Maroc : retour sur vingt ans de relation spéciale entre Mohammed VI et les présidents français
En vingt ans de règne, Mohammed VI a connu pas moins de quatre chefs de l’État français. Malgré quelques rares couacs, les liens entre les deux pays sont restés invariablement forts, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron, en passant par Nicolas Sarkozy et François Hollande.
L’entretien téléphonique n’a pas fait l’objet d’une communication particulière de la part de l’Élysée. C’est peut-être d’autant plus révélateur de son importance. À la veille de la conférence de Berlin sur la Libye [19 janvier], à laquelle le Maroc n’était pas convié, Emmanuel Macron a pris son combiné et appelé son homologue, le roi Mohammed VI. « Le rôle important du royaume du Maroc et ses efforts reconnus, depuis de longues années, en vue de la résolution de la crise dans ce pays maghrébin ont été soulignés », a révélé le Palais par la suite.
Selon nos informations, Paris aurait souhaité que la conférence accueillie par l’Allemagne réserve un siège à la diplomatie chérifienne. Le message a été transmis à Rabat.
Exceptionnelles, fraternelles, séculaires, exemplaires… les superlatifs ne manquent pas pour qualifier les relations maroco-françaises. Les contacts entre hauts responsables sont permanents, les rencontres physiques aussi. En décembre 2019, la 14e rencontre de haut niveau France-Maroc, coprésidée par Édouard Philippe et Saadeddine El Othmani, a permis la signature à Paris de nouveaux accords, et la promesse d’une coopération encore accrue.
Le 31 janvier, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances, viendra porter le même message au royaume. La visite d’État d’Emmanuel Macron, prévue pour le 12 février, a, elle, été reportée. Une décision qui soulève des interrogations quant à un éventuel rafraîchissement des relations…
Car la bonne entente sur l’axe Rabat-Paris dépend d’abord des liens entre les deux palais. C’est entre le Méchouar et l’Élysée que les grands dossiers se jouent.
Depuis son intronisation, en 1999, Mohammed VI a vu défiler quatre locataires du palais présidentiel français. Avec chacun d’eux, il a entretenu des rapports particuliers et négocié des virages décisifs, imprimant son style. Surtout, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron, Mohammed VI a toujours réussi à convertir les présidents français en fervents alliés du régime.
• 1999-2007 – Le précepteur de Sa Majesté
C’est à ses côtés, pour les célébrations du 14 juillet 1999, que Hassan II avait fait sa dernière apparition publique. Une dizaine de jours plus tard, Jacques Chirac apprend à Abuja (Nigeria) la disparition de son ami. La tournée africaine du président français est abrégée pour qu’il puisse assister aux obsèques du roi.
À en croire le journaliste Jean-Pierre Tuquoi, qui a consacré plusieurs livres aux relations franco-marocaines, Jacques Chirac profite des funérailles pour glisser à l’oreille de Mohammed VI : « Majesté, je dois beaucoup à votre père, et si vous le souhaitez, tout ce qu’il m’a donné, je m’efforcerai de vous le rendre. » Ce serment, le président de la République l’honorera tout au long de son double mandat et bien au-delà.
Affection
Le premier déplacement officiel de Mohammed VI à l’étranger a tout naturellement été réservé à la France, en mars 2000. Chirac le reçoit avec des égards protocolaires qui en disent long sur l’affection et la considération portées au successeur de Hassan II.
Quand le président se rend à Fès, en octobre 2003, il a lui aussi droit à un accueil somptueux. Au cours de cette visite, Chirac plaide pour un « statut avancé » du Maroc au sein de l’Union européenne : « Le Maroc a fait depuis longtemps le choix de l’Europe. Il doit en être le partenaire privilégié. »
Accords avec l’UE, dossier du Sahara, crise de l’îlot Leïla, crispations avec l’Espagne, affaire Driss Basri… Sur tous les fronts, l’ancien président français a été un allié indéfectible et un soutien sans réserve du Maroc.
Jusqu’à ses dernières années, Jacques Chirac – décédé en septembre 2019 – avait ses habitudes au royaume, notamment dans la région d’Agadir, où il passait les fêtes de fin d’année. Le plus souvent d’ailleurs, dans une résidence privée en bord de mer mise à sa disposition par Mohammed VI, avec lequel il continuait à entretenir des relations quasi familiales.
• 2007-2012 – Nicolas en famille
Jambes croisées, semelle face à Mohammed VI… L’attitude arrogante de Nicolas Sarkozy lors de sa première rencontre avec le roi, en 2007, avait fait grincer les dents au protocole chérifien.
Après avoir consacré sa première visite à l’Algérie, le président français était venu en conquérant au Maroc, décidé à vendre coûte que coûte ses avions de chasse Rafale.
Il se fait finalement doubler par les F-16 américains, mais réussit néanmoins à repartir avec un carnet de commandes plein : des contrats signés avec des entreprises françaises pour des milliards d’euros, dont le fameux projet de TGV reliant Tanger à Casablanca… Surtout, Nicolas Sarkozy rentre à Paris avec une perception totalement changée du royaume et de sa monarchie.
Fascination
Dès lors, le président français choisit de faire du Maroc un marqueur de son mandat. Lors de sa deuxième année à l’Élysée, Sarkozy lance depuis Tanger l’appel de l’Union pour la Méditerranée. Avec Mohammed VI, l’air suffisant des débuts cède la place à une forme de fascination.
