L’assurtech dans les starting-blocks

Inspirés par des start-up qui ont montré que le marché était prometteur, les géants du secteur s’essaient à la micro-assurance à travers des partenariats.

Le suédois Bima a séduit 31 millions de clients à faibles revenus dans le monde. Ici, au Ghana. © Bima

Le suédois Bima a séduit 31 millions de clients à faibles revenus dans le monde. Ici, au Ghana. © Bima

QUENTIN-VELLUET_2024

Publié le 14 février 2020 Lecture : 5 minutes.

La greffe prend petit à petit. Ces derniers mois, les acteurs traditionnels africains et étrangers du secteur ont tour à tour fait des annonces d’investissement ou de partenariat pour développer des offres de micro-assurance sur le continent.

Parmi eux, le sud-­africain Sanlam s’est allié en juillet à MTN pour intégrer ses produits d’assurance-vie aux offres de l’opérateur de télécoms. De son côté, le groupe ivoirien NSIA s’est associé à la filiale togolaise de Maroc Telecom pour proposer des assurances aux zémidjans, les conducteurs de taxis-motos.

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Si ces mastodontes investissent le segment, c’est parce qu’une myriade de start-up démontrent depuis une dizaine d’années qu’il est possible d’être rentable tout en proposant des primes d’assurances à très bas coûts. Parmi elles, Bima, une start-up créée et installée en Suède, qui se concentre sur les marchés émergents, dont une dizaine sur le continent. Grâce à un modèle entièrement basé sur le téléphone mobile, ce cabinet de courtage en assurances, fondé en 2010 par Gustaf Agartson et lancé en 2011 au Ghana, a réussi à séduire 31 millions de clients à faibles revenus à ­travers le monde.

Coûts fixes peu élevés

L’idée est simple : Bima noue des partenariats avec des opérateurs de télécommunications pour proposer à leurs clients des produits de micro-­assurance payés par le biais d’un crédit téléphonique. Pour l’opérateur, cela représente une rentrée d’argent supplémentaire et un levier de diversification. La start-up, elle, laisse à son partenaire le soin de lui présenter les profils les plus intéressants. Grâce à des coûts fixes peu élevés, elle est en mesure de proposer des assurances-santé ou des assurances-vie pour des primes de 0,02 dollar en moyenne par jour.

Depuis sa création, Bima a réussi à lever près de 300 millions de dollars, dont 107 millions lors de son dernier tour de table, mené par le géant Allianz. « Au-delà des financements, lorsqu’un groupe de cette taille investit dans une jeune pousse, il lui ­apporte sa marque – donc de la notoriété et de la confiance –, mais aussi un nouveau portefeuille de prospects et [dans le cas de l’assurance] la prise en charge des risques », explique un connaisseur du secteur.

Rares sont pourtant les start-up de l’assurance à boucler des tours de table aussi importants que ceux de Bima. Sa principale rivale, la britannique MicroEnsure, présente au Ghana, au Kenya et en Tanzanie, n’a levé que 10,4 millions de dollars depuis 2005. De son côté, la sud-africaine Naked Insurance, fondée en 2016, n’en a levé que 3 millions. En juin 2019, sa compatriote Inclusivity Solutions a, quant à elle, conclu un tour de table de 1,6 million de dollars. Au total, en 2019, les assurtechs n’ont capté que 0,9 % des levées de fonds africaines, soit environ 18 millions de dollars, selon un rapport du fonds de capital-risque Partech.

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« J’aimerais pouvoir investir dans des assurtechs africaines, mais toutes les entreprises que je trouve sont trop jeunes et trop petites pour les tickets que nous injectons », explique Susan Holliday, experte senior à l’IFC. Selon elle, la pérennité de ces nouvelles entreprises dépend aussi des partenariats qu’elles pourraient nouer.

De l’automobile à la santé : secteurs différents, mêmes formules

Fort d’un écosystème bancaire plus solide et de la présence de grandes entreprises, certains pays sont donc plus enclins que d’autres à faire émerger des jeunes pousses : « Beaucoup de choses se font en Afrique du Sud, au Kenya et en Tanzanie. En revanche, malgré l’étendue de leur marché, les Nigérians ne créent presque rien, l’Afrique francophone non plus », observe l’analyste américaine.

