RDC : comment Félix Tshisekedi compte reprendre l’armée en main

Sous la pression de Washington, le chef de l’État pourrait décider d’écarter les généraux et hauts gradés visés par des sanctions internationales. En attendant une réforme plus profonde de la grande muette.

Félix Tshisekedi et les hauts cadres militaires, le premier janvier 2020 au ministère de la Défense. © Présidence RDC

Félix Tshisekedi et les hauts cadres militaires, le premier janvier 2020 au ministère de la Défense. © Présidence RDC

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Publié le 17 mars 2020 Lecture : 6 minutes.

Une certaine paranoïa serait-elle en train de gagner les hautes sphères de l’armée ? Convoqué à la fin du mois de février à Kinshasa et auditionné une première fois par le Conseil national de sécurité (CNS), le général Muhindo Akili Mundos, commandant de la 33e région militaire (Sud-Kivu et Maniema), est toujours dans l’attente d’une potentielle sanction.

Nul doute que depuis son poste de Bukavu, sur les rives du lac Kivu, ce haut gradé sous sanctions européennes, accusé par le Groupe d’experts de l’ONU d’avoir participé au recrutement de miliciens ADF, observe avec attention les turbulences au sein des Forces armées congolaises (FARDC).

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Delphin Kahimbi retrouvé mort

Voilà plusieurs semaines que les ennuis s’accumulent pour certains cadres de l’appareil militaire jugés proches de l’ancien président Joseph Kabila – Mundos n’est qu’un exemple parmi d’autres. Au début de mars, c’est le général Fall Sikabwe qui est passé en conseil de discipline.

En 2015, sa nomination dans le Sud-Kivu avait provoqué l’arrêt temporaire de la coopération avec la Monusco. Mais c’est une autre affaire qui lui vaut aujourd’hui des ennuis : mis en cause dans le détournement présumé de primes, il a été suspendu.

L’exemple le plus emblématique – et à ce jour le plus énigmatique – des secousses qui traversent l’armée congolaise reste celui de Delphin Kahimbi, retrouvé mort le 28 février.

Incontournable chef des renseignements militaires, proche de Kabila depuis leur passage dans le maquis avec l’AFDL, il était un des piliers du dispositif sécuritaire.

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Interpellé le 20 février par la Direction générale de migration (DGM) alors qu’il devait se rendre en Afrique du Sud, le général Kahimbi avait été auditionné par le CNS et suspendu de ses fonctions pour tentative de déstabilisation du pouvoir.

Il lui était reproché d’avoir mis sur écoute certains membres de la présidence, ce qu’il avait nié lors de ses auditions. Depuis son décès dans des circonstances troubles, le cas Kahimbi alimente des rumeurs aussi inévitables qu’invérifiables.

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Est-il mort d’une crise cardiaque, comme sa femme nous l’avait initialement confié ? S’est-il pendu, comme le suggèrent les premiers éléments communiqués par le président Tshisekedi et les traces de strangulation retrouvées sur son corps ? A-t-il été assassiné ? À ce jour, le mystère reste entier.

Une enquête menée par la justice militaire est en cours, même si le Conseil des ministres du 6 mars a initialement fait état d’une procédure indépendante diligentée par la Monusco.

Une cacophonie révélatrice : « Chacun cherche à se rassurer sur la fiabilité de l’enquête », explique une source onusienne.

Pas de « chasse aux sorcières »

En attendant ses conclusions, une question se pose : les récentes convocations sont-elles le signe que l’heure de la reprise en main de l’armée a sonné ? « Il est possible qu’il y ait un coup de balai prochainement », glisse un sécurocrate proche du chef de l’État.

Un diplomate en poste à Kinshasa précise : « La plupart des généraux sous sanctions pourraient prochainement être remplacés, au même titre que d’autres hauts gradés qui posent moins de problèmes, pour que cela ne se résume pas à une chasse aux sorcières. »

Comme Mundos et Kahimbi, l’écrasante majorité des généraux sous sanctions a été jusque-là maintenue en poste par Félix Tshisekedi. Plusieurs raisons l’expliquent : le président congolais est en quête d’équilibre avec son partenaire de coalition, Joseph Kabila, et plusieurs des hauts gradés concernés sont très proches de ce dernier.

Leur influence reste par ailleurs significative, et une reprise en main trop brutale des services militaires aurait été périlleuse dans ce pays où des généraux ont déjà été accusés d’alimenter en sous-main des rébellions.

Depuis plus d’un an, Tshisekedi marche donc sur des œufs, rechignant par prudence à faire usage de son pouvoir constitutionnel de nomination. Son entourage ne cesse de rappeler que le « chef de l’État reste le commandant suprême de l’armée », mais les ajustements se sont jusqu’à présent faits à dose homéopathique, et les quelques nouveaux visages qu’il a nommés restent, pour la plupart, d’anciens collaborateurs de Joseph Kabila.

