Axian dans la cour des grands ?

Fondé il y a près d’un siècle à Madagascar, le groupe de la famille Hiridjee s’est transformé en un empire diversifié. Incontournable dans l’océan Indien, le conglomérat affiche des ambitions sur l’ensemble du continent.

Lancé en juin 2019, le dispositif Kred a, en six mois, permis d’octroyer 1800 crédits compris entre 800 et 1000 euros. © Julien Clemencot pour JA

Lancé en juin 2019, le dispositif Kred a, en six mois, permis d’octroyer 1800 crédits compris entre 800 et 1000 euros. © Julien Clemencot pour JA

Julien_Clemencot

Publié le 20 février 2020 Lecture : 10 minutes.

Le village de Fialofa, 2 500 habitants, à 140 km d’Antananarivo, fait des envieux. Depuis août 2019, une ligne électrique court le long de ses rues. Un luxe dans la campagne malgache, où le taux d’élec­trification n’est que de 6 %. À la fin de 2019, 130 familles étaient raccordées, moyennant 25 euros, au petit réseau alimenté grâce à une centrale hydro­électrique construite par Sagemcom, coactionnaire de WeLight, filiale d’Axian, géant local de la finance, des télécoms et de l’énergie.

La puissance installée (100 kW) est limitée mais suffit à faire fonctionner des lampes, des chargeurs de téléphones, des réfrigérateurs, des téléviseurs et même quelques machines-outils. Assez pour servir à terme 1 000 ménages, soit environ 6 000 personnes, précise Laurent Roineau, directeur général adjoint et directeur des opérations de WeLight, qui bénéficie à Fialofa d’une concession de dix ans. L’électricité consommée est prépayée grâce au portefeuille électronique MVola, développé par Telma, l’opérateur de télécoms d’Axian.

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Argent et bien commun

La start-up s’est engagée à investir plus de 4,2 millions d’euros dans la construction d’une quinzaine de miniréseaux (principalement solaires) sur la Grande Île et prépare activement des extensions au Mali et en Ouganda. L’investissement à Fialofa est de 400 000 euros, dont plus de 250 000 apportés par des bailleurs de fonds, sans lesquels l’opération ne serait pas rentable.

Modeste par sa taille, ce projet est néanmoins emblématique de l’approche à double détente privilégiée par Hassanein Hiridjee, PDG d’Axian. Il s’agit d’abord d’investir un secteur porteur. Comme le rappelle Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures, ces miniréseaux permettront enfin de faire progresser l’accès à l’énergie plus vite que la croissance démographique en Afrique.

En dix ans, le mobile banking a plus fait pour l’inclusion financière que les banques en un siècle

Il répond également à la volonté de l’entrepreneur, inspiré par son mentor, ami et partenaire Xavier Niel, fondateur de l’opérateur français Free, de s’appuyer sur le pouvoir de transformation de la technologie pour s’imposer comme un acteur clé du développement à Madagascar et sur tout le continent. Faire de l’argent tout en agissant pour le bien commun. Message que le patron français, dont la famille, d’origine indo-pakistanaise, est installée depuis cinq générations dans le pays, a partagé au début de décembre 2019 avec la fine fleur du capitalisme hexagonal lors des Entretiens de Royaumont, en France.

Nouvelle offre de microcrédit

C’est avec cette même volonté qu’Axian a lancé en juin 2019 à travers sa banque BNI le dispositif de microcrédit Kred. Le conglomérat détient environ 31 % du capital de l’établissement (541 millions d’euros d’actifs en 2017), à quasi-égalité avec le mauricien Ciel Finance. « En dix ans, le mobile banking a plus fait pour l’inclusion financière que les banques en un siècle. C’est dans cette direction qu’il faut aller », défendent Hassane Muhieddine, directeur du pôle financier d’Axian, et Adrian Chindris, DG adjoint stratégie de BNI Madagascar et responsable du projet.

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Au début de décembre, Kred avait permis d’octroyer 1 800 crédits pour des montants de 800 à 1 000 euros… Résultat : un défaut définitif et trente-sept retards de paiement seulement. L’évaluation des dossiers se fait au téléphone grâce à un script qui permet de jauger la capacité de remboursement. Un algorithme évalue la sincérité des réponses, et la décision est rendue en quelques jours (un mois d’attente dans une banque). Pour contourner les réticences des populations à se rendre dans les agences bancaires, les équipes de Kred vont sur le terrain chercher de nouveaux clients et retournent leur faire signer leur contrat sur une tablette.

L’argent immédiatement versé sur un compte MVola peut être récupéré dans l’un des 15 000 points de retrait partenaires. Rencontrée à Antananarivo, Mickaelle Raveloson Zolalaina en est à son deuxième crédit : 2 500 euros, remboursables sur dix-huit mois. Il lui permettra d’agrandir son épicerie, d’acheter un congélateur et de consolider son stock. Une aubaine malgré un taux d’intérêt annuel encore élevé de plus de 30 %.

