Tennis, athlétisme, football… quand les Maghrébines se prennent au jeu

Pour les Nord-Africaines, la pratique d’un sport n’est pas toujours simple. Entre le poids de la tradition, l’influence de la religion et le manque de moyens, les difficultés sont multiples. Mais les choses évoluent. Pas assez vite, au goût de certains…

La tenniswoman tunisienne Ons Jabeur. © Lee Jin-man/AP/SIPA

La tenniswoman tunisienne Ons Jabeur. © Lee Jin-man/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 5 mars 2020 Lecture : 8 minutes.

C’était il y a près d’un an, à l’occasion d’un séminaire à Alger sobrement intitulé « Femme et sport ». Ce 9 mars 2019, Mustapha Berraf ne donne pas dans la langue de bois. « Les choses n’avancent pas suffisamment, tonne le président du Comité olympique et sportif algérien (COA). Mais nous sommes sur la bonne voie, avec l’intronisation des femmes au sein des assemblées générales des fédérations sportives. » Le dirigeant profite de l’occasion pour encourager les instances sportives nationales à accélérer la parité.

Douze mois et une révolution plus tard, Mustapha Berraf salue les progrès réalisés en la matière. « Nous avons obtenu des autorités qu’elles interviennent pour obliger les fédérations à compter davantage de femmes dans les AG. Beaucoup de fédérations agissaient un peu comme elles voulaient, mais aujourd’hui, en Algérie comme dans d’autres pays du monde arabe, les choses changent. » « Le sport est une plateforme essentielle pour parvenir à l’égalité des sexes. Mais pour les femmes, faire du sport en Algérie peut se révéler compliqué. Surtout si elles aspirent à mener une carrière professionnelle », regrette celui qui a depuis quitté la présidence du COA.

Les femmes essuient régulièrement des insultes, voire des menaces. Dans nos sociétés, il y a encore des gens qui n’acceptent pas qu’elles fassent du sport, qu’elles s’émancipent

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Le pays n’a pas oublié l’agression d’une jeune joggeuse en plein ramadan, en juin 2018, juste avant la rupture du jeûne, frappée et insultée par un homme qui lui explique que sa place est « dans la cuisine ». Les gendarmes ne trouvent rien de mieux que de lui demander ce qu’elle faisait dehors à une heure pareille. Rapidement, la victime reçoit de nombreux soutiens, et des footings sont organisés dans les grandes villes.

« J’étais abasourdie et triste, c’était un acte grave, se rappelle aujourd’hui Hassiba Boulmerka, championne olympique du 1 500 m à Barcelone, en 1992. Les femmes essuient régulièrement des insultes, voire des menaces. Cela montre que, dans nos sociétés, il y a encore des gens qui n’acceptent pas que des femmes fassent du sport, s’émancipent et aspirent à vivre normalement. » « Évidemment, cela n’a rien à voir avec les années 1990, au moment de la décennie noire », nuance la championne, plusieurs fois menacée par les islamistes durant sa carrière.

« Maradona algérienne »

Au cours des années 1990, durant lesquelles l’Algérie est ravagée par des massacres et des attentats terroristes, Naïma Laouadi, 19 ans, est à l’origine de la création d’une équipe féminine de la JS Kabylie, le club de Tizi Ouzou, sa ville natale. « La Maradona algérienne » favorise aussi la création d’autres équipes féminines de football, puis de la sélection nationale en 1998.

« Beaucoup de personnes m’avaient soutenue, y compris des hommes, se souvient l’ancienne internationale. Bien sûr, il y avait eu des critiques, mais il était normal, aux yeux d’une partie de l’opinion publique, que des femmes puissent jouer au foot. À l’époque, il était quasi impossible d’organiser un championnat. » Il verra le jour dix ans plus tard.

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Dans la région, les choses évoluent lentement. Trop, au goût de certains. « On voit fleurir des terrains de foot, ou de basket, faits pour tout le monde mais accaparés par les garçons, surtout pour le foot, observe le Marocain Aziz Daouda, le célèbre entraîneur qui a travaillé notamment avec Nezha Bidouane et Hicham El Guerrouj. De nombreuses fédérations n’organisent pas encore de championnats féminins. »

Ce n’est pas une question de milieu social : des familles aisées qui vivent dans les grandes villes peuvent se montrer plus conservatrices que des familles pauvres

Car, aujourd’hui encore, pratiquer une activité sportive, professionnelle, semi-professionnelle ou simplement ludique, nécessite de s’affranchir d’une série de contraintes. « Impossible de nier le poids de la religion et de la tradition, reconnaît Daouda. Ce n’est pas une question de milieu social : des familles aisées qui vivent dans les grandes villes peuvent se montrer plus conservatrices que des familles pauvres vivant dans des régions reculées et pour qui la pratique du sport par les femmes n’est pas un problème. »

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Le constat est partagé par Nezha Bidouane, deux fois championne du monde du 400 m haies (en 1997 et 2001). « Ma famille, surtout ma mère, m’a beaucoup encouragée, alors que je viens d’un quartier populaire de Rabat. Les choses ont évolué, ici comme ailleurs. Nous sommes en 2020, et je constate que, pour les Marocaines, faire du sport est devenu quelque chose de normal », explique celle qui préside la Fédération royale marocaine du sport pour tous et qui organise régulièrement des courses rassemblant des milliers de femmes « de tous âges, de tous milieux sociaux, de toutes régions ».

Son ancien entraîneur, Aziz Daouda, rappelle qu’il voit souvent des femmes faire leur jogging dans les rues et les parcs de la capitale, « sans être importunées ». « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème, que certaines ne se font pas importuner, mais, dans la très grande majorité des cas, les choses se passent très bien », insiste-t-il.

