Condor et ses consœurs de l’industrie dans la ligne de mire d’Alger

Sur fond de ralentissement du secteur de l’électroménager, le gouvernement algérien exige plus de valeur ajoutée locale et durcit le régime d’exemptions fiscales et douanières.

Usine du groupe Condor, à Bordj Bou Arreridj. © Sidali Djenidi pour JA

Usine du groupe Condor, à Bordj Bou Arreridj. © Sidali Djenidi pour JA

Publié le 11 mars 2020 Lecture : 5 minutes.

À la mi-février, le gouvernement d’Abdelaziz Djerad a autorisé le déblocage des collections SKD (Semi Knocked Down) et CKD (Completely Knocked Down) destinées au montage de téléphones et de produits électroménagers et électriques, retenues dans les ports du pays depuis plusieurs mois.

Un soulagement pour les professionnels de cette industrie dominée par le groupe Condor, de la famille Benhamadi, qui, comme ses pairs, est confronté à l’épuisement de ses stocks. Mais le sursis est de courte durée.

pour 2020, les sociétés qui ont opéré dans la logique de l’ancien système devront s’aligner sur l’orthodoxie économique

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Entrées en guerre contre une « production fictive » et une « importation déguisée », les autorités lancent un ultimatum.

« C’est la dernière fois que l’on dédouane des produits prémontés voire quasiment montés. Pour 2020, il va falloir que les sociétés qui ont opéré dans la logique de l’ancien système s’alignent sur l’orthodoxie économique. Soit elles s’alignent, soit elles disparaissent », assure à Jeune Afrique Ferhat Aït Ali Braham, le nouveau ministre de l’Industrie et des Mines.

Dès la fin d’avril, la centaine d’opérateurs actifs sur le marché devra se plier à une réglementation moins permissive. Fini les exonérations de taxe douanière sur les composants importés, octroyées en contrepartie de la promesse d’un effort de production locale. Dans le nouveau cahier des charges encadrant la filière, les acteurs seront soumis au droit commun.

« Ils peuvent garder leurs avantages fiscaux d’exploitation avec une durée limitée mais, pour les avantages douaniers, cela ne peut plus continuer. Ils reviendront au régime douanier général », affirme le ministre, selon qui les textes en vigueur depuis 2000 ont offert « un couloir à la prédation. Ils n’ont pas produit les résultats escomptés, que ce soit en matière de fiscalité, de valeur ajoutée ou d’intégration. Il est temps de mettre fin au mythe du montage CKD/SKD ».

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140 milliards de dollars consommés en 5 ans

Ce nouveau cahier des charges devra permettre de résorber la saignée des avoirs en devises en allégeant la facture des importations d’intrants. Car le recours à l’assemblage local d’appareils électroménagers et électriques s’est révélé coûteux, pour une valeur ajoutée faible et un manque à gagner élevé pour l’État algérien. Dans le dispositif CKD/SKD, les fabricants n’étaient jusqu’ici redevables que de 5 % de droits de douane sur les kits d’assemblage au lieu de 30 % sur les produits finis importés.

« En cinq ans, 140 milliards de dollars ont été consommés. Si nous les laissons faire, ils continueront de dilapider les réserves de change cumulées pendant vingt ans », considère le ministre, qui soupçonne plusieurs opérateurs de gonfler artificiellement leur taux d’intégration : « Il est curieux de voir qu’en Algérie nous avons une vingtaine de marques locales de téléphones. Aucun pays au monde n’en a autant. Donc, forcément, ces marques ne sont pas locales. Leur taux d’intégration est en réalité égal à zéro. »

les entreprises nationales ont perdu des parts de marché, car elles avaient des charges plus lourdes que certains de leurs concurrents

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Le gouvernement se donne également pour priorité de sauvegarder les bijoux de la famille, l’Entreprise nationale des industries électroniques (Enie) et l’Entreprise nationale des industries de l’électroménager (Eniem), en proie à des difficultés financières. L’État a récemment débloqué un crédit de 1,1 milliard de dinars (près de 8,5 millions d’euros) au profit du fabricant public d’appareils électroménagers, au bord de la faillite.

