Coronavirus : comment le Burkina Faso a évité le pire
Grâce à son système de santé et à la riposte rapide de l’exécutif, le Burkina, qui est l’un des premiers pays africains à avoir été touchés par le coronavirus, semble avoir réussi à en limiter la propagation. Et s’attelle maintenant à accélérer la timide reprise de l’activité.
Le Burkina à l’heure de la mobilisation générale
S’il maintient un haut niveau de vigilance face à la pandémie, mais aussi contre le terrorisme, le pays tout entier se concentre désormais sur la relance de l’activité économique et la préparation de la présidentielle et des législatives du 22 novembre.
Ouagadougou a détecté officiellement le 9 mars ses deux premiers cas de Covid-19 : un pasteur et son épouse ont été testés positifs à leur retour d’un rassemblement évangélique auquel ils avaient participé à la fin de février à Mulhouse, dans l’est de la France. Le Faso devenait ainsi le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest à être touché par la pandémie, après le Nigeria, le Sénégal et le Togo. Près de trois mois plus tard, il s’en sort plutôt bien. Le nombre de cas déclarés reste inférieur à 1 000 (809 au 21 mai), dont moins de 100 patients nécessitant un traitement, 661 guéris et « seulement » 52 décès.
Si le pays a plutôt bien résisté à la propagation de la maladie, c’est en partie dû à la rapidité de la riposte. Dès le 3 mars, les autorités annonçaient l’élaboration d’un plan de lutte contre l’épidémie budgétisé à plus de 9 milliards de F CFA (plus de 13,7 millions d’euros).
Puis, le 16 mars, elles prenaient des mesures drastiques pour limiter la propagation du Covid-19 : fermeture des établissements scolaires, liaisons terrestres et aériennes suspendues (à l’exception du fret), déclaration de l’état d’alerte sanitaire, mise en quarantaine des villes touchées (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Boromo et Dégougou), couvre-feu de 19 heures à 5 heures, fermeture des marchés, des bars, des restaurants et des lieux de culte, restriction des rassemblements (notamment pour