Structures inadaptées

La question des infrastructures est, à en croire Daouda, bien plus problématique : « Elles existent au Maroc, mais certaines sont par exemple dépourvues de sanitaires. Ou sont situées trop loin, dans des zones mal desservies… S’y rendre n’est pas toujours évident pour une femme seule. »

Une mauvaise organisation qui handicape surtout le sport professionnel, explique Hassiba Boulmerka. « Au-delà de la seule question de la tradition, de la religion ou de l’influence de la famille, qui n’accepte pas qu’une fille s’adonne à la pratique d’un sport, les clubs manquent de moyens, et les structures d’accueil et de formation sont inadaptées », détaille la championne, « issue du sport scolaire » et dont le talent a été détecté à l’adolescence par un club.

« Au niveau scolaire, la pratique est obligatoire. Mais souvent, les filles choisissent les études supérieures plutôt que le sport », rappelle de son côté Mustapha Berraf. « L’État considère que le sport n’est pas rentable, alors qu’il est une locomotive d’intégration, tranche Boulmerka. Il faut donc que des moyens supplémentaires soient consacrés à la pratique du sport par les femmes. Dans notre société, l’émancipation des femmes, que ce soit par le sport ou non, est un combat long et difficile. » L’ancienne athlète algérienne a ouvert un club d’athlétisme mixte à Constantine, sa ville natale. Les filles y sont majoritaires.

Le club de football féminin algérien Afak Relizane, fondé en 1993. © Louiza Ammi

Le club de football féminin algérien Afak Relizane, fondé en 1993. © Louiza Ammi

Une internationale jouant dans un club algérien ne vivra pas du football. Il lui faudra forcément travailler à côté pour subvenir à ses besoins

Partant du même constat, Naïma Laouadi s’est exilée en France pour évoluer dans un championnat plus structuré. D’abord à Évreux, puis au Celtic de Marseille. « Je gagnais un peu d’argent grâce au foot, mais je devais travailler à côté. Aujourd’hui encore, en Algérie, les joueuses ne sont pas professionnelles et ne gagnent quasiment rien – 150 euros, pas plus. Une internationale jouant dans un club algérien ne vivra pas du football. Il lui faudra forcément travailler à côté pour subvenir à ses besoins. »

« Cent cinquante euros par mois pour une internationale, c’est honteux ! » s’agace Laouadi. « Nous en sommes là car il y a, au niveau des instances du football, des personnes en place depuis des années qui ne font rien pour améliorer le statut des joueuses. Les parents préfèrent ne pas confier leurs filles à des clubs où il y a plein de lacunes, où rien n’est structuré, où la formation n’est pas bonne. Je parle pour le football, mais j’imagine que c’est encore pire dans d’autres fédérations », regrette celle qui a créé l’Union Espoir Cheraga, un club mixte – foot et athlétisme – à Cheraga, un quartier d’Alger.

Des fédérations aux budgets limités

Le football masculin, de loin la discipline la plus populaire, accapare la grande majorité des faibles moyens alloués au sport en Afrique du Nord. De nombreuses fédérations tentent de survivre avec des budgets limités.

« C’est aussi une question de compétences. On ne veut rien changer parce qu’il y a des gens qui sont là pour en profiter. L’État met de l’argent dans le foot professionnel, via la participation d’entreprises publiques [Sonatrach ou certaines de ses filiales sont les principaux actionnaires du MC Alger, du CS Constantine, tout comme le groupe Serport pour l’USM Alger notamment]. Dans les années 1980, il y avait une vraie politique sportive, et cela se voyait au niveau des résultats sur la scène internationale. Depuis, il faut bien constater que ça a baissé », se désole Naïma

Au niveau international, certaines sportives nord-africaines parviennent à obtenir des résultats à titre individuel. La plus célèbre est la tenniswoman tunisienne Ons Jabeur, 25 ans, quarante-quatrième au classement WTA. Issue d’une famille aisée, la jeune joueuse a toujours été soutenue par ses proches. Elle l’est aujourd’hui par la majorité de son pays, et pas seulement en raison de sa participation aux quarts de finale du dernier Open d’Australie.Laouadi.

« Je pense que, au niveau popularité et notoriété, elle devance les footballeurs, alors que le foot est le sport le plus populaire en Tunisie. Elle est considérée comme un porte-drapeau du sport tunisien », analyse Anis Bouchlaka, directeur technique national de la Fédération tunisienne de tennis (FTT).

Les performances d’Ons Jabeur ont incité de nombreuses jeunes filles à s’orienter vers le tennis, une discipline longtemps incarnée dans cette partie du Maghreb par Malek Jaziri. L’ascension de la native de Ksar Hellal, dans le Sahel tunisien, ne semble pas trop indisposer ceux qui ont toujours une vision de la femme trop passéiste. «

Cela en dérange peut-être certains, mais en Tunisie, le statut de la femme est assez évolué, par rapport à d’autres pays arabes. Ici, elle est perçue comme une sportive qui a réussi », poursuit Anis Bouchlaka, en rappelant que la FTT alloue aux filles le même budget qu’aux hommes. « Et parfois un peu plus aux filles dans les catégories de jeunes », sourit le même. Une égalité de traitement qui est loin d’être la règle dans une majorité de fédérations en Afrique du Nord.

L’école de Khartoum

Au Soudan, un championnat de football féminin a été créé en septembre dernier, malgré l’ire des islamistes. « La pratique du foot dans les écoles se développe, la fédération envisage de créer des compétitions pour les jeunes filles et elle injecte dans le football féminin une partie des subventions versées par la Fifa, s’enthousiasme Mirvat Hussein, chargée du football féminin à la fédération soudanaise. Même si des gens s’y opposent et estiment que la place de la femme est à la maison, et que le Coran leur interdit la pratique du sport (sic). »

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