A mettre en hors texteBola Bardet, Fondatrice de Susu© SUSU © SUSU

A mettre en hors texteBola Bardet, Fondatrice de Susu© SUSU © SUSU

Les grands groupes saisissent l’opportunité de tester de nouveaux modèles dans certains marchés moins matures

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La demande n’en est pas moins réelle, et le marché en croissance. Selon un rapport publié par le cabinet de conseil en investissements américain FT Partners Research, de 2007 à 2016, l’Afrique a connu une croissance annuelle du total des primes d’assurance de 9,5 %. Avec un taux de pénétration de l’assurance de seulement 3 % sur tout le continent, c’est encore tout un marché qui reste à conquérir.

« Les grands groupes saisissent l’opportunité de tester de nouveaux modèles dans certains marchés moins matures, avec une pénétration du téléphone mobile supérieure à 90 % », observe Solenn Marquette, ex-cadre de Bima et aujourd’hui directrice des opérations de Susu, une toute jeune start-up fondée en France par Bola Bardet (photo), qui a évolué au sein de la banque américaine JP Morgan. Cette Béninoise est parmi les rares entrepreneurs africains francophones à avoir investi le segment. Son entreprise propose de l’assurance-santé aux membres de la diaspora qui souhaitent couvrir leur famille sur le continent.

Pour y parvenir, Susu vient de lancer sa première filiale en Côte d’Ivoire et use des mêmes recettes que ses consœurs : de la technologie, avec le recours au paiement à distance, et un suivi médical numérisé qui lui permettent d’éviter les déplacements pour le démarchage et les prélèvements ; le choix du support mobile, qui simplifie le produit et les souscriptions ; une externalisation des risques à travers un partenariat la liant à un acteur traditionnel, en l’occurrence Allianz.

L’Afrique de l’Ouest plus timide

Le géant allemand des assurances n’est pas le seul à faire appel à la souplesse des start-up pour conquérir de nouveaux publics. Son concurrent français Axa fait partie du tour de table de MicroEnsure aux côtés d’Omidyar Network – le fonds d’investissement du créateur d’eBay –, d’IFC et de Sanlam.

En Afrique de l’Ouest, en revanche, malgré quelques initiatives, le modèle de la micro-assurance issu de start-up demeure timide. Au Cameroun, l’assureur Activa et l’opérateur de télécoms Orange ont créé en 2015 une coentreprise de micro-assurance dont le modèle repose, lui, sur celui d’Orange Money et baptisée Activa Makala.

Deux ans plus tard, en Côte d’Ivoire, la start-up Baloon, créée par le Français Bertrand Vialle, s’est lancée dans l’assurance-automobile avec pour ambition de s’étendre et d’atteindre les 7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. L’ex-dirigeant du courtier Gras Savoye en Afrique a depuis reproduit sa formule au Sénégal, au Cameroun, au Niger, au Burkina Faso, au Gabon, au Mali ainsi qu’au Bénin. Il a également étendu son offre à la santé et aux voyages.

Afin de dynamiser l’écosystème, la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (Fanaf) a annoncé la tenue d’un concours en 2020, qui récompensera la jeune pousse la plus innovante parmi dix candidats. Rendez-vous en février pour découvrir peut-être la prochaine success-story régionale.

Les régulateurs se mettent à la page

Faisant fi des lourdeurs ­administratives et notamment du recours au papier, les nouveaux modèles d’affaires se heurtent parfois à la réglementation, nécessitant un travail de réflexion entre start-up et régulateurs.

Le cas s’est présenté avec Bima. Lorsque la start-up était présente au Sénégal – elle vient d’en partir –, en partenariat avec Tigo, elle a dû faire comprendre à la Conférence interafricaine des marchés ­d’assurance (Cima) l’intérêt de son modèle 100 % mobile, qui ne prévoit pas de fournir les conditions de vente ni les contrats en version papier. Un accord a donc été passé entre le régulateur et l’entreprise, prévoyant la possibilité pour les clients qui le veulent de se rendre en agence récupérer des exemplaires physiques.

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