Malgré le coronavirus, la production pétrolière tient… pour l’instant
Alors que le cours du baril s’effondre, rien en dehors de dispositions sanitaires drastiques n’a changé pour les compagnies actives sur le continent. En revanche, si la situation devait perdurer, certains groupes parmi les plus fragiles n’y survivraient pas.
En un mois, le cours du baril a perdu la moitié de sa valeur : alors que, le 19 février, le brent tutoyait les 60 dollars, à 25 dollars le 23 mars. En cause, l’épidémie du coronavirus Covid-19, qui a lancé la chute des cours, mais aussi et surtout l’accord manqué du 6 mars entre les pays de l’Opep, emmenés par l’Arabie saoudite, et la Russie, qui devait la contrecarrer.
Moscou a refusé la réduction de production proposée par le cartel – qui compte six pays africains en son sein –, au motif que soutenir les cours profiterait surtout aux parts de marché des producteurs américains de pétrole et de gaz de schiste, dont les coûts de production sont plus élevés que ceux de la Russie. Faute d’une entente, une guerre des prix a donc été déclenchée par Riyad, avec pour objectif avoué de conserver, voire d’augmenter ses parts de marché… et d’asphyxier les producteurs non conventionnels américains.
Des protocoles stricts au sein des majors
Sur le continent, pour l’instant, toutes les compagnies pétrolières contactées par JA affirment ne pas avoir changé leur rythme de production depuis le démarrage de l’épidémie, à Wuhan. Chez l’italien ENI, qui se revendique premier producteur d’hydrocarbures sur le continent, avec 1,14 million d’équivalents-barils par jour extraits au troisième trimestre de 2019, on indique que les activités extractives de gaz et de pétrole liquide se poursuivent sur le même tempo.
La compagnie, dont le siège opérationnel est à Milan, près de l’épicentre de l’épidémie en Europe, indique toutefois que de très stricts protocoles sanitaires ont été mis en place, en tenant compte des réglementations et des mesures locales. Au 13 mars, le groupe piloté par Claudio Descalzi indiquait n’avoir recensé sur le continent qu’un seul cas parmi ses effectifs, un Italien expatrié en Algérie, qui a depuis été rapatrié.
Même son de cloche chez Total. Le géant français ne s’exprime pas sur l’évolution de sa production sur le continent – 705 000 équivalents-barils par jour au sud du Sahara en 2019 –, mais affirme avoir un plan Covid-19 pour chacune des filiales de la branche exploration-production, active dans seize pays africains. La firme, dirigée par Patrick Pouyanné, indique également avoir réduit au minimum le personnel et les rotations des équipes sur ses plateformes pour pouvoir continuer de les faire tourner dans de bonnes conditions de sécurité.
Le transport maintenu pour le moment
Au Gabon, enfin, les principaux groupes extractifs, le franco-britannique Perenco et le britannique Assala Energy, appliquent de manière très stricte les « quatorzaines » pour chaque nouvelle arrivée d’expatriés dans les aéroports du pays, rendues obligatoires par Libreville. Le groupe Assala Energy indique ne pas avoir réduit sa production, bien au contraire, un record à quelque 58 000 barils par jour ayant été atteint au début de mars. Le groupe estime ses coûts de production à environ 12 dollars le baril, et se juge donc capable d’affronter la tempête sur les cours du brent.
Les compagnies pétrolières en Afrique pourraient toutefois souffrir des nouvelles fermetures de frontière aériennes, mais aussi terrestres, annoncées chaque jour et déjà en vigueur dans de nombreux pays. Au Gabon, où une bonne partie des denrées alimentaires provient du Cameroun, avec lequel la frontière est fermée depuis le 6 mars, certains groupes expérimentent des difficultés d’approvisionnement de leurs bases de vie et de leurs plateformes, même si des contrats avec des groupes agroalimentaires et des coopératives agricoles gabonais pourraient être passés pour prendre la relève.
Du côté de la logistique maritime des cargaisons de brut et de gaz naturel liquéfié, les groupes extractifs indiquent que les allées et venues des supertankers et autres navires ne sont pas perturbées. C’est notamment le cas à Port-Gentil, au Gabon, où Assala Energy a installé son siège opérationnel, mais aussi sur les plateformes offshore du pays, où les bateaux n’accostent pas sur la terre ferme. Mêmes échos depuis l’Angola, où les navires circulent sans difficulté depuis et vers les sites offshore, y compris dans l’enclave de Cabinda.
Contrairement aux filières extractives de fer ou de cuivre, où les transporteurs maritimes sont essentiellement chinois du fait de la forte demande de l’empire du Milieu de ces minerais, ceux convoyant les hydrocarbures sont de nationalités plus diverses, alors que Pékin représente seulement quelque 12 % de la demande de pétrole mondiale (contre 70 % de celle du fer sur les marchés internationaux, par exemple).
Mais les confinements en cours en Europe, grande consommatrice d’hydrocarbures, pourraient changer la donne, notamment pour les pays africains du Nord et de l’Ouest qui dépendent davantage de sa demande que de celle de la Chine.
Risque pour les petits groupes
Pour l’instant, donc, peu de choses ont changé pour les compagnies pétrolières actives sur le continent, en dehors de la mise en place de contraintes sanitaires drastiques qui ont diminué les déplacements et les rotations des équipes locales et expatriées. Mais, à plus long terme, si la situation perdure ou empire, certains groupes parmi les plus fragiles – ayant les coûts de production les plus élevés – ou les plus endettés – souvent les plus petits – risquent de ne pas survivre. Une compagnie comme Tullow Oil, active dans huit pays africains et qui a déjà dévissé en Bourse à la fin de décembre, était de nouveau dans la tourmente sur la place londonienne après avoir, le 12 mars, annoncé de mauvais résultats et vouloir réduire ses effectifs de 30 % pour tenir le coup.
Quant aux lancements de nouveaux projets, déjà peu nombreux depuis 2014, ils devraient n’être décidés que très parcimonieusement, d’autant plus qu’une bonne partie des équipements nécessaires aux infrastructures pétrolières provient d’Asie. Les deux prochains mois vont être cruciaux. Les évolutions des demandes chinoise, européenne et américaine, nécessairement impactées par l’épidémie, seront scrutées de près, tout comme celles de la production de brut de l’Arabie saoudite, des États-Unis et de la Russie, les trois principaux maîtres actuels de l’or noir. En réaction, les pays africains et les compagnies qui y extraient du brut devront adopter leurs propres stratégies, de santé, mais aussi de production et de consommation d’hydrocarbures.
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