Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale : « Le capital sympathie de la Tunisie s’érode »

Le vice-président Moyen-Orient – Afrique du Nord de la Banque mondiale brosse un tableau sans concession de la conjoncture régionale, plaidant pour une plus grande place du secteur privé et pour l’accélération des réformes.

Farid Belhaj (Tunisie), vice-president de la Banque Mondiale, en charge du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. A Paris, le 22.01.2019. Photo Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

Farid Belhaj (Tunisie), vice-president de la Banque Mondiale, en charge du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. A Paris, le 22.01.2019. Photo Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

ESTELLE-MAUSSION_2024

Publié le 4 mars 2020 Lecture : 3 minutes.

Vétéran de la Banque mondiale (BM), où il a passé vingt ans, le Tunisien Ferid Belhaj, nommé vice-président en juillet 2018, conserve son franc-parler sur la situation d’une zone Moyen-Orient - Afrique du Nord où l’institution multilatérale a réduit son empreinte. Passés de 6,3 milliards de dollars en 2018 à 5,4 milliards en 2019, ses financements seront encore en repli en 2020.

Jeune Afrique : Pourquoi estimez-vous que la croissance du Maroc est « en deçà de ses ambitions » ?

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Ferid Belhaj : Le Maroc d’aujourd’hui me fait un peu penser à la Tunisie de 2008 : des indicateurs positifs, mais aussi des fragilités. Vu la stabilité du pays et sa forte capacité à attirer les investissements, il devrait afficher un taux de croissance de 6 % à 7 %. Or celui-ci ne dépasse pas les 3 %, ce qui ne permet pas de créer assez d’emplois pour assurer un développement soutenable.

Il faut donner plus d’oxygène au secteur privé, augmenter la concurrence, avec une autorité dotée d’une capacité de sanction. Sur ce point, celle prise contre un opérateur télécoms va dans le bon sens. Même si le plaignant a retiré sa plainte, le régulateur a fait son travail.

En Tunisie, soit les réformes n’ont pas été menées à leur terme, soit elles n’ont pas été conduites du tout

Un an après le début du Hirak en Algérie, comment évaluez-vous la situation économique du pays ?

Les perspectives sont très positives. Le gouvernement lance une série de réformes, dont l’abandon de la règle 51/49, qui est un signal fort. Et le pays n’a quasiment pas de dette extérieure. Il a besoin de financements intelligents : des partenaires arrivant avec des fonds et des suggestions sur les moyens de les mettre en œuvre.

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Qu’en est-il de la lutte contre la corruption ?

Même si des changements sont engagés et qu’une nouvelle dynamique est en marche, il est encore trop tôt pour statuer sur la crédibilité des réformes économiques.

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Ce point se pose aussi pour la Tunisie. Peut-on parler d’une impasse ?

Depuis 2011, la BM a mobilisé 2,7 milliards de dollars d’appui budgétaire et 1,5 milliard supplémentaires en financement de projets. Hélas, ce soutien s’est trop peu traduit par des résultats. Soit les réformes n’ont pas été menées à leur terme, soit elles n’ont pas été conduites du tout.

Le capital sympathie du pays s’érode. Il est temps de tenir un nouveau discours à la Tunisie, un discours de vérité : les amis du pays doivent lui dire clairement qu’il faut être plus entreprenant, qu’il faut engager des réformes certes douloureuses mais nécessaires. Ce n’est pas rendre service que de se taire.

L’Égypte c’est l’exemple d’un pays qui a eu le courage de ses réformes, malgré le coût politique et social

Quelle est la priorité ?

Revoir la place de l’État dans l’économie. Les entreprises publiques grèvent le budget et privent le secteur privé de ressources. Il faut développer des PPP, résoudre le problème des caisses de sécurité sociale, qui sont des bombes à retardement, et réformer les subventions sur les produits pétroliers, l’eau, l’électricité, les biens alimentaires. La Jordanie, l’Indonésie, le Mexique et la Turquie y sont parvenus !

Sur tous ces sujets, le dialogue existe entre syndicats et patronat, mais il ne remonte pas jusqu’au gouvernement. Il faut du courage politique pour aller vers des réformes structurelles : les dirigeants n’en ont pas toujours fait bon usage

Comment classez-vous l’Égypte ?

C’est l’exemple d’un pays qui a eu le courage de ses réformes, malgré le coût politique et social. Grâce à un redressement macroéconomique spectaculaire, il est sur une pente ascendante de croissance à 4 %-6 % ; l‘inflation, bien que toujours importante, est peu à peu maîtrisée ; les investissements étrangers se matérialisent… Il doit maintenant entrer dans une seconde phase de réformes qui va encore une fois questionner la place de l’État dans l’économie.

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