Les Forces armées de la République démocratique du Congo) congolaises sont assises avec leurs armes sur un pick-up à Goma, dans l'est du Congo, le 13 août 2012. © Jerome Delay/AP/SIPA

Les Forces armées de la République démocratique du Congo) congolaises sont assises avec leurs armes sur un pick-up à Goma, dans l'est du Congo, le 13 août 2012. © Jerome Delay/AP/SIPA

Si certains parlent déjà d’un grand chambardement dans l’armée, il convient de s’interroger sur son timing

Le plus important, c’est la signature du chef de l’État, martèle un de ses collaborateurs. Même s’il nomme quelqu’un qui a travaillé avec son prédécesseur, cette personne sait qu’elle doit sa reconduction au président Tshisekedi.

Si certains parlent déjà d’un grand chambardement dans l’armée, il convient de s’interroger sur son timing. Or, sur cette question, il peut compter sur le soutien explicite des partenaires internationaux de la RD Congo, Belgique et États-Unis en tête. Alors qu’un nouveau plan de financement du FMI est en discussion, Washington a multiplié les appels du pied pour que Félix Tshisekedi prenne ses distances avec son prédécesseur en poussant des réformes de fond.

Selon nos informations, un représentant du Trésor américain était attendu à Kinshasa au début de mars, mais sa visite a été reportée en raison de l’épidémie de Covid-19.

Une chose est sûre : le président est sous pression, et, treize mois après son élection, les promesses de changement semblent ne plus suffire. Alors qu’il avait annoncé que Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, se rendrait à Kinshasa en février, c’est finalement Peter Pham, alors envoyé spécial pour les Grands Lacs, qui a fait le déplacement.

Un changement qui n’est pas anodin, selon une source diplomatique occidentale : « En privilégiant finalement l’Angola [Pompeo s’y est rendu à la mi-février], où Washington souligne les progrès en matière de lutte contre la corruption, les États-Unis ont voulu envoyer un message : ils attendent de vrais changements. »

C’est ce discours que Peter Pham a martelé lors de sa visite en RD Congo, posant même sur la table une demande concrète, la mise à l’écart de ces généraux sous sanctions. « Nous sommes limités sur le plan militaire parce qu’ils sont encore dans les rangs de l’armée », a-t-il expliqué.

Face au président, il serait même allé jusqu’à citer certains noms : outre Delphin Kahimbi, les cas de Gabriel Amisi, alias Tango Four, chef d’état-major adjoint des FARDC, et de John Numbi, inspecteur général des FARDC, ont été évoqués.

Dans un dernier SMS envoyé quelques heures avant son décès, Delphin Kahimbi avait, au sujet de sa suspension, dénoncé « une affaire politique téléguidée depuis les capitales gérées par les impérialistes ».

Il visait ainsi – sans les nommer – les diplomates américains qui, quelques heures après sa mise à pied, avaient salué les progrès dans la lutte contre la corruption.

Entourage divisé

Pour Félix Tshisekedi, l’enjeu est de taille. S’il se décidait à faire le ménage, cela le renforcerait alors qu’il n’est majoritaire ni au Parlement ni au gouvernement.

« Pour l’instant, c’est une tentative de reprise en main, estime Jean-Jacques Wondo, spécialiste de l’armée congolaise. Et Joseph Kabila n’est pas non plus en capacité de défendre la totalité des généraux. »

Selon nos informations, le président et son prédécesseur devaient se voir le 1er mars, jour du départ de Félix Tshisekedi aux États-Unis. Ils se sont finalement vus le 12 mars, à la résidence N’Sele (quelques heures plus tôt, c’est John Numbi qui avait été reçu à la Cité de l’Union africaine).

Le soutien de Washington et la promesse d’une meilleure collaboration militaire avec les Belges peuvent-il suffire pour que le chef de l’État franchisse le pas ? À Kinshasa, Peter Pham a également rencontré Joseph Kabila.

A-t-il tenté de le convaincre de laisser plus de marge de manœuvre à son partenaire alors que les États-Unis réfléchissent à un élargissement de la liste des personnes sous sanctions ? Cela n’est pas exclu.

Mais reste à voir quelles seraient les conséquences sur la coalition au pouvoir de potentiels bouleversements dans l’appareil sécuritaire, sachant que ceux-ci ne suffiraient pas à résoudre l’ensemble des problèmes de l’armée et à mener la très attendue réforme du secteur de la sécurité.

Dans l’entourage du chef de l’État, en tout cas, la question divise. Si l’option d’une mise à l’écart des généraux est largement privilégiée, la méthode fait débat. Le problème, c’est que le temps presse.

Félix Tshisekedi a besoin du soutien financier des bailleurs de fonds pour mener à bien ses réformes clés, et Washington le sait bien. « Avec Joseph Kabila, les États-Unis privilégiaient la méthode musclée et les sanctions, explique un diplomate. Là, ils savent qu’il y a une réelle opportunité de changement. »

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