Privatisations, la Côte d’Ivoire doit-elle aller plus loin ?
Plus de 80 entreprises sont toujours dans le giron de l’État, dont un tiers sous contrôle majoritaire. Certaines rapportent gros, d’autres accusent de lourds déficits, tiraillées entre objectifs financiers et missions de service public.
Côte d’Ivoire : l’année de tous les enjeux
Si le suspense quant à l’identité des candidats à la présidentielle cruciale d’octobre reste entier, le développement accéléré que connait la pays va se confirmant.
À peine quelques amateurs des tableaux financiers s’en sont rendu compte. À la fin de 2018, les 82 entreprises publiques que compte le portefeuille de participations de l’État ont généré un chiffre d’affaires cumulé d’environ 4 220 milliards de F CFA (environ 6,4 milliards d’euros) pour un résultat net de 306,5 milliards de F CFA.
Ce dernier chiffre, tiré notamment par les bonnes performances dans les secteurs des mines (Compagnie minière du Bafing, Boudoukou Manganèse, etc.) et des hydrocarbures (avec la Société ivoirienne de raffinage [SIR] ou encore la Petroci), était en hausse de 36,6 % sur un an. Il avait ainsi favorisé une hausse appréciable des dividendes perçus par l’État, dont le montant a triplé en un an, pour s’établir à 70 milliards de F CFA.
Investisseur avisé
Souvent critiqué pour son omniprésence dans des secteurs stratégiques de l’économie nationale, l’État ivoirien agit pourtant en investisseur avisé, veillant à mettre en place des pratiques qui permettent d’améliorer la gouvernance et les résultats de ces entreprises.
Par exemple, « la notation financière des entités à participation étatique revêt un double intérêt. D’une part, l’entité notée s’offre un accès au marché financier en étant transparente et en créant un historique de notation qui contribue à améliorer significativement son pouvoir de négociation face aux potentiels investisseurs. D’autre part, cela améliore la visibilité de l’État sur ses entreprises, lui permettant une meilleure orientation », explique-t-on à l’agence de notation financière panafricaine Bloomfield Investment, implantée à Abidjan.
Emblématique de cette politique d’investissement public, le Port autonome d’Abidjan (PAA), détenu à 100 % par l’État, se soumet à cet exercice depuis huit ans. Résultat : sa note s’est améliorée constamment, passant de BBB– en 2012 à AA– en 2019. C’est un bond de sept crans sur l’échelle de notation de Bloomfield.
Selon l’agence, cette progression traduit l’amélioration de la gouvernance interne du PAA, à travers la mise en place de contrats-programmes, ainsi que les performances opérationnelles qu’il a réalisées. Et grâce à ces performances, le port – qui a enregistré un résultat net de 21,774 milliards de F CFA en 2018, soit + 95 % en un an – peut aujourd’hui emprunter sans la garantie de l’État.
« Cette dynamique est également observée au niveau du Fonds d’entretien routier (FER), qui a amélioré sa gouvernance à travers une convention-cadre définissant l’étendue de sa mission, sa rémunération, ainsi que les obligations de l’État, explique Stanislas Zézé, le patron de Bloomfield Investment. La note à long terme du FER est ainsi passée de B+ en 2009 à A– en 2018. »
Contrats de performance
Mais quelle est la stratégie de l’État ivoirien ? Contrairement à la plupart des pays du continent, qui brillent par la politisation à outrance des sociétés d’État, la Côte d’Ivoire se distingue par un pilotage différencié de la performance.
L’État accorde une importance particulière à la gestion des entreprises publiques, tant sur le plan opérationnel que sur le plan de la gouvernance. Pour assurer la prise en compte des objectifs financiers, budgétaires et de développement de chaque entreprise publique, il a d’ores et déjà conclu des contrats de performance avec nombre des sociétés majeures, comme PAA, CI-Énergies, Sodefor, Sodexam ou encore l’Onep. Un dispositif de suivi garantit le respect des engagements des parties prenantes.
Par ailleurs, la Direction générale du portefeuille de l’État (DGPE) a été créée et chargée, entre autres, du suivi des opérations relatives à la gestion économique, financière, administrative et juridique des sociétés d’État et des sociétés à participation financière publique, de droit national et international.
De fait, l’État a engagé une restructuration du portefeuille des entreprises publiques, qu’il veut redimensionner, en accord avec ses objectifs de développement. Avec l’aide du cabinet international Boston Consulting Group, la DGPE a ainsi redéfini ses process et sa méthodologie d’évaluation des participations publiques.