Au point que la France se meut en avocat du royaume, apportant son soutien total au plan marocain d’autonomie du Sahara. Des envolées lyriques pour encenser le roi lors des révolutions arabes aux tirs de barrage contre tous les détracteurs du royaume au Parlement européen, les preuves d’amour ne manquent pas.
Durant son mandat, Nicolas Sarkozy a effectué pas moins de quatre visites privées au Maroc. Durant certaines de ces escapades, le roi lui-même vient chercher le président français pour une balade en famille à Marrakech.
Le charme marocain semble agir bien des années après que Nicolas Sarkozy a quitté l’Élysée.
Retraité de la politique, ce dernier a accepté en septembre 2019 d’être l’invité d’honneur de la deuxième université d’été de la CGEM, le patronat marocain.
• 2012-2017 – Crise passagère
Ce n’est qu’à la fin du mandat de François Hollande que le président et le monarque sont devenus proches. À une semaine de la présidentielle de 2017, à laquelle le socialiste n’était pas candidat. François Hollande invite Mohammed VI ainsi que d’autres personnalités pour un déjeuner à l’Élysée.
Quelques jours plus tard, les clients du café Philippe, dans le 3e arrondissement de Paris, sont ébahis en voyant entrer le monarque, venu de façon impromptue ravir François Hollande à son déjeuner pour une virée à l’Institut du monde arabe !
Pourtant, l’axe Rabat-Paris avait été secoué par la crise la plus grave des cinq dernières décennies. Deux ans après l’élection de Hollande, en février 2014, le Maroc suspend sa coopération judiciaire avec la France, après qu’un juge d’instruction français a adressé une convocation au patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), Abdellatif Hammouchi, pour une affaire de torture. La convocation est envoyée à la résidence de l’ambassadeur du Maroc, à Neuilly. Rabat juge l’acte hostile, inamical et délibéré. La relation devient glaciale.
Il faut attendre l’année suivante, et la série d’attentats qui endeuillent la France au début de 2015, pour que les deux pays se rapprochent à nouveau, sur fond de collaboration dans la lutte antiterroriste. Cette année-là, les ministres de la Justice des deux pays signent un protocole additionnel à l’accord de convention d’entraide judiciaire qui les liait, comme le souhaitait le Maroc.
Pour tourner définitivement la page, François Hollande se rend au royaume en septembre 2015. Il est reçu avec les honneurs à Tanger, scellant ainsi cette nouvelle phase de partenariat. Durant ce déplacement, Mohammed VI et François Hollande partagent deux repas, l’un au cours d’une cérémonie, l’autre à titre privé. Un début de relations personnelles est ainsi noué.
• 2017-2020 – Nouvelle idylle
Le rendez-vous aurait dû avoir une dimension particulière, car, jusque-là, Emmanuel Macron s’était contenté de visites éclair au Maroc. Pour sa première visite d’État, prévue le 12 février, deux émissaires de haut rang avaient été chargés de baliser le terrain : Philippe Grangeon, conseiller spécial à l’Élysée, et Pierre Person, député de La République en marche et numéro deux du parti.
Las, la visite a – de nouveau – été déprogrammée, sans que soit annoncée une nouvelle date ni fournie une quelconque explication.
Les relations entre les deux pays sont pourtant au beau fixe. Notamment en matière de coopération militaire. Selon l’hebdomadaire La Tribune, deux gros contrats viennent d’être signés par des industriels de l’armement français : l’un par Nexter – 200 millions d’euros pour des systèmes d’artillerie sur camion Caesar et leurs munitions –, l’autre par MBDA – 200 millions d’euros de missiles VL-Mica terrestres. Et malgré la concurrence accrue de la Chine et de la Russie notamment, la France conserve sa place de deuxième partenaire commercial du Maroc.
Ftour initial
C’est qu’au lendemain de son élection Emmanuel Macron avait choisi de rompre avec la tradition instaurée par Nicolas Sarkozy, et maintenue par François Hollande, de réserver la première visite de la région à l’Algérie. Le président français s’est rendu à Marrakech, dès juin 2017, pour « une visite personnelle » d’une soirée et une nuit qui lui a permis de faire connaissance avec le roi Mohammed VI autour d’un ftour ramadanesque.
Emmanuel Macron est depuis revenu au Maroc en novembre 2018 pour l’inauguration du train à grande vitesse construit par des entreprises françaises et qui relie Tanger à Casablanca. Quelques jours auparavant, Mohammed VI assistait, aux côtés du chef de l’État français et d’autres dirigeants du monde, à la célébration, à Paris, du centenaire de l’armistice.
Sur les traces de son père
Apprendre à tenir son rang princier lors d’un événement international figure probablement parmi les premiers chapitres du manuel d’apprentissage des rois alaouites. Et il n’y a pas de terrain plus propice que la France pour la pratique… Aussi, la première sortie officielle de Moulay El Hassan sur la scène internationale ressemblait en tout point à celle de son père. À la fin de septembre 2019, l’altesse royale a été dépêchée à Paris pour les funérailles du président Jacques Chirac, comme représentant de Mohammed VI.
Ce dernier avait lui-même été envoyé par Hassan II, en 1974, aux obsèques de Georges Pompidou. Il avait à peine 11 ans. Le jeune prince avait captivé les caméras.
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