Maroc : les sept travaux d’Abdelouafi Laftit, à la tête du ministère de l’Intérieur
Épine dorsale de l’administration, le ministère de l’Intérieur est le maître d’œuvre des chantiers stratégiques du royaume. Quels sont-ils ? Quel est leur état d’avancement ?
Du temps de Driss Basri, grand vizir de Hassan II, l’Intérieur était surnommé « la mère des ministères » pour souligner l’emprise exercée par le département sur l’ensemble des administrations du royaume. Les temps ont changé.
Au point que l’Intérieur a brièvement basculé, de 2012 à 2013, dans la catégorie des ministères politiques, avant de retrouver son statut de département de souveraineté avec à sa tête des technocrates sans liens partisans. Exit aussi les sécuritaires au ton intimidant, qui ont progressivement laissé place à des ingénieurs aux discours ciselés, ayant fait leurs gammes dans l’appareil d’État.
Abdelouafi Laftit, qui dirige le département depuis 2017, sans faire de vagues, est de ceux-là. En 2002, l’ingénieur X-Ponts fait partie de la première promotion des directeurs de Centres régionaux d’investissement (CRI), créés dans la foulée du déploiement du « nouveau concept de l’autorité » lancé par Mohammed VI lors de son accession au trône. L’homme gravit les échelons un à un : gouverneur, puis wali de Rabat en 2014. La consécration viendra trois ans plus tard : le voilà propulsé à la tête d’une administration pléthorique.
Aujourd’hui encore, il coiffe une armada de walis de région, d’administrations centrales, de gouverneurs et autres responsables locaux qui pilotent des chantiers stratégiques, structurants et transversaux. En voici sept.
1. Piloter la politique migratoire
Le dossier est d’une importance capitale : au sein de l’Union africaine, le responsable du dossier des migrations n’est autre que Mohammed VI lui-même. Aussi, la feuille de route de la politique d’accueil, notamment des migrants subsahariens, est tracée par le Palais royal. À charge pour le ministère de l’Intérieur de la décliner de façon opérationnelle.
Le département de Laftit a ainsi supervisé les deux opérations de régularisation de 50 000 migrants issus de 112 pays. Et accompagne l’installation à Rabat du siège d’un observatoire africain de collecte et d’analyse des données migratoires sur le continent.
« Nous mobiliserons toutes nos ressources humaines, matérielles et académiques pour la réussite de cet observatoire », assure Khalid Zerouali, wali-directeur de la migration et de la surveillance des frontières. Si 80 % des flux restent intra-africains, l’émigration clandestine vers l’Europe demeure un phénomène majeur. Le royaume se veut le rempart contre l’explosion des départs vers le Nord.
En 2019, ce sont 73 973 tentatives qui ont été déjouées et 208 réseaux de trafic démantelés. Régulièrement, des voix s’élèvent contre le manque de solidarité de l’Union européenne dans ce combat. Rabat reçoit 140 millions d’euros d’aides européennes pour renforcer ses contrôles aux frontières.
« C’est un appui budgétaire très en deçà des efforts déployés par le Maroc, reconnaît Zerouali. Mais, pour nous, il constitue l’amorce d’une dynamique, que l’on souhaite pérenne, qui dénote la responsabilité partagée entre deux partenaires dont l’appartenance au même espace méditerranéen renforce la communauté de destin et de défis. »
2. Veiller sur la sécurité nationale
Sur le plan opérationnel, c’est le duo DGSN-DGST, dirigées par Abdellatif Hammouchi, qui assure la protection des biens et des personnes, la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et le crime organisé. Mais d’un point de vue politique, l’interlocuteur reste Abdelouafi Laftit. C’est lui qui assure, par exemple, le suivi de la coopération internationale en la matière, notamment avec le voisin espagnol, et les services sécuritaires du royaume sont évidemment sous sa tutelle.
Khalid Zerouali, wali-directeur de la migration et de la surveillance des frontières, explique qu’en la matière la doctrine du royaume est « ancrée autour d’un diptyque indissociable : assurer notre propre sécurité face à toutes les menaces et contribuer de manière décisive à la sécurité régionale ». Le 21 février, l’Intérieur a notamment fait connaître sa disponibilité à assister le Qatar pour la sécurisation de la Coupe du monde 2022.
3. Redynamiser les CRI
Une vingtaine d’années après leur création, les Centres régionaux d’investissement (CRI) ont subi une réforme de fond. Objectif : célérité et efficacité ! Les CRI nouvelle génération, désormais opérationnels, ont vocation à devenir les interlocuteurs privilégiés des créateurs d’emploi. Une requalification des ressources humaines de chaque centre a été nécessaire, avec la nomination de nouveaux directeurs.
« Les différentes commissions régionales tiennent une réunion hebdomadaire au moins pour traiter les dossiers et répondre aux demandes d’autorisations administratives présentées par les investisseurs », affirme Mohamed Samir Tazi, wali rattaché à l’administration centrale qui a suivi de près la refonte des textes législatifs.
