Cinéma : « Notre-Dame du Nil », retour aux sources du génocide des Tutsi
L’auteur et réalisateur afghan Atiq Rahimi adapte avec élégance sur grand écran le roman de la Rwandaise Scholastique Mukasonga « Notre-Dame du Nil ».
Nous sommes en 1973, au Rwanda. Dans une institution catholique chic, perchée sur une colline, où l’on forme des jeunes filles. Ces lycéennes habillées de blanc ont l’air de bien s’entendre et de partager joyeusement leur vie studieuse comme leurs obligations religieuses et leurs loisirs.
Jusqu’à ce que, petit à petit, cette atmosphère qui semblait sans nuages devienne irrespirable. Car le poison du racisme et de la haine va s’insinuer dans ce lieu que l’on imaginait protégé des querelles politiques ou ethniques.
Le film Notre-Dame du Nil, adaptation du livre de Scholastique Mukasonga (Prix Renaudot 2012), raconte la vie de ces lycéennes dans le pensionnat du même nom, mais n’évoque pas directement la tragédie rwandaise de 1994. Au fil de son déroulement, il apparaît toutefois que cette tragédie a été la conséquence d’une situation en germe des années auparavant.
Laquelle remonte d’ailleurs, comme on va le comprendre indirectement avec l’intervention d’un curieux planteur blanc, au temps de la colonisation, où l’on créa de toutes pièces l’antagonisme Hutus-Tutsis qui allait conduire aux massacres.
Dérive haineuse
Comment se fait-il qu’un tel film soit réalisé par un écrivain et cinéaste afghan exilé en France, Atiq Rahimi ? Un homme dont les livres comme leurs adaptations avaient pour cadre son pays natal, si éloigné de l’Afrique ?
L’auteur-réalisateur a en fait été contacté par une productrice qui avait acheté les droits du roman et qui avait apprécié la capacité de Rahimi à brosser le portrait d’une femme dans Syngué Sabour. Pierre de patience – film tiré de son prix Goncourt et qui révéla au grand public, dans le rôle principal, l’actrice Golshifteh Farahani.
Rahimi a tout de suite été séduit par ce projet. Sans doute parce qu’il appréciait l’auteure de Notre-Dame du Nil, rencontrée en 2008 lors d’un Salon du livre à Montréal, mais surtout parce qu’il avait déjà remarqué que le génocide des Tutsi était contemporain de la guerre civile qui l’avait contraint à fuir l’Afghanistan et qui coûta la vie à des membres de sa famille.
Les deux tragédies ont en outre, et malgré d’évidentes différences, des points communs : un conflit fratricide avec des aspects ethniques, racistes et religieux. Un premier voyage au Rwanda, où il fut frappé par le calme et la douceur du pays et de sa population alors qu’il avait en tête des images de violence, allait achever de le convaincre.
Il en résulte un film dont la grande beauté plastique, qui n’est pas seulement due à celle des paysages du Rwanda ou à celle des jeunes « héroïnes » de l’histoire, contraste de plus en plus violemment avec la montée de la haine.
Une dérive qu’Atiq Rahimi, en bon connaisseur des théories de René Girard sur la « fabrication » des boucs émissaires désignés « coupables » de forfaits imaginaires – en l’occurrence les rares lycéennes tutsies de Notre-Dame du Nil traitées de « cafards » – était bien placé pour décrire, conférant ainsi au récit une valeur exemplaire.
Même si ce long-métrage est peut-être un peu moins senti que le joyau qu’était Syngué Sabour, il restera une œuvre à la portée universelle.
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