Logistique : à Djibouti, plus belle la vie sans les émiratis

Deux ans après l’expulsion de DP World, le terminal à conteneurs de Doraleh enregistre des résultats exceptionnels. Une victoire pour son manager et une revanche pour le pays.

Le Doraleh Container Terminal de Djibouti a été créé de toutes pièces par DP World en 2008. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Le Doraleh Container Terminal de Djibouti a été créé de toutes pièces par DP World en 2008. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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Publié le 13 février 2020 Lecture : 6 minutes.

Le 22 février 2018 fait désormais date à Djibouti et, plus généralement, en Afrique pour l’ensemble du secteur portuaire et maritime. Ce jour-là, les pouvoirs publics de la petite république avaient frappé fort en décidant unilatéralement de mettre un terme au contrat de concession, signé douze ans plus tôt, avec l’opérateur portuaire DP World pour la construction et la gestion sur trente ans du terminal à conteneurs de Doraleh (DCT). Une nationalisation sans précédent sur le continent, dont les répercussions continuent de se faire sentir sur les quais djiboutiens.

Les deux anciens partenaires sont toujours à couteaux tirés, et les avis régulièrement rendus par la Cour d’arbitrage de Londres en faveur de l’opérateur ne font que répandre un peu plus d’huile sur le feu. Au respect du droit des affaires et des contrats signés demandé par la justice britannique, les autorités djiboutiennes répondent souveraineté nationale et imposent, avant toute négociation, la disparition de la clause contractuelle qui attribue à DP World un monopole portuaire sur l’ensemble du littoral djiboutien.

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Au point mort pendant de longs mois, les discussions ont aujourd’hui repris, mais le différend semble si profond entre les deux parties qu’elles s’apparentent davantage à un dialogue de sourds. Le plus vexant pour les Dubaïotes est d’entendre que le terminal fonctionne aujourd’hui mieux sans eux.

Hausse significative de l’activité

« D’après les données que nous avons obtenues de l’ambassade, les Djiboutiens ont, très franchement, fait un meilleur travail, été plus efficaces et obtenu un meilleur transit que lorsque les Émirats géraient le port », avait affirmé en février 2019 le général Thomas Waldhauser, alors chef du commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), devant le Sénat américain.

Avec 873 648 conteneurs traités à Doraleh en 2019, le terminal a enregistré une hausse de 7,2 % de ses activités en douze mois, dont on attend qu’elles aient augmenté de 29 % à la fin de cette année, avec un volume anticipé au-dessus de 1,1 million d’équivalents vingt pieds (EVP). Une première dans la longue histoire du port de Djibouti.

Plus significatif encore, la productivité aux navires (calculée à partir du nombre de mouvements de conteneurs par heure) est en forte progression, pendant que le taux d’occupation des postes d’accostage du terminal est en légère baisse, illustrant une meilleure utilisation de ses quais.

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Mais la statistique la plus attendue par les Djiboutiens concerne le trafic de transbordement, véritable pierre d’achoppement entre l’Autorité portuaire et son ex-opérateur, la première désirant voir le terminal de Doraleh s’imposer comme une escale incontournable sur les grandes routes maritimes du golfe d’Aden quand le second cherchait surtout à protéger les intérêts de ses installations gigantesques de Djebel Ali.

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Et, là encore, force est de constater que les volumes transitant par les quais djiboutiens n’ont jamais été aussi importants. Limités à 6 % durant les derniers mois du mandat dubaïote, ils ont représenté 20 % de l’ensemble des trafics conteneurisés de Doraleh en 2019 et devraient atteindre jusqu’à 30 % cette année. La faillite tant annoncée par DP World depuis son départ forcé continue donc de se faire attendre à Djibouti.

Il faut dire que le pays n’est pas resté inactif, assumant rapidement les conséquences de sa décision. « Le terminal représentait à cette époque le principal actif du pays. Il était donc impensable de voir son activité s’écrouler. Il nous revenait de faire les efforts nécessaires pour montrer que nous pouvions faire au moins aussi bien que DP World », explique aujourd’hui Abdillahi Adaweh Sigad, nommé, dès avril 2018, directeur général de DCT, devenu depuis la Société de gestion du terminal à conteneurs de Doraleh (SGTD), dont les actifs sont détenus à 67 % par l’Autorité portuaire de Djibouti ; le solde, auparavant entre les mains de DP World, étant dorénavant en possession de l’État.

Ses défis : moderniser le matériel et étendre ses superficies de stockage

Abdillahi Adaweh Sigad, djiboutien de 51 ans, n’a pas été choisi pour ses connaissances du secteur maritimo-portuaire, mais davantage pour ses compétences financières. Les vingt années passées par ce gestionnaire de formation au sein du groupe Total ont su rassurer les autorités.

