[Édito] Algérie : quand Macron brise enfin les tabous

En faisant un parallèle entre les « défis mémoriels » que constituent la guerre d’Algérie, pour lui, et la Shoah, pour Jacques Chirac en 1995, Emmanuel Macron a déclenché l’ire de ceux qui, en France, n’ont toujours pas fait le deuil de l’époque coloniale. Il a eu le courage, au moment où l’Algérie change et s’ouvre, de s’attaquer à un tabou.

Emmanel Macron lors de sa visite en Algérie, le 13 février 2017. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Emmanel Macron lors de sa visite en Algérie, le 13 février 2017. © Anis Belghoul/AP/SIPA

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Publié le 3 février 2020 Lecture : 3 minutes.

« Je suis très lucide sur les défis mémoriels que j’ai devant moi, et qui sont politiques. La guerre d’Algérie est sans doute le plus dramatique d’entre eux. Je le sais depuis ma campagne. Ce défi est, je pense, du même ordre que celui auquel Jacques Chirac fit face, en 1995, en condamnant le rôle des autorités françaises de l’époque dans la Shoah. » Que n’avait pas dit là Emmanuel Macron !

Droite et extrême droite françaises, qui, à l’évidence, n’ont toujours pas fait leur deuil de l’époque coloniale, lui sont alors tombés dessus. À bras raccourcis. Comment osait-il comparer les braves soldats français qui combattirent en Afrique du Nord aux bourreaux nazis, ces monstres de la pire espèce ? Décidément, ce Macron était un traître et un renégat. En 2017, lors de la visite qu’il fit à Alger pendant sa campagne présidentielle, n’avait-il pas déjà insulté le drapeau en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » ?

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Prendre de la hauteur

Le président français a pourtant mille fois raison. Et il manifeste même, en l’occurrence, un indéniable courage.

D’autant qu’il n’a aucun bénéfice électoral à attendre de ses propos. Il a certes commis une maladresse en les tenant dans l’avion qui le ramenait d’Israël, où il avait participé à la commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, mais il n’empêche : les accusations de ses adversaires politiques sont d’une insondable bêtise.

Réflexe pavlovien ou vraie conviction ? Peu importe. Il est des moments où l’on est en droit d’attendre des responsables politiques qu’ils prennent un peu de hauteur.

Transparence

Las ! ils sont de moins en moins nombreux à le faire. Emmanuel Macron n’a nullement comparé les deux tragédies, mais simplement expliqué qu’en sa qualité de premier responsable de la République il se devait de faire à propos de la guerre d’Algérie ce que fit Chirac, en juillet 1995, lors de la commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vél’d’Hiv : reconnaître la responsabilité de l’État français dans les atrocités commises.

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Peu importe, d’ailleurs, la nature desdites atrocités – esclavage, colonisation, Shoah ou génocide des Tutsis au Rwanda – et l’époque où elles furent commises. Cacher la poussière sous le tapis n’a jamais rien réglé. Nier le passé, a fortiori lorsqu’on n’en est pas comptable, n’a jamais aidé à préparer l’avenir.

En ces temps où tout le monde exige davantage de transparence, il est ahurissant de constater que tout travail mémoriel se heurte, encore et toujours, aux mêmes écueils, que l’on continue de préférer le tabou à l’exploration sereine. Seuls les historiens s’y risquent, dans l’indifférence générale, et en trouvant souvent le moyen de s’écharper entre eux.

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Courage

Né bien après la fin de la guerre, le chef de l’État français n’a aucun tabou s’agissant de l’Algérie et ne se soumet à aucune doxa. Il a même, en ce domaine, manifesté bien plus de courage que tous ses prédécesseurs.

François Hollande, pourtant très sensible, par éducation, à la question algérienne, s’était par exemple contenté de qualifier la colonisation d’« injuste et brutale » ; Chirac avait pour sa part appelé à « regarder le passé en face, d’un côté comme de l’autre », mais avait laissé une loi, adoptée en catimini à l’Assemblée en 2005, évoquer le « rôle positif » de la colonisation, avant de l’abroger. Mais le mal était fait – et l’ire d’Alger suscitée.

Quant à Nicolas Sarkozy, il a beaucoup tergiversé, refusé avec force toute espèce de repentance, mais concédé néanmoins que le système colonial était « injuste par nature » et qu’il s’apparentait à « une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». Doux euphémisme !

Tourner la page

Macron est déjà allé bien plus loin. Pendant sa campagne électorale, on l’a dit, puis, une fois à l’Élysée, en honorant les harkis et en rappelant la dette de la France à leur endroit. Surtout, en septembre 2018, en reconnaissant que le militant communiste – et indépendantiste – Maurice Audin était bel et bien « mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France ». Un « système » qui conduisit à des « actes terribles », prit-il soin de préciser.

Tout le monde savait. En 2013, le tristement célèbre général Aussaresses était même passé aux aveux. Alors pourquoi continuer à mentir ou à taire l’évidence ? Pourquoi ne pas tendre la main, au moment où l’Algérie change et s’ouvre ?

Au-delà même de toute considération morale, on ne voit pas ce que la France aurait à perdre à cette reconnaissance. Voilà deux décennies que l’on parle de tourner la page et d’en écrire une nouvelle. N’est-ce pas le moment ou jamais de passer de la parole aux actes ?

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