Diamants : l’Angola change de système

En 2018, le président João Lourenço a modifié les règles de commercialisation des gemmes. Objectif : améliorer la transparence et les recettes de l’État.

La société nationale Sodiam a perdu son monopole d’acheteur imposé. © ACACIA MINING PLC

La société nationale Sodiam a perdu son monopole d’acheteur imposé. © ACACIA MINING PLC

ESTELLE-MAUSSION_2024

Publié le 29 janvier 2020 Lecture : 6 minutes.

Usine de la mine d’or de Tongon, en Côte d’Ivoire, exploitée par la compagnie Randgold (devenu Barrick ; photo d’illustration). © Olivier pour JA
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Mines en Afrique : le grand bouleversement

Du défi de la sécurité pour les miniers au Sahel, en passant par les changements à l’œuvre dans la filière diamant en Angola, où la commercialisation des pierres a été libéralisée, ainsi qu’à Madagascar, où le gouvernement veut faire le ménage pour défendre ses intérêts, avec un nouveau code minier, Jeune Afrique s’arrête sur les grandes tendances du secteur, en commençant par le point de vue de Mark Bristow, figure de proue du secteur aurifère.

Sommaire

Plusieurs acteurs du secteur n’hésitent pas à parler de « révolution ». Ces deux dernières années, après l’arrivée au pouvoir du président João Lourenço, en septembre 2017, les règles du jeu dans le monde du diamant angolais ont changé. L’enjeu est de taille. Figurant dans le top 10 mondial des producteurs de gemmes (9,1 millions de carats en 2019), le pays veut en finir avec l’opacité héritée du passé, encourager les investissements privés et augmenter ses recettes. Pour ce faire, il a engagé une libéralisation du secteur qui doit permettre, à terme, de placer l’Angola sur la troisième marche du podium mondial diamantifère.

Ce grand chambardement s’est déroulé en plusieurs temps. Sans surprise, le président nouvellement élu a commencé, en novembre 2017, par changer les directions des deux entreprises publiques clés du secteur : Endiama, société qui en assure la supervision, et Sodiam, l’une de ses filiales, consacrée à la commercialisation des gemmes.

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Après cette vague de nominations – dont celle de José Manuel Ganga Júnior, ancien patron de la principale mine du pays, Catoca, à la tête du conseil d’administration d’Endiama, l’exécutif angolais a pris une mesure symbolique. Fin 2017, il a annoncé que Sodiam se retirait d’une coentreprise créée avec une société contrôlée par la fille de l’ancien président, Isabel dos Santos, et son mari, Sindika Dokolo, pour investir dans la marque de joaillerie de luxe suisse De Grisogono – qui s’est déclarée en faillite ce 29 janvier. Selon l’État, il s’agissait de mettre fin à un partenariat « ne générant que des pertes », un point que confirment les révélations récentes des « Luanda Leaks ».

En rupture avec la pratique héritée de l’époque de la guerre civile

Mais la réforme cruciale est intervenue plus tard, après une visite du chef de l’État à Anvers, en Belgique, en juin 2018. Dès le mois suivant, un décret présidentiel autorise les sociétés diamantifères à vendre librement jusqu’à 60 % de leur production de gemmes, cassant le monopole de Sodiam, jusqu’alors acheteur imposé par l’État. « C’est un signal fort envoyé aux producteurs comme aux investisseurs, qui savent qu’ils pourront vendre la majorité de leurs pierres au meilleur prix », souligne Pedro Daniel Capumba, conseiller auprès de la direction générale de la mine de Catoca.

Seulement 40 % des pierres continuent à transiter par un circuit imposé par l’État : pour moitié vers Sodiam, pour l’autre vers trois centres de taille et de polissage (Angola Polishing Diamonds, Angola Stone Polished Diamond et Pedra Rubra). Depuis, deux ventes aux enchères ont été organisées (sur une plateforme en ligne) par Sodiam : la première en janvier 2019 pour des pierres venant de la mine alluviale de Lulo, exploitée par la société australienne Lucapa Diamond Company ; la seconde fin décembre, avec des gemmes venant de Catoca, de Lulo et de la Société minière de Cuango.

Ce nouveau système entre en rupture avec la pratique en vigueur jusqu’à présent, héritée de l’époque de la guerre civile (1975-2002). Durant les années 1990, après une campagne mondiale contre les « diamants du sang », les gemmes – principalement utilisées par l’un des groupes de libération du pays, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), pour financer son effort de guerre – passent sous le contrôle du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), dirigé par José Eduardo dos Santos et reconnu par la communauté internationale. Le président confie l’exploitation des mines à des sociétés dirigées par des personnes de confiance, dont des généraux et sa fille aînée, Isabel dos Santos.