Et son passage éclair, en 2015, en tant que directeur financier « de transition » du Port de Djibouti lors des négociations sur le financement du Doraleh Mutipurpose Port (DMP), inauguré deux ans plus tard, a vite retenu l’attention d’Aboubaker Omar Hadi, le très puissant président de l’Autorité portuaire djiboutienne.

« Nous voulions surtout être sûrs de ne pas répéter avec nos nouveaux partenaires les erreurs du passé », explique Abdillahi Adaweh Sigad, alors en formation accélérée. Quand la présidence cherche donc celui à qui confier le destin qu’elle a elle-même tracé pour Doraleh, c’est vers cet ancien inspecteur du Trésor qu’elle se tourne. Et elle n’a, depuis, jamais regretté son choix.

Il fallait donner à nos équipes les moyens de travailler

Sitôt nommé, l’ex-auditeur financier demande à son autorité de tutelle une autonomie de gestion au quotidien, « comme on le fait dans une entreprise ». Il multiplie dans la foulée les études, sur les infrastructures, le matériel, les procédures suivies…

« L’urgence était d’identifier les défis à relever pour apporter les réponses les mieux adaptées », reprend le patron de la SGTD. Les différents audits menés en interne confirment « la compétence forte du personnel de terrain, la motivation des équipes et, surtout, la qualité des infrastructures existantes sur le terminal, fleuron de DP World en Afrique », rappelle Abdillahi Adaweh Sigad.

Il lui reste à moderniser un matériel de manutention trop vétuste et à étendre une superficie de stockage jugée insuffisante. « Il fallait donner à nos équipes les moyens de travailler », résume celui qui a déjà résolu en partie le problème des carences en matière de matériel de manutention.

Un terminal bientôt doter de moyens pour dominer la région

Désormais, il s’attaque au plan de développement du terminal en recherchant des nouveaux investisseurs. Il doit pour cela attendre le règlement du conflit juridique entre l’Autorité portuaire et son ancien manutentionnaire.

« De nombreux opérateurs sont intéressés pour investir directement sur les différents terminaux djiboutiens », explique le DG de la SGTD. En fonction de la solution trouvée avec DP World, les responsables du port étudient deux options pour un même objectif : développer les activités de transbordement. « Soit Doraleh continue de gérer cette activité et doit être agrandi, soit un nouveau terminal spécialisé voit le jour », précise Abdillahi Adaweh Sigad.

En attendant qu’une décision soit prise, la SGTD a déjà prévu d’étendre ses terre-pleins existants pour stocker les conteneurs vides. Deux autres phases d’extension sont également programmées afin que le terminal soit en mesure, d’ici à 2022, de réceptionner 500 000 boîtes supplémentaires par an, soit un total de 1,4 million d’EVP.

Alors, dans l’esprit de son directeur général, le terminal de Doraleh disposera des moyens de faire la course en tête dans la région. D’autant plus que DP World, bien décidé à laver l’affront djiboutien, multiplie les projets concurrents à Berbera (Somalie) et dans les ports érythréens d’Assab et de Massawa.

L’essentiel est ailleurs pour Abdillahi Adaweh Sigad. « Nous avons démontré qu’en établissant des objectifs clairs et en suivant une politique de résultats la réussite pouvait être au rendez-vous. » Le DG de la SGTD insiste : « La compétence managériale existe en Afrique. Elle doit pouvoir s’exprimer et montrer qu’en faisant preuve d’éthique et de professionnalisme elle est tout aussi crédible que partout ailleurs dans le monde. »

Abdillahi Adaweh Sigad, directeur général de la DCT

Abdillahi Adaweh Sigad, ancien inspecteur du Trésor et ex-contrôleur de gestion de Total, est en poste depuis bientôt deux ans. © Yasuyoshi CHIBA/AFP

Abdillahi Adaweh Sigad, ancien inspecteur du Trésor et ex-contrôleur de gestion de Total, est en poste depuis bientôt deux ans. © Yasuyoshi CHIBA/AFP

1968 Naissance à Ali-Sabieh (Djibouti)

199Licence d’économie, master des sciences et techniques comptables et financières à l’université de Franche-Comté (Besançon)

1996-2017 Directeur financier de filiales de Total, puis contrôleur financier du groupe

2015 Année sabbatique à Djibouti, occupe le poste de directeur financier « de transition » de Port de Djibouti SA

2016 Diplôme en droit de l’énergie et des infrastructures à l’université Paris-Nanterre

2018 Nommé directeur général de la SGTD

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