[Tribune] Frontière algéro-marocaine : pays du Maghreb, unissez-vous !
Alors que la frontière entre les deux pays est fermée depuis 1994, la séparation est de plus en plus hermétique entre les sociétés algérienne et marocaine.
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Mohamed Tozy
Professeur à Sciences Po Aix-en-Provence, auteur de « Monarchie et islam politique au Maroc », « L’État d’injustice au Maghreb » et « Tisser le temps politique au Maroc » (co-écrit avec Béatrice Hibou).
Publié le 27 février 2020 Lecture : 4 minutes.
Grand éleveur des Beni Guil, sur les hauts plateaux de l’Oriental marocain, Bachir ne tarit pas d’éloges sur la brebis trapue à la face rouge (hamri) à qui cette fédération de tribus a donné son nom. Il est d’ailleurs un membre actif de l’association qui veille à la pureté de cette race ovine, reconnue pour sa rusticité et la qualité de la viande de ses agneaux. Il est néanmoins très inquiet et en colère.
En une vingtaine d’années, alors même que la frontière entre le Maroc et l’Algérie est fermée et que le niveau de leurs échanges formels est au plus bas – lui-même ne peut plus rendre visite à ses cousins et à ses anciens associés de l’autre côté –, le troupeau de la région, fort de plusieurs centaines de milliers de têtes, est désormais composé d’une autre race à la face blanche et à la morphologie surdimensionnée par rapport aux capacités des pâturages. Venue de l’Oranais, la race Ouled Djellal a traversé clandestinement cette frontière présumée hermétique et a déclassé les races autochtones.
Ce commentaire désabusé – que je ramène de mes séjours dans les hauts plateaux lorsque je travaillais pour le Fida (Fonds international de développement agricole) – n’est pas la seule illustration du drame qui se joue autour de cette frontière supposée infranchissable qui, dans les faits, ne l’est que pour les honnêtes citoyens. Les contrebandiers et leurs protecteurs, qui contrôlent les marchés du carburant, du haschisch et des psychotropes, y voient au contraire une formidable opportunité.
Bachir, comme beaucoup d’autres, dont les militants du Hirak de la ville minière de Jerada, suivent avec prudence et espoir ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Ils ne doutent pas que, de part et d’autre du champ de mines, la cause dont ils sont les entrepreneurs est la même. Le sentiment de hogra (littéralement, le « mépris ») est le bien le mieux partagé, quel que soit le régime.
Voyage initiatique
Zak, étudiant marocain titulaire d’un master en droit international, vient de passer trois heures au poste-frontière d’Oum Teboul, entre la Tunisie et l’Algérie. La police algérienne trouve bizarre qu’un sujet de Sa Majesté fasse le détour par Tunis pour visiter l’Algérie. Il est de surcroît porteur d’un carnet tout fripé où il note ses impressions, à la manière des jeunes Anglais au XIXe siècle. Au sortir de l’université, ces derniers entreprenaient le « tour », un voyage initiatique qui les menait sur les traces d’une identité à sublimer, visitant les lieux de la civilisation méditerranéenne.
Supposée infranchissable, la frontière entre l’Algérie et le Maroc ne l’est en réalité que pour les honnêtes citoyens
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