[Édito] Crise entre l’Iran et les États-Unis : tenir jusqu’en novembre

La crise entre l’Iran et les États-Unis n’aura pas de solution tant que Donald Trump sera à la Maison-Blanche. On n’ira pas jusqu’à la guerre, mais on ne fera pas la paix. On ne renouera pas la négociation, on ne cherchera pas une entente. On attendra le résultat de l’élection présidentielle de novembre prochain.

Le président Donald Trump, le 21 janvier 2020.. © Evan Vucci/AP/SIPA

Le président Donald Trump, le 21 janvier 2020.. © Evan Vucci/AP/SIPA

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Publié le 21 janvier 2020 Lecture : 5 minutes.

À propos de Donald Trump, l’ancien président français François Hollande a écrit : « Il n’y a pas de compromis possible avec lui. Un nouveau mandat de Donald Trump serait un désastre. »

Je suis d’accord avec François Hollande, que j’ai cité ici même, mais ce sont les électeurs américains qui auront à voter en novembre prochain pour réélire Donald Trump ou pour le renvoyer à ses affaires immobilières. Qu’est-ce qui, de l’extérieur, pourrait favoriser cette seconde hypothèse ?

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Les dirigeants chinois ? Ils viennent de signer avec lui une trêve commerciale, ce qui, à mon avis, signifie qu’ils estiment que son éventuelle réélection pour un mandat de quatre ans serait de nature à affaiblir davantage le rival américain et à servir les intérêts, à long terme, de la Chine. À moins qu’ils ne se soient tout bonnement accommodés de lui.

L’Iran ? Entre l’actuel occupant de la Maison-Blanche et la République islamique, aucun accord n’est possible ; désormais, c’est la guerre sous toutes ses formes. Posons-nous donc la question : Trump tombera-t-il en 2020 à cause de l’Iran, comme avant lui, en 1980, Jimmy Carter ? C’est tout à fait possible.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Neville Chamberlain et Édouard Daladier, les dirigeants britannique et français de l’époque, avaient nourri l’espoir d’apaiser Hitler et, ainsi, d’éviter un conflit armé avec l’Allemagne. Fustigeant cette vaine tentative, parce que convaincu que Hitler voulait la guerre, Winston Churchill avait eu alors cette formule : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous aurez le déshonneur et vous aurez la guerre. »

La politique actuelle des États-Unis est de casser, faire s’agenouiller l’Iran

Les dirigeants actuels du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France font, en 2020, la même erreur avec un autre leader non moins déterminé qu’Adolf Hitler : Donald Trump. Le président des États-Unis n’est certes pas belliciste comme l’était le Führer, mais « il n’y a pas de compromis possible avec lui ». Et, s’il en fait un, il n’a ensuite aucun scrupule à le violer. N’a-t-il pas déchiré le traité conclu avec l’Iran par son pays et les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (plus l’Allemagne) ?

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La politique de « pression maximale »

Qu’ont fait alors les dirigeants des trois puissances européennes cosignataires ? Ils ont déploré ce reniement, ont même tenté de dissocier leur pays de cette faute caractérisée. Mais sans conviction et sans résultat. Ayant échoué en 2019, ils viennent, en 2020, de sommer l’Iran de rester fidèle à sa signature, alors qu’eux-mêmes se sont révélés incapables d’honorer la leur.

Ont-ils cédé aux pressions de Donald Trump, comme les en accuse l’Iran ? Se sont-ils ainsi engagés dans la voie du déshonneur ? L’avenir le dira, et l’on saura dans les prochaines semaines pourquoi ils n’ont pas aidé financièrement l’Iran à faire face aux tentatives américaines de l’asphyxier. Le président français, Emmanuel Macron, a exploré cette voie mais n’a pas persévéré, et c’est la politique de « pression maximale » sur l’Iran qui prévaut, avec son cortège de conséquences déstabilisatrices.

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En menaçant la République islamique, les trois grandes puissances européennes risquent le déshonneur, la guerre et l’apparition d’un Iran devenu – au cours de la décennie – une puissance nucléaire. À l’instar du Pakistan et de la Corée du Nord.

De l’« axe du mal » à un partenaire

L’Iran n’est pas une démocratie, tant s’en faut, et ses dirigeants encourent bien des reproches. Mais ce pays de près de 100 millions d’habitants est une nation millénaire, l’une des plus anciennes du Moyen-Orient et même du monde. Et devrait, à ce titre, être un tant soit peu ménagé.

Barack Obama l’avait compris et avait entrepris, quoique trop tard, de rectifier les torts que les États-Unis (et le Royaume-Uni) avaient eus envers l’Iran. Sa politique iranienne – inscrite dans le long terme – visait à sortir ce grand pays de l’« axe du mal » pour en faire un partenaire.

Sous l’influence néfaste de ses deux principaux alliés au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie saoudite, Trump a inconsi­dérément choisi de briser ce processus de réconciliation progressive avec l’Iran*.

Thierry de Montbrial, président de l’Ifri, décrit en ces termes les objectifs de Trump : « La politique actuelle des États-Unis est de casser, faire s’agenouiller l’Iran, le faire renoncer à l’arme nucléaire sans compromis, ainsi que de rejeter toute idée que l’Iran puisse avoir une influence dans d’autres pays. Cette politique américaine a adopté la vision israélienne et saoudienne, avec une alliance improbable entre les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et Israël. Elle ne marchera pas. »

Décision « profondément décevante des Européens »

On en est là, et l’on se pose la question : les trois puissances européennes, les Russes et les Chinois seront-ils en mesure de maintenir en vie l’accord qu’ils ont conclu avec les Iraniens jusqu’à l’élection présidentielle américaine de novembre ? Oui, si la France et l’Allemagne font front commun et si le Royaume-Uni ne les lâche pas trop vite pour épouser la position américaine.

Le nouveau Premier ministre britannique, Boris Johnson, a déjà suggéré de se mettre à la recherche d’un nouvel accord. On lui a objecté que l’actuel président américain passait son temps à violer les accords signés par son pays avec le Mexique, le Canada, l’Otan, l’Unesco, de même que sur le climat, et qu’il n’y avait pas d’exemple de réussite d’une entente durable avec lui.

Vous nous devez des excuses pour vous être montrés faibles, timides, incapables de vous opposer à l’Amérique

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dénoncé les actions irréfléchies et la décision « profondément décevante des Européens » ; son homologue iranien a qualifié celle-ci d’« erreur stratégique ».

Le président iranien, Hassan Rohani, est allé encore plus loin et, s’adressant aux Européens, leur a dit : « Vous nous devez des excuses pour vous être montrés faibles, timides, incapables de vous opposer à l’Amérique. » La crise entre l’Iran et les États-Unis n’aura donc pas de solution tant que Trump sera à la Maison-Blanche. On n’ira pas jusqu’à la guerre, mais on ne fera pas la paix. On ne renouera pas la négociation, on ne cherchera pas une entente. On attendra le résultat de l’élection présidentielle de novembre prochain.

* Pour faire bonne mesure, il a par ailleurs cassé le processus, esquissé par Obama, de réconciliation des États-Unis avec Cuba.

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