[Tribune] Le « blackface », une hypocrisie française

Des employés de l’entreprise Le Slip français ont publié la vidéo sur laquelle une femme arborant un « blackface » et un homme déguisé en singe dansent grossièrement sur Saga Africa. Une pratique raciste reléguée au second plan par les médias français.

Capture d’écran de la vidéo de la soirée des employés du Slip français. © DR

Capture d’écran de la vidéo de la soirée des employés du Slip français. © DR

Leonard Cortana
  • Léonard Cortana

    Doctorant en cinéma à la New York University et chercheur au Berkman Klein Center de Harvard.

Publié le 31 janvier 2020 Lecture : 2 minutes.

On aurait aimé ne plus avoir à en parler mais voilà, une nouvelle affaire de blackface agite la Toile en ce début de 2020. Des employés d’une entreprise textile, Le Slip français, ont publié sur Instagram la vidéo d’une soirée : l’une des leurs, vêtue d’un boubou et visage grimé en Noire, danse grossièrement sur Saga Africa, en compagnie d’un autre invité déguisé en singe, sous les rires d’une troisième convive.

Ce qui interpelle, une fois de plus, c’est la virtuosité avec laquelle les médias français réorientent le débat. L’indispensable discussion sur le caractère profondément raciste de cette parodie a à peine eu lieu, remplacée par une controverse sur la légitimité des sanctions infligées par l’entreprise à ses salariés « pour des faits relevant de la vie privée ». Une sorte de double peine pour tous ceux qui pourraient se sentir blessés par ces blackfaces récurrents.

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Imagerie coloniale

Déjà, il y a quelques mois, le recours au blackface dans le cadre d’un spectacle de la Sorbonne aurait pu – aurait dû – pousser à examiner le phénomène. Mais le soutien d’artistes, d’intellectuels et même de la ministre de l’Enseignement supérieur au metteur en scène avait orienté le débat vers la liberté de création. Et quand, en avril 2019, l’universitaire Mame-Fatou Niang et l’écrivain Julien Suaudeau ont demandé le retrait de la fresque d’Hervé di Rosa à l’Assemblée nationale française, une œuvre à l’imagerie coloniale censée « célébrer » la fin de l’esclavage, de nombreux articles avaient crié à la censure.

Cette réticence à examiner le problème tient en partie au manque criant de personnes afro-descendantes dans l’espace médiatique français. Et elle relève surtout d’un besoin viscéral d’arguer d’une innocence ou d’une naïveté blanche, marqueur permanent dans ce débat. Des universitaires comme Myriam Cottias et des collectifs militent pour qu’enseigner l’esclavage ne se limite pas seulement à une évocation des crimes contre l’humanité ni à une célébration de l’abolitionnisme, mais que l’on parle aussi de l’histoire culturelle et des figures de la résistance.

S’opposer fermement au blackface ne peut pas être assimilé à un combat « communautariste », comme le prétendent certains médias. C’est un acte qui répond à l’urgence d’honorer ceux qui se sont battus non seulement pour exister, mais aussi pour exister différemment dans l’imaginaire collectif national. L’enjeu est donc double : lever définitivement l’hypothèse d’ignorance et de légèreté non raciste autour des blackfaces, et rester vigilant face aux détournements contrôlés du vrai débat. Pour la mémoire de nos ancêtres.

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