Planor ou la longue marche du Burkinabè Apollinaire Compaoré

Né dans l’informel, Planor talonne désormais les leaders du marché de la finance et des télécoms. Une réussite pour le burkinabè après un parcours du combattant de trente ans.

Compaore Appolinaire © Jacques Torregano/Divergence/AFRICA CEO FORUM/JA

Compaore Appolinaire © Jacques Torregano/Divergence/AFRICA CEO FORUM/JA

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Publié le 26 février 2020 Lecture : 6 minutes.

En avril 2020, Telecel Faso, troisième opérateur de téléphonie au Burkina avec 3 millions de clients, va lancer Telecel Money. Ce service de paiement mobile aura fort à faire pour s’imposer face au leader, Orange Money, et face à Coris Money. Mais pour le groupe Planor Afrique, qui possède Telecel Faso, cette mise en service illustre la réussite du holding dirigé par Appolinaire Compaoré.

En quelques années, cet entrepreneur de 66 ans, président du Conseil national du patronat burkinabè (CNPB) depuis 2018, a su construire un groupe diversifié actif dans la distribution, les assurances, le transport, l’hôtellerie, les télécoms et la banque. Un groupe, employant 2 000 collaborateurs pour un chiffre d’affaires cumulé de plus de 176 milliards de F CFA (268 millions d’euros), qui veut s’étendre en Afrique de l’Ouest.

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Avant d’en arriver là, l’entrepreneur natif de Boassa, près de Kombissiri, a su gravir les échelons. « Si j’étais resté vendeur de motos et de vélos, je serais aujourd’hui à la maison. La concurrence est impitoyable, et les jeunes, plus audacieux, vous surpassent rapidement », confie Appolinaire Compaoré, qualifié de « négociant hors pair » par de nombreux observateurs.

Du deux-roues au téléphone mobile

Après avoir fait ses armes dans le commerce des deux-roues et dans celui des hydrocarbures, il devient à la fin des années 1980 distributeur des pneus du japonais Bridgestone à travers des contrats avec la Société burkinabè des fibres textiles estimés à plusieurs centaines de millions de francs CFA. Grâce aux profits générés, il fonde, au début des années 1990, avec six opérateurs économiques locaux, l’Union des assurances du Burkina (UAB). « L’idée était de créer une structure qui rapproche les hommes d’affaires », rappelle le chef d’entreprise. Ayant réussi, à la fin de 2019, une augmentation de capital (de 1 milliard à 3 milliards de F CFA), l’UAB, dirigée par Jean Damascène Nignan, entend redevenir un fleuron des assurances.

Ces activités servent de tremplin à Appolinaire Compaoré pour entrer dans la téléphonie mobile. Revendeur des téléphones satellitaires Thuraya, il en devient le représentant au Burkina Faso et au Niger. Puis, au tournant des années 2000, avec la libéralisation du secteur des télécommunications, il s’allie avec Tunisie Télécom pour décrocher l’une des trois licences. Sans succès. Mais le patron n’a pas dit son dernier mot. Alors que l’indien Airtel décroche la première licence moyennant 10,5 millions de dollars, Compaoré acquiert via l’assureur UAB une participation minoritaire de 44 % chez Telecel, le deuxième opérateur contrôlé par l’ivoirien Dossongui Koné.

À l’époque, la société avait seulement 263 000 abonnés. Aujourd’hui, elle en compte plus de 3 million

Il en devient le président du conseil d’administration jusqu’à ce que la société soit éclaboussée par un scandale de détournement de fonds mettant en cause son associé. Au prix d’une âpre bataille judiciaire, Compaoré devient finalement, en 2008, l’unique actionnaire de l’opérateur de télécoms. « À l’époque, la société avait seulement 263 000 abonnés. Aujourd’hui, elle en compte plus de 3 millions, souligne-t-il. Nous avons dû restructurer Telecel Faso et investir dans les équipements. »

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Intuition, diversification, connexions politiques

Mais c’est l’année 2018 qui marque un tournant. En février, Compaoré, qui détient par ailleurs 26 % de MTN Côte d’Ivoire, lance en grande pompe les activités de Telecel Mali. Ce lancement intervient cinq ans après l’obtention de la licence, preuve de la pugnacité du patron, qui a dû surmonter un conflit avec son ex-associé Cessé Komé, des difficultés à trouver des financements et les menaces de retrait de la licence par l’État malien. Quatre mois plus tard, Compaoré crée à Ouagadougou Wendkuni Bank International (WBI), une banque généraliste dotée d’un capital de 12 milliards de F CFA.

