[Tribune] Un capitalisme plus africain
Alors que le manifeste de Davos version 2020 appelle à un « capitalisme des parties prenantes », les aspects les plus originaux et inclusifs du capitalisme africain peuvent être mis à contribution, modernisés et renforcés pour répondre aux nouveaux défis (environnementaux, sociaux et sociétaux) qui affectent le continent.
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Joël Té-Léssia Assoko
Joël Té-Léssia Assoko est journaliste spécialisé en économie et finance à Jeune Afrique.
Publié le 12 février 2020 Lecture : 3 minutes.
Il était difficile, fin janvier, d’écouter l’élite du capitalisme mondial, à Davos qui plus est, discourir sur « l’objectif universel d’une entreprise dans la quatrième révolution industrielle ». Avait-on vraiment besoin du professeur Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial, pour savoir qu’une entreprise « sert la société dans son ensemble par ses activités, soutient les communautés parmi lesquelles elle [se trouve] et paie sa juste part d’impôts » ?
Le manifeste de Davos version 2020 vient actualiser celui de 1973. Pour rappel, ce dernier a été publié un an après la création du Programme des Nations unies pour l’environnement et durant l’année de la IVe Conférence des non-alignés à Alger, qui appelait à un nouvel ordre économique mondial, celle aussi du premier choc pétrolier et de la « famine verte » qui a fait 100 000 victimes en Éthiopie.
« Capitalisme des parties prenantes »
Ce document d’anthologie intitulé « Un code d’éthique pour les dirigeants d’entreprise » rappelait, entre autres, au milieu de cette période tourmentée, que la vocation d’un dirigeant d’entreprise était de « servir ses investisseurs en leur offrant un rendement sur investissement supérieur au rendement des obligations d’État », et qu’une firme devait « utiliser de manière optimale les ressources immatérielles et matérielles à sa disposition ».
Quarante-sept ans après cette ode au capitalisme débridé, les sages de Davos appellent désormais à un « capitalisme des parties prenantes ». Du nouveau manifeste effusent les mots-clés de ce nouveau monde d’urgence écologique et d’inégalités inouïes, hérité des excès de quatre décennies.
On y apprend, pêle-mêle, qu’une « entreprise est plus qu’une unité économique génératrice de richesses », qu’elle « répond aux aspirations humaines et sociétales en tant que partie intégrante du système social au sens large » et que ses performances « doivent être mesurées non seulement en fonction du rendement pour les actionnaires, mais aussi de la manière dont elle atteint ses objectifs environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance »…
Répondre au nouveaux défis environnementaux
On pourrait ironiser sans fin sur cet aggiornamento, son timing, ses ressorts, sa portée et sa sincérité : tout changer pour que tout demeure ? Il serait plus intéressant de s’interroger sur ce que cette évolution des sensibilités et des priorités de l’élite économique mondiale – pourvu qu’elle soit sincère – signifie pour le capitalisme africain.
Le fait colonial puis la surétatisation des premières décennies postindépendances ont d’une certaine façon retardé l’éclosion d’un secteur privé moderne africain. Elles l’ont également, en toute probabilité, préservé des pires influences d’un certain capitalisme moderne, entre culte excessif de l’individu et indifférence aux « externalités négatives » des activités économiques. Les conditions de vie matérielle et la faiblesse des États signifient souvent, sur le continent, que le rôle du secteur privé va bien au-delà de ses contours traditionnels en Occident. Il est difficile devant cette pression quotidienne supplémentaire de ne pas percevoir, d’emblée, l’entreprise comme « partie intégrante du système social ».
Enfin, il y a fort à parier que la prégnance de certaines « valeurs africaines » –solidarité générationnelle, attachement à la terre des siens – informe aussi les choix de grands noms du capitalisme sur le continent, de la philanthropie précoce d’un Tony Elumelu au mentorat bénévole pour jeunes entrepreneurs qu’assure Strive Masiyiwa sur les réseaux sociaux. La forme syncrétique, inclusive et peut-être, in fine, plus humaine du capitalisme que développent depuis plusieurs décennies maintenant nombre d’entrepreneurs africains est riche d’enseignements.
À l’heure où même Davos met à jour son logiciel, il est important de s’interroger sur la façon dont les aspects les plus originaux et inclusifs du capitalisme africain peuvent être mis à contribution, modernisés et renforcés pour répondre aux nouveaux défis (environnementaux, sociaux et sociétaux) qui affectent également le continent.
La 8e édition du Africa CEO Forum, organisée les 9 et 10 mars à Abidjan par Jeune Afrique Media Group, explorera précisément la conjugaison du capitalisme et du bien commun, la conciliation à l’africaine des impératifs du business et des obligations dues aux générations présentes et futures. Davos pourrait y envoyer des émissaires avant la prochaine mise à jour de son « manifeste »…
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