« Désormais, celles-ci sont adossées à des contrats de performances [économiques, financières et organisationnelles], de sorte que le critère clé est la rentabilité, résume le patron d’une société de gestion et d’intermédiation basée à Abidjan. Cela permet de savoir à quel moment céder une entreprise ou s’il faut la maintenir. »
Optique de rentabilité
Ces cinq dernières années, les cessions de part dans des sociétés telles que SN Sosuco, Compagnie ivoirienne pour le développement du textile (CIDT), Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI), ou encore l’introduction en Bourse de NSIA Banque Côte d’Ivoire, ont ainsi rapporté plus de 24 milliards de F CFA. Depuis le lancement du programme de privatisations, l’État s’est notamment débarrassé de ses participations jugées « toxiques ou peu rentables ». En février 2017, il a cédé sa part de 90 % dans la CIDT à l’industriel Koné Daouda Soukpafolo pour un montant de 7 milliards de F CFA.
Le vent de la privatisation a également soufflé sur les sociétés minières. La Société pour le développement minier de la Côte d’Ivoire (Sodemi) a cédé 30 % de sa part dans le capital de la Société des mines d’Ity (SMI), dont 25 % ont été acquis par Endeavour Mining (qui en détient désormais 80 %) et 5 % par le groupe Keyman Investissement, la Sodemi conservant 5 % du capital et l’État ivoirien 10 %.
Enfin, en 2018, ce dernier a cédé 51,6 % de participations publiques au sein de la BHCI à la firme canadienne Westbridge Mortgage Reit (une opération à l’origine d’un bras de fer entre le gouvernement ivoirien et Westbridge autour de créances douteuses au passif de la banque qui auraient été dissimulées).
« Les sociétés publiques sont gérées selon les standards du privé dans une optique de rentabilité et elles rapportent des milliards de dividendes à l’État, commente Stanislas Zézé. Cela est évidemment une bonne chose pour les finances publiques. Mais vous avez les secteurs stratégiques, par exemple celui de l’énergie [comme c’est le cas d’EDF en France], où la présence de l’État est nécessaire pour délivrer un service public de qualité. »
Mais les bonnes performances dissimulent des disparités. Car si la Loterie nationale de Côte d’Ivoire (Lonaci) a doublé ses revenus et que le PAA dégage des bénéfices records, Air Côte d’Ivoire, en revanche, accuse un lourd déficit (9,6 milliards de F CFA), même s’il est courant que les compagnies aériennes perdent de l’argent au cours de leurs premières années d’exercice. Air Côte d’Ivoire fait partie, avec la Banque nationale d’investissement, la Caisse nationale des caisses d’épargne et l’Agence nationale du service universel des télécommunications, des sociétés publiques qui enregistrent les déficits les plus importants. Le cumul de leur perte est estimé à 60 milliards de F CFA.
Un portefeuille diversifié
Le pays compte 28 sociétés d’État et 54 entreprises à participations financières publiques. Ces 82 sociétés ont représenté, pour l’exercice 2018, un chiffre d’affaires cumulé de 4 220 milliards de F CFA (plus de 6,4 milliards d’euros) et un résultat net cumulé de 306,5 milliards de F CFA, et elles ont mobilisé 53 milliards de F CFA de subventions de la part de l’État.
Hégémonie ivoirienne à la BRVM
La place des entreprises ivoiriennes à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) tient notamment aux programmes de privatisation engagés à la fin des années 1990. Et le processus de cession en cours pourrait bien renforcer cette hégémonie de la Côte d’Ivoire sur la Bourse commune aux huit pays de l’Uemoa. L’Union peut-elle y résister ?
« La domination ivoirienne est historique, répond Georgine Codo, patronne de BNI Finances. Elle s’explique en partie par le fait que la BRVM a vu le jour dans un contexte incertain marqué par la vague de privatisations. L’un des arguments était que les États pouvaient privatiser via le marché financier du fait de la transparence. Mais la mayonnaise n’a pas pris. »
Finalement, c’est l’arrivée de Sonatel (établi à Dakar) sur la place boursière d’Abidjan qui a sauvé la mise, puis, quelques années plus tard, l’introduction, entre autres, d’Onatel, alors tombé dans le giron de Maroc Telecom et de Bank of Africa. Avec trois sociétés cotées, le Burkina se hisse au même niveau que le Sénégal.
« Une bonne partie du marché boursier est tractée par les emprunts obligataires des États », regrette un dirigeant de société d’intermédiation. Pour lui, ce constat d’échec s’explique en partie par l’adoption des banques qui proposent aux entreprises des financements à des taux jugés compétitifs. Ces dernières ne perçoivent donc plus l’utilité de recourir au marché régional.
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