En Afrique centrale, les producteurs de pétrole voient la vie en noir

Alors que les principaux États producteurs de la zone – Gabon, Congo et Guinée équatoriale en tête –, avouent leurs incertitudes face à l’avenir, la CEA et la Beac prédisent déjà que la crise du coronavirus sera une catastrophe pour la croissance et les recettes publiques.

Reportage dans la ville de Pointe Noire – 06/02/2011© Antonin Borgeaud pour JA © Antonin Borgeaud pour JA

Reportage dans la ville de Pointe Noire – 06/02/2011© Antonin Borgeaud pour JA © Antonin Borgeaud pour JA

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Publié le 23 mars 2020 Lecture : 4 minutes.

Le coronavirus a déjà des conséquences sur l’économie de tout le continent. © Rafael Ricoy pour JA
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Les économies africaines face au coronavirus

Pétroliers d’Afrique centrale, entrepreneurs marocains, miniers congolais… Jeune Afrique a enquêté dans plusieurs pays pour comprendre comment la crise impacte déjà les économies du continent.

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Volonté de minimiser ou méthode Coué ? Les responsables chargés des économies de l’Afrique centrale ne semblent pour le moment pas alarmés par les répercussions de la pandémie du coronavirus, alors que le baril de brut était descendu à moins de 27 dollars vendredi 20 mars, soit quasiment moitié moins qu’un mois plus tôt. L’heure est pour l’instant aux évaluations, afin de prendre la mesure d’une éventuelle catastrophe.

« Le prolongement de la crise pourrait fausser les prévisions des recettes de la loi de finances 2020 et les projections en matière de dépenses publiques », reconnaît toutefois Jean-Marie Ogandaga, le ministre gabonais de l’Économie et des Finances. Les prévisions budgétaires du Gabon, mais aussi celles du Congo, de la Guinée équatoriale, du Tchad et du Cameroun, pays les plus dépendants de la production de pétrole, tablaient pour 2020 sur un cours du baril oscillant entre 55 et 60 dollars.

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Une catastrophe pour la croissance

« Si les cours se maintiennent à un bas niveau jusqu’à la fin de 2020 et au début de 2021, l’année prochaine sera difficile », renchérit l’un de ses homologues. Lequel s’empresse de rassurer. « Encore que nos économies se sont ajustées à la faveur des programmes avec le FMI, grâce à plus de production locale et de restrictions des transferts hors de la zone », plaide-t-il.

Pour Daniel Ona Ondo, président de la Commission de la Cemac, « si la tendance actuelle des prix du brut perdurait, la situation impacterait considérablement les recettes pétrolières en 2020 et, dans des proportions relativement importantes, les recettes hors pétrole. Un repli de 30 dollars du prix du brut, c’est pour certains États une perte sèche de 600 milliards de F CFA [915 millions d’euros]. Dès lors, des correctifs budgétaires seront nécessaires. »

Contrairement aux gouvernements et aux compagnies pétrolières nationales – SNPC au Congo et SNH au Cameroun n’ont pas souhaité nous répondre –, qui semblent pris de court, les organisations régionales ont, elles, commencé à actualiser leurs prévisions économiques.

La Commission économique pour l’Afrique (CEA) prédit désormais un repli important de 4,1 % du PIB par rapport aux projections avant l’épidémie au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac), qui intègre, outre ceux de la Cemac, la RD Congo, l’Angola, le Burundi, le Rwanda et São Tomé-et-Príncipe.

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Hormis ce dernier pays, qui risque de considérablement pâtir de la chute de l’activité touristique, en enregistrant un effondrement de son PIB de plus de 34 points, les pays pétroliers sont ceux qui souffriront le plus.

Principaux producteurs de la région, l’Angola (un repli de 10,9 % du PIB est attendu), la Guinée équatoriale (– 18,5 %), le Gabon (– 17,2 %) et le Congo (– 13,1 %) seront davantage touchés que le Cameroun (– 4,1 %), moins doté en hydrocarbures et plus diversifié. Cela se traduira notamment par le creusement des déficits budgétaires. Dépourvus de ces ressources, le Burundi (– 0,4 %), la Centrafrique (– 0,9 %) et la RD Congo (– 1,9 %) enregistreront moins de dégâts.

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Un scénario pessimiste se dessine

Lors du passage à la pandémie de Covid-19, à la mi-mars (le scénario qui suit, qualifié de « scénario de base », a été élaboré en mars, en tenant compte uniquement de l’épidémie, en même temps que le « scénario pessimiste » évoqué plus bas, qui lui intègre, outre l’épidémie, le conflit pétrolier entre la Russie et l’Arabie saoudite), la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) se montrait quant à elle confiante, continuant de projeter une croissance de 3,3 % en zone Cemac, contre 2 % en 2019. Elle estimait notamment que l’augmentation attendue de la production pétrolière (46,3 millions de tonnes, contre 45,9 millions l’année précédente) et gazière (6,34 milliards de t, contre 6,3 milliards l’année écoulée) compenserait la baisse des cours.

La Beac a démontré par le passé qu’elle pouvait soutenir les États

En intégrant, outre la pandémie du Covid-19, la récente chute du prix du baril qui résulte du bras de fer entre la Russie et l’Arabie saoudite, la Banque centrale régionale a également élaboré un « scénario pessimiste ».

Ainsi, la croissance régionale serait ramenée cette année à 0,2 %. Le déficit du compte courant plongerait à 8,6 % du PIB, contre 1,5 % en 2019. Alors qu’il devait se situer cette année à 3,7 mois d’importations selon le scénario initial, le niveau des réserves de change reculerait à 2,8 mois, contre 3,2 mois l’année précédente.

La Banque centrale régionale va-t-elle, dans cette conjoncture, renouer avec une politique monétaire plus accommodante, s’interroge la CEA ? Le 25 mars à Douala devait justement se tenir son premier comité de politique monétaire de l’année, reporté pour les besoins de la cause.

« La Beac a démontré par le passé, notamment après la crise mondiale de 2008, qu’elle pouvait aller dans cette direction et soutenir les États », rappelle un haut fonctionnaire camerounais, qui insiste sur la nécessité de contenir les dépenses publiques. « Les premières mesures au Cameroun pourraient survenir en juin ou en juillet, lorsqu’il faudra modifier le budget pour tenir compte des ressources qui seront débloquées par les bailleurs de fonds après la signature du second plan triennal avec le FMI », pronostique-t-il.

Continuer l’investissement

« Il faudra éviter l’erreur, souvent commise, de sacrifier l’investissement, prévient de son côté Daniel Ona Ondo, pour la Cemac. Dans ce domaine, il est plus que jamais nécessaire de se concentrer sur les investissements moins consommateurs d’importations, qui vont véritablement conforter l’inclusivité de la croissance économique. »

« Le FMI et la Banque mondiale ont prévu des instruments de riposte », rappelle, comme pour se consoler, le ministre des Finances cité plus haut. Dans le cadre du lancement du second cycle des programmes entre les pays de la Cemac et le FMI, la Beac entend organiser, dans les prochaines semaines, une conférence internationale au cours de laquelle il sera difficile d’éluder les effets de la pandémie.

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