La plateforme « CRI-Invest » a aussi permis de dématérialiser nombre de procédures, et ainsi faciliter le parcours de l’investisseur. Lequel peut désormais suivre en temps réel l’état d’avancement de son dossier. La simplification des procédures a été au cœur de la réforme, avec l’élaboration d’un texte de loi spécifique.
4. Déployer la régionalisation avancée
Pression maximale pour Abdelouafi Laftit : le colossal chantier de la régionalisation avancée a été érigé en priorité par le roi Mohammed VI ! Tous les ministères sont impliqués, à travers la décentralisation et la déconcentration de l’administration, afin de donner plus de marge de manœuvre aux responsables locaux.
L’Intérieur, de son côté, joue le rôle de chef d’orchestre pour éviter que l’ensemble ne tourne à la cacophonie. C’est ainsi lui qui a organisé, en décembre, à Agadir, les premières Assises nationales de la régionalisation. L’occasion de préciser le cadre d’orientation d’exercice des compétences.
« Plus de 660 membres de conseils régionaux ont échangé au cours de cet événement suivi en direct par 17 000 élus à travers le Maroc », nous explique le wali Khalid Safir, chargé de la Direction générale des collectivités locales. Cette grand-messe a aussi permis de faire le point sur l’état d’avancement de la première phase des Plans de développement régionaux (PDR), qui mobilise 107,6 milliards de dirhams, ainsi que l’élaboration des Schémas régionaux d’aménagement du territoire (SRAT).
« Sur l’ensemble des dossiers, l’état d’avancement est satisfaisant », se rassure Khalid Safir. La réussite passera surtout par la capacité à introduire une nouvelle culture chez des élus régionaux encore habitués à raisonner en représentants locaux, soucieux exclusivement des besoins de leurs communes respectives.
5. Préparer les élections de 2021
La révision annuelle des listes électorales mise à part, le chantier électoral n’a pas encore été véritablement entamé par le ministère de l’Intérieur. Cela ne devrait plus tarder. Des formations politiques comme l’Istiqlal et le Parti du progrès et du socialisme (PPS) interpellent le chef de gouvernement sur « l’urgence d’ouvrir le chantier des réformes du système électoral ».
Le dossier atterrira tôt ou tard sur le bureau d’Abdelouafi Laftit… lequel a déjà mis en garde l’Union constitutionnelle (UC) pour que son congrès national se tienne dans les délais, c’est-à-dire avant les échéances de l’année prochaine. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le cadre juridique des élections soit largement réexaminé : mode de scrutin, découpage électoral, seuil d’éligibilité, représentation des femmes et des jeunes, participation de la communauté marocaine à l’étranger, date des élections et de la campagne, immunisation du processus contre le pouvoir de l’argent…
Avant cela, les partis doivent s’accorder sur le principe d’un double scrutin, communal et législatif, en 2021. Un chevauchement jusque-là inédit.
6. Valoriser les terres collectives
Abdelmajid El Hankari, gouverneur-directeur des affaires rurales au ministère de l’Intérieur, est la cheville ouvrière de la réforme législative qui doit permettre à terme de valoriser 15 millions d’hectares de terre. Pour y parvenir, le rythme des régularisations est soutenu. « L’objectif est d’immatriculer 1 million d’hectares par an », nous explique-t-il.
Ce patrimoine foncier est aujourd’hui la propriété de 4 861 collectivités ethniques, représentées par 7 023 « naibs », pour une population estimée à 10 millions. L’apurement de la situation juridique de ces terres collectives est un préalable indispensable avant de mettre en œuvre la nouvelle stratégie agricole « Generation Green 2020-2030 ».
Le royaume aspire ainsi à faire émerger une classe moyenne agricole. « Le foncier joue un rôle primordial dans la dynamique économique et sociale que connaît le pays », souligne El Hankari.
7. Mettre en œuvre l’INDH
L’Initiative nationale de développement humain (INDH) a été lancée par Mohammed VI en 2005. Quinze ans plus tard, Mohamed Dardouri, wali-coordinateur de l’initiative, suit la mise en œuvre de sa troisième phase. Sur quatre ans, 18 milliards de dirhams seront mobilisés autour de quatre axes principaux : résorption des déficits en matière d’infrastructures et de services de base, accompagnement des personnes en situation de précarité, amélioration du revenu et inclusion économique des jeunes, et impulsion du capital humain.
« L’INDH s’adapte aux situations sur le terrain et, lorsque le besoin s’en fait sentir, réajuste ses objectifs et ses méthodes, nous explique Dardouri. Cette approche est indispensable pour transformer les conditions sociales tant les relations humaines sont par définition complexes et en proie à des mutations permanentes. »
Les premiers résultats, assure Dardouri, sont encourageants : « Au-delà de l’amélioration du niveau de vie des générations futures, l’objectif est de leur permettre d’être ces citoyens responsables, à même de relever les multiples et complexes défis de la société de demain. »
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