Comment le coronavirus ébranle les relations UE-UA
Prévu en octobre, le sixième sommet UE-UA devait entériner un partenariat renouvelé entre l’Europe et l’Afrique. Mais le coronavirus est venu perturber le calendrier… Et les relations entre Bruxelles et Addis-Abeba.
Fidèle à son agenda, l’UE avait prévu de consacrer l’année 2020 à ses relations diplomatiques, politiques, économiques et culturelles avec l’Afrique. La nouvelle Commission a pris ses fonctions le 1er décembre 2019. Une semaine plus tard, sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, se rendait à Addis-Abeba pour rappeler devant Moussa Faki Mahamat, son homologue de la Commission de l’UA, à quel point « le continent africain compt[ait] pour l’UE ».
Dès le 13 mars, Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, présentait, avec la commissaire aux Partenariats internationaux, Jutta Urpilainen, la nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique, censée dépoussiérer la précédente, datant de 2007.
Juste avant cette communication, une vingtaine de commissaires n’avaient pas hésité à faire un déplacement inédit jusqu’à la capitale éthiopienne pour s’enquérir des attentes et des propositions africaines. Les négociations promettaient de durer au cours de l’été avant qu’un accord émerge avec l’automne et qu’un « nouveau partenariat d’égal à égal » soit adopté en octobre lors du sixième Sommet UE-UA, organisé à Bruxelles.
La fin d’année pouvait même se conclure en beauté avec la signature des accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), destinés à prendre la suite de ceux de Cotonou – signés en 2000 entre l’UE et 79 pays – et objet d’âpres négociations depuis plus de deux ans.
Rencontres annulées
Mais la crise du Covid-19 a grippé le calendrier européen et bouleversé l’ordre des priorités chez les deux partenaires.
Épicentre de la crise sanitaire dès avril, l’UE post-Brexit a dû faire face à l’urgence de sa propre situation, ainsi qu’à la remise en question de certains principes de solidarité interne par quelques-uns de ses pays membres. L’Afrique, de son côté, continue de se mobiliser en attendant un possible pic à venir.
Les rencontres prévues sont annulées les unes après les autres, et, même si les vidéoconférences se multiplient, « les discussions n’avancent pas », regrette un négociateur africain. Au point de se demander, aussi bien au siège de l’UE qu’à celui de l’UA, « s’il est bien nécessaire d’organiser un sommet qui n’aurait qu’une valeur symbolique ».
Le sujet est pour l’instant tabou à Bruxelles, où l’on attend toujours de connaître la vision africaine pour donner un contenu « au cadre général » dévoilé dans la capitale belge en mars.
Une Europe déconnectée ?
La Commission n’en démord pas : son document n’a rien perdu de sa pertinence, et les cinq axes de sa stratégie – transition verte, transformation numérique, croissance soutenable et emploi, paix et gouvernance, migration et mobilité – demeurent prioritaires sur le continent.
Pendant la crise, l’UE s’est fait ravir la vedette par la Chine.
Mais les circonstances rendent le discours inaudible en Afrique et renforcent l’impression héritée du sommet de 2017 à Abidjan d’une Europe déconnectée de ses réalités.
D’autant que l’UE n’a pas su profiter de la crise pour souligner la particularité de ses relations avec le continent. Elle s’est même fait ravir la vedette par la Chine, qui, pendant quelques semaines, semblait voler au secours de l’Afrique quand Bruxelles peinait à rassembler une quinzaine de milliards d’euros pour parer au plus pressé. « Une bataille des narratifs » qui a mis dans une colère noire Josep Borrell à mesure qu’elle soulignait les limites politiques de l’UE.
Pouvoir de négocier
Justement, l’Afrique aussi entend changer de discours et semble prête à prendre au mot son partenaire lorsqu’il lui propose de sortir de la traditionnelle relation donneur-receveur. Le camp africain n’a peut-être pas encore présenté sa stratégie, mais il fait entendre ses arguments, comme la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), « qui va nous donner le pouvoir de négocier avec tous les partenaires du monde », estime la présidence de l’UA.
Lassée d’attendre le partenariat équilibré que l’Europe lui promet depuis des années, l’Afrique pourrait être tentée d’aller voir ailleurs. « L’UE prendrait alors le risque de n’apparaître que comme un bailleur de fonds ou un opérateur sécuritaire », craint déjà l’un de ses diplomates.
Une éventualité dont ne veut pas entendre parler Ursula von der Leyen, qui va devoir convaincre les pays membres et l’institution communautaire de lui accorder les moyens de « faire plus pour l’Afrique ». Si l’Europe ne veut pas voir quelqu’un d’autre s’en charger à sa place.
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