À la fin de 2019, le bilan de l’établissement s’élevait à 76,08 milliards de F CFA, avec un bénéfice de 733 millions de F CFA, compensant les pertes du premier exercice. Reste que WBI doit encore faire ses preuves face au leader Coris Bank International (20 % de part de marché), à la filiale du groupe marocain Bank of Africa (17,5 %) et à celle de la banque panafricaine Ecobank (16 %).

Il a eu le soutien de tous les régimes successifs. Beaucoup d’autres en ont bénéficié sans parvenir à une telle réussite

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« J’ai toujours évolué en diversifiant mes activités », résume le chef d’entreprise, qui veut développer les synergies entre ses investissements. L’alliance entre la téléphonie et la banque lui confère ainsi un atout pour s’imposer dans la banque mobile, créneau porteur en Afrique de l’Ouest. « L’activité bancaire poursuit son expansion avec la mise en œuvre – en duo avec Telecel Faso – du produit mobile money », insiste Emmanuel Kabré, secrétaire général du groupe Planor. « Appolinaire Compaoré a eu l’intelligence de passer du secteur informel et d’une simple activité de négoce à des secteurs structurés », met en avant Mamady Sanoh, coordonnateur régional d’Industrial Promotion Services West Africa (IPS-WA), holding d’investissement du chef spirituel Aga Khan.

Certains observateurs ne manquent pas de souligner le rôle des connexions politiques dans le succès du patron. « Il a eu le soutien de tous les régimes successifs, de l’ère Lamizana à Roch Marc Christian Kaboré en passant par Blaise Compaoré, commente un connaisseur des milieux économiques burkinabè. C’est une chance, et Appolinaire a le mérite d’avoir fait fructifier ces opportunités. Beaucoup d’autres en ont bénéficié sans parvenir à une telle réussite. »

Admettant qu’il est difficile de faire prospérer ses affaires sans entretenir de bons rapports avec les autorités, Appolinaire Compaoré réfute cependant toute appartenance politique. « Je suis le seul et unique propriétaire des filiales du groupe Planor », répond-il, soulignant l’importance de « l’intuition personnelle ». Et du soutien extérieur. « Je fais régulièrement auditer les comptes des sociétés par des cabinets de renom comme KPMG. Cela nous sert de levier auprès des investisseurs pour obtenir des ressources. » La société Alpha Télécom­munication (Atel), promotrice de Telecel Mali, a par exemple bénéficié du soutien de plusieurs établissements, dont la Banque ouest-africaine de développement, la Banque sahélo-­saharienne pour l’investissement et le commerce Mali et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao.

Investir des dizaines de milliards de francs CFA pour soutenir l’innovation

« Le développement de Telecel Mali, avec son million d’abonnés, et de WBI est satisfaisant », assure le patron des patrons burkinabè. Au Burkina, Telecel veut poursuivre ses efforts pour gagner des parts de marché. Là comme au Mali, l’entreprise se distingue par une politique de prix cassés avec des appels nationaux à 1 F CFA par seconde et à partir de 1,50 F CFA à l’international. Mettant en avant ses forfaits internet attrayants et la qualité de son réseau, l’opérateur estime avoir une carte à jouer face au géant français Orange. « Nous n’avons pas sa force de frappe, mais nous comptons nous faire une place au soleil », avance Appolinaire Compaoré.

Reste que cela suppose plusieurs dizaines de milliards de francs CFA d’investissement pour suivre le rythme d’innovation du secteur. « Nous avons des traites à honorer, et cela ralentit nos investissements, alors que nous devons continuer à investir dans un secteur compétitif et changeant », reconnaît le patron de Planor Afrique. S’il compte étendre Telecel Money au Mali après son lancement au Burkina Faso, Compaoré, qui affirme verser environ 30 milliards de F CFA par an au fisc, appelle les autorités monétaires et politiques à prendre à bras-le-corps le problème de l’accès des opérateurs économiques aux crédits bancaires. D’autant qu’il sait qu’il va devoir mettre la main à la poche pour renouveler la licence de Telecel Faso. Une facture de 80 milliards de F CFA qui pourrait ralentir son élan.

L’empire Planor

• Telecel Faso – 3 millions d’abonnés / 16 % de part de marché

•  Telecel Mali – 1 million d’abonnés / CA mensuel moyen en 2019 : 1,52 million d’euros

•  WBI – Résultat net : 1,12 million d’euros / Total de bilan : 116 millions d’euros

•  UAB-Vie –  CA : 15, 7 millions d’euros / + 24 % sur un an

•  UAB IARDT CA : 8,4 millions d’euros,+ 3 %

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