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Un manque à gagner de plus de 8 milliards de dollars sur dix ans pour l’État

Au tournant des années 2000, un système de commercialisation se met en place avec la création de Sodiam comme unique acquéreur des gemmes, lequel revend exclusivement à quelques « acheteurs préférentiels ». Imposé aux producteurs, ce circuit doit permettre au pays de maîtriser la ressource. Mais l’acquisition des pierres se déroule lors de transactions manquant de transparence, et passant notamment par Dubaï.

Selon le lanceur d’alerte belge David Renous et l’ancienne eurodéputée portugaise Ana Gomes, les gemmes qui quittent l’Angola sont sous-évaluées avant d’être revendues à l’étranger à leur prix réel, les acheteurs et leurs associés encaissant la plus-value. Ce schéma aurait entraîné un manque à gagner de plus de 8 milliards de dollars sur dix ans pour l’État. C’est pour y mettre fin, améliorer la transparence et augmenter les recettes publiques que la réforme a été lancée.

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Cette réforme s’inscrit dans un mouvement plus global visant à libéraliser l’ensemble du secteur diamantifère. À terme, l’exécutif veut remplacer la société Sodiam – qui demeure l’organisme chargé d’organiser la commercialisation des gemmes – par une Bourse du diamant, sur le modèle de ce qui existe à Anvers ou à Dubaï par exemple.

De même, les autorités veulent restructurer la société nationale Endiama : elle ne serait plus chargée de l’attribution des concessions minières – une activité confiée à une Agence nationale des ressources naturelles – et serait en partie privatisée. « On assiste au passage d’un système étatisé marqué par l’opacité à un système beaucoup plus ouvert, commente un acteur d’une grande place diamantaire. Cela doit garantir des recettes alignées sur le prix du diamant au niveau mondial et encourager les investissements privés. »

25 millions de dollars de l’indien KGK pour un centre de taille

Sur ce dernier point, les réformes engagées ont un impact positif. En novembre 2019, un quatrième centre de taille de diamants a ouvert à Luanda, porté par le groupe indien KGK (dont le siège est à Hong Kong). Ayant déjà investi 5 millions de dollars dans le projet, il prévoit d’en consacrer 25 millions au total, faisant passer le nombre d’employés de 50 à 200.

Sur le plan de la prospection, les discussions vont bon train avec les grands du secteur. Outre le russe Alrosa, présent dans le pays de longue date, AngloAmerican a officialisé son arrivée en Angola, intéressé par les diamants mais aussi par le cuivre. Le géant Rio Tinto est également sur les rangs pour prospecter dans la région des Lundas (Nord-Est). Le gouvernement veut enfin convaincre De Beers, présent par le passé, de revenir. Depuis la rencontre, en 2018, entre le patron du groupe, Bruce Cleaver, et João Lourenço, les négociations continuent.

Tout n’est pas gagné pour autant. D’une part, les réformes lancées doivent se poursuivre afin de produire tous les effets escomptés, le tout dans un contexte mondial morose après une baisse de 5 % du prix du diamant en 2019 et de 25 % des revenus des miniers, selon Bain & Company. D’autre part, la réussite de ces réformes dépend en grande partie de la capacité d’Endiama et de Sodiam à se moderniser et à adopter de nouvelles pratiques – un changement qui pourrait provoquer des résistances.

Et si la majorité des acteurs salue la nouvelle politique commerciale, il est encore difficile de vérifier concrètement si celle-ci s’est soldée par une hausse des revenus pour l’État. La première enchère a concerné un petit nombre de pierres de qualité exceptionnelle, il est donc difficile d’en tirer des leçons, et le bilan de la deuxième enchère n’a pas encore été publié. Malgré tout, a souligné Endiama en présentant son bilan annuel début 2020, la société a maintenu ses recettes à 1,2 milliard de dollars en 2019, un niveau identique à celui de l’an passé.

300 millions de dollars d’investissements à Luaxe

C’est le nouveau joyau diamantifère de l’Angola. Situé à 25 kilomètres de Catoca, quatrième plus grande mine à ciel ouvert du monde assurant 75 % de la production angolaise, le site de Luaxe est la plus grande découverte de ces soixante dernières années. Son potentiel est estimé à 350 millions de carats quand les réserves de Catoca se montent à 130 millions. De quoi se frotter les mains pour les exploitants du site, la compagnie nationale Endiama, le géant russe Alrosa et la société Leviev International. Découvert en 2009, ce trésor kimberlite s’étend sur 100 hectares et pourrait atteindre 400 mètres de profondeur. Alrosa qui, avec ses associés, prévoit d’investir 300 millions de dollars dans une première phase d’exploitation, a annoncé le début de l’exploitation pour mi-2020.

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