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Un pari sur les télécoms et l’intelligence artificielle

Ces projets, auxquels Hassanein Hiridjee et ses proches collaborateurs attachent beaucoup d’importance, ne sont cependant pas encore le moteur du groupe, qui revendique un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard d’euros et annonce employer 5 000 salariés dans l’océan Indien et en Afrique de l’Ouest. Mais ils préfigurent de son futur, où les télécoms et l’intelligence artificielle sont appelées à révolutionner l’accès aux services financiers et à l’énergie. Axian se trouve à des années-lumière du petit groupe textile créé dans les années 1930 par le grand-père de Hassanein et d’Amin, qui, avec leurs oncles Raza Aly et Bashir Hiridjee, sont toujours ses seuls actionnaires. D’ailleurs, l’ouverture du capital d’une filiale, voire d’une division, n’est plus un tabou si elle devait créer davantage de valeur.

Cette approche axée sur l’innovation a déjà été appliquée aux principales entreprises du conglomérat, qui, depuis 2016, consolide ses résultats dans un holding financier et se présente comme le troisième groupe privé de l’océan Indien, derrière la filiale réunionnaise du français Hayot et le mauricien IBL. C’est notamment le cas de son principal actif bancaire : BNI.

Grâce à un important travail de centralisation et de dématérialisation des fonctions supports, l’ancienne filiale du français BNP acquise en 2014 a pu se déployer sur de nouveaux territoires (elle est passée de 35 à 93 agences) tout en améliorant sa rentabilité. Numéro un sur son marché, l’établissement devance Banque malgache de l’océan Indien (BMOI, ex-filiale du français BPCE, lequel a été racheté en 2019 par le marocain BCP) et la filiale du mauricien MCB Group. En 2019, son résultat net a atteint 75 milliards d’ariarys (18,3 millions d’euros), contre 45 milliards en 2017.

Redressement de Telma

Autre réussite majeure d’Axian, le redressement de l’ancien opérateur public de télécoms Telma. Soufflé à Orange en 2004 au moment de sa privatisation, il a pris une longueur d’avance en investissant plus de 50 millions de dollars dans les infrastructures indispensables à la généralisation d’internet et au développement de l’économie numérique. Il possède des parts dans les consortiums des câbles sous-marins Eassy (opérationnel depuis 2010) et Metiss (attendu en 2020), et loue de la capacité sur Lion 1 et Lion 2.

Et, jusqu’à la fin de décembre 2019, il avait réussi, grâce à un intense lobbying de son dirigeant faisant valoir ses efforts pour mailler le territoire, à conserver le monopole sur l’exploitation de la fibre optique terrestre. Résultat : Telma est devenu l’une des vaches à lait d’Axian, distançant les filiales d’Orange et d’Airtel. Sa part de marché est d’environ 40 %, soit six millions de clients (Madagascar) pour plus de 200 millions d’euros de revenus.

La division énergie, pilotée par Amin Hiridjee, incarne elle aussi cette volonté de transformation des économies. Sa principale filiale, Jovena, au départ simple distributeur de produits pétroliers, va lancer cette année, en partenariat avec SN Power (contrôlé par Norfund), Africa50 (fonds consacré aux infrastructures de la BAD) et Colas, filiale du français Bouygues, la construction de la centrale hydroélectrique de Volobe. « Il n’y a pas eu de réalisation plus importante depuis les années 1980 », assure Hassanein Hiridjee.

Avec la centrale hydroélectrique de Volebe, la Jirama va considérablement faire évoluer son mix énergétique

Ce barrage, situé à proximité de Tamatave, aura une puissance 120 MW. « Avec cette centrale, la Jirama (la compagnie nationale d’eau et d’électricité, qui va acheter la production du site) va considérablement faire évoluer son mix énergétique en vendant aux Malgaches une énergie produite à 60 % à partir de sources renouvelables », explique Benjamin Memmi, DG de Jovena. Le projet, d’un coût de 550 millions de dollars, est financé à 30 % par ses actionnaires (40 millions d’euros pour Axian) et à 70 % par des bailleurs de fonds (FMO, CDC, Proparco, IFC…). Dans la lignée de ce chantier, qui sera achevé en 2024, Jovena a décidé de tourner le dos aux énergies fossiles et négocie la cession de sa centrale thermique Noor 1 (48 MW) à la Jirama, tandis que Noor 2 (28 MW) devrait être arrêtée.

Une réussite qui impressionne autant qu’elle agace

Si la situation d’Axian dans la Grande Île est idyllique en apparence, elle n’est pas sans comporter de sérieux challenges. Sa réussite depuis quinze ans, alors que le développement du pays a été constamment freiné par des crises politiques, impressionne autant qu’elle agace dans les milieux économiques. D’aucuns lui reprochent de s’être enrichi grâce à la réserve foncière acquise au moment de la privatisation de Telma et notent que c’est sur un terrain de l’ancien opérateur public que le groupe a construit la résidence sécurisée Park Alarobia, unique en son genre dans le pays. D’autres d’avoir prospéré grâce aux commandes d’un État vivant à crédit à l’image des bénéfices tirés par Jovena des contrats de fourniture de carburants et d’électricité passés avec la Jirama.

