront à Paris – avec l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou –, auprès du ministre de la Défense Hervé Morin et du secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant, afin de convaincre la France de reconnaître le coup d’État.

Promu chef d’état-major général des armées en 2013, il continue d’être d’une grande loyauté à Aziz. Mais il reste fidèle à une ligne de conduite : considérant que l’armée est son seul champ d’action légitime, il refuse d’interférer dans les affaires politiques, laissant le « patron » seul à la manœuvre.

Et il ne s’immisce pas dans la vie privée de ce dernier. « Contester l’autorité d’Aziz était impossible », souffle un ami. « Chez nous, il est difficile de dire la vérité aux chefs ; on les craint, et chacun a de petits intérêts en jeu », analyse Ely Ould Krombelé.

Aujourd’hui, les gens ne l’aiment pas, mais ils l’aimeront sans doute demain. Ghazouani ne pourra pas faire de miracle

Mais les mécontents s’expriment désormais au grand jour. Si Ghazouani, qui vit un interminable état de grâce, est épargné par l’opposition, celle-ci n’hésite pas à cibler Aziz, réclamant une enquête sur sa gestion durant ses deux mandats.

Et l’ex-chef est aussi attaqué par son ancienne majorité. « Aujourd’hui, les gens ne l’aiment pas, mais ils l’aimeront sans doute demain, parie un membre de son premier cercle. Ghazouani ne pourra pas faire de miracle. Forcément, les résultats ne seront pas immédiats, et il sera contraint d’en payer le prix. »

En attendant, l’ex-président ne compte pas baisser les bras. Il continue de prendre des cours d’anglais et, surtout, envisage de créer un parti politique. Autrefois infatigable joggeur – il aimait courir 10 km par jour, au petit matin –, il vient de se lancer dans une nouvelle course de fond qui va lui demander beaucoup d’endurance.

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