Dans une usine du groupe industriel Condor à Bordj Bou Arréridj (Algérie): fabrication de climatiseurs. © Sidali Djenidi pour JA

Dans une usine du groupe industriel Condor à Bordj Bou Arréridj (Algérie): fabrication de climatiseurs. © Sidali Djenidi pour JA

À plus long terme, il n’exclut pas une privatisation partielle de ces anciens fleurons industriels. « Il s’agit de maintenir le savoir-faire acquis. Ce sont les entreprises qui ont réussi à intégrer. Elles ont perdu des parts de marché, car elles avaient des charges salariales et d’exploitation plus lourdes que certains de leurs concurrents qui n’avaient même pas de local industriel digne de ce nom », explique Ferhat Aït Ali Braham.

Après une période florissante, le secteur entier est aujourd’hui en déliquescence. « 2019 a été une année blanche. On a perdu nos interlocuteurs dans l’administration et notre visibilité », estime Ali Boumediene, patron de Bomare Company, propriétaire de la marque Stream System. Le fabricant de téléviseurs, qui visait un objectif de 120 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2019, a finalement enregistré un recul de 15 % par rapport à l’année 2018.

Déclin précipité d’une filière prometteuse

Secoué par l’opération anticorruption dans l’administration et le monde de l’entreprise, le département de l’Industrie et des Mines, qui a vu plusieurs de ses cadres supérieurs et deux anciens ministres, Mahdjoub Bedda et Youcef Yousfi, placés sous les verrous, a gelé les licences d’importation de kits d’assemblage au printemps 2019. Résultat, les unités d’assemblage, à court de matières premières, tournent au ralenti depuis octobre. Certaines sont complètement à l’arrêt. En magasin, des produits sont bientôt en rupture de stock.

Autre conséquence, plus préoccupante, des licenciements ou mises au chômage technique en cascade. Selon le Forum des chefs d’entreprise (FCE), 8 000 travailleurs ont perdu leur emploi, soit un tiers de la population employée dans le domaine. Et des milliers d’autres sont sur la sellette.

Leader incontesté sur le marché, Condor Electronics a mis à son tour en œuvre un plan social draconien. Début février, la société, dirigée par Abderrahmane Benhamadi, en détention provisoire depuis août 2019 pour financement occulte de parti politique et corruption, s’est séparée de 40 % de son effectif.

Les poids lourds de la filière, qui a exporté pour 100 millions de dollars en 2018, risquent de se trouver en porte-à-faux vis-à-vis de leurs partenaires internationaux.

« C’est difficile de tenir nos engagements. On est contraint de réduire nos volumes d’exportation. Dernièrement, on a pu livrer 4 000 appareils alors que notre partenaire italien nous en demandait 10 000. Les autorités sont en train de pénaliser les recettes en devises », souffle le PDG de Bomare Company, qui ambitionnait de pénétrer sur le marché allemand, le plus grand d’Europe. « On a débuté les négociations en septembre, mais, étant donné la situation, on préfère temporiser. »

on aurait pu réviser progressivement le système CKD/SKD si les autorités avaient réagi dès 2014

Comment une filière perçue comme prometteuse peut-elle décliner aussi rapidement ? Pour l’économiste Mohamed Cherif Belmihoub, les raisons de la crise sont à chercher du côté de la « gestion anarchique purement administrative de l’industrie.

On n’a pas mesuré l’impact de cette politique. On délivrait à tour de bras des licences d’importation sans prendre en considération l’industrialisation de la filière. On se retrouve maintenant avec des usines de montage nombreuses et des efforts d’intégration très différenciés. Ce n’est pas spécifique à l’électroménager, on trouve ce schéma dans d’autres domaines comme l’automobile ».

Le professeur à l’École nationale d’administration d’Alger regrette un manque d’anticipation de la part des dirigeants politiques. « On aurait pu réviser progressivement le système CKD/SKD si les autorités avaient réagi dès 2014 et la chute des prix du pétrole. Mais elles étaient aveuglées par la disponibilité des ressources. Maintenant, elles doivent travailler dans l’urgence ».

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