L’entreprise publique, dont la privatisation est régulièrement évoquée, affiche une dette d’environ 500 millions d’euros. D’ailleurs, avec l’élection à la présidence d’Andry Rajoelina et la nomination au poste de Premier ministre de Christian Ntsay, l’État a entrepris de rétablir l’équilibre. Les défis sont, il est vrai, immenses à l’échelle du pays, l’un des moins développés d’Afrique où le revenu annuel moyen est de 400 dollars.

Jirama a obtenu de ne plus payer Jovena en fonction de la capacité de production de ses centrales mais de la quantité d’énergie que ce dernier lui fournit. Avec l’ancien système, elle achetait un kilowattheure 26 cents de dollars et le revendait 14 cents, creusant chaque jour son déficit. « Si Jirama change son mix énergétique dans les cinq ans en achetant à 80 % de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, elle peut retrouver un équilibre. Jovena vendra l’énergie du barrage 8 cents par kWh », décrypte Benjamin Memmi. Les discussions se poursuivent désormais pour rééchelonner avant la fin du premier trimestre les 43 millions d’euros encore dus à Jovena pour l’électricité déjà fournie.

« Mieux vaut un mauvais accord qu’un procès »

Chez Axian, l’état-major sait qu’il faut désormais faire quelques concessions pour préserver les relations avec l’État. « Mieux vaut un mauvais accord qu’un procès », reconnaît l’un de ses dirigeants. Engagé sur le long terme à Madagascar, Hassanein Hiridjee n’a de toute façon pas d’autre choix que de s’inscrire dans la ligne de l’exécutif. La Grande Île représente encore 60 % de son chiffre d’affaires. S’il étudie d’autres projets de centrales électriques en Afrique, c’est surtout le barycentre de ses activités de télécoms qui s’est déplacé vers l’Afrique de l’Ouest ces dernières années.

C’est notre réussite avec Telma qui a convaincu le président Faure Gnassingbé

Outre l’implantation de Telma aux Comores, il a racheté en 2018, associé à Xavier Niel et à Yerim Sow, la filiale de Millicom au Sénégal, rebaptisée Free l’an dernier (environ 150 millions d’euros de CA, 25,4 % de part de marché à la fin de septembre 2019). Les trois partenaires ont annoncé vouloir investir plus de 100 millions d’euros sur trois ans pour moderniser le réseau et lui permettre ainsi de chahuter avec des offres innovantes le mastodonte local, Sonatel, filiale d’Orange. Et, en novembre, c’est Togocom, l’opérateur public togolais, qui est passé sous ses couleurs. Un deal réalisé avec le gestionnaire de fonds Emerging Capital Partners, très bon connaisseur du pays et des autorités, puisqu’il contrôlait jusqu’à l’année dernière le groupe bancaire régional Oragroup, implanté à Lomé.

Aux autorités togolaises, Axian a promis d’investir 250 millions d’euros, d’apporter des solutions technologiques, comme la plateforme de mobile banking MVola, et de lancer la 5G. « C’est notre réussite avec Telma qui a convaincu le président Faure Gnassingbé », assure Hassanein Hiridjee, sans sous-­estimer le travail à réaliser pour redresser l’opérateur. Un nouveau territoire de croissance où le patron d’Axian entend aussi déployer les solutions d’accès à l’énergie de Welight. Si le poids de Madagascar devrait continuer de baisser, la Grande Île fournira encore plusieurs années le cash nécessaire au développement panafricain du groupe et un laboratoire pour tester de nouvelles idées. Une méthode qui lui a jusqu’ici réussi.

À la grand-messe du patronat français

Le numéro un de Danone, Emmanuel Faber, l’entrepreneur Charles Beigbeder, le PDG d’Orange, Stéphane Richard, celui de Total, Patrick Pouyanné, et, désormais, Hassanein Hiridjee. Le directeur général d’Axian a rejoint, au début de décembre, lors de l’édition présidée par Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, la longue liste des représentants éminents du capitalisme français à avoir participé ces dernières années aux entretiens de Royaumont.

Ce cycle annuel de conférences, relancé en 2003 par l’ancien député LR (ex-UMP) Jérôme Chartier avec l’appui de Serge Dassault, a pour ambition de créer un espace de dialogue autour des grands enjeux économiques de demain. Hassanein Hiridjee est intervenu aux côtés du père Pedro, dont la fondation Telma soutient depuis dix ans le travail en faveur des plus démunis à Madagascar, pour défendre un développement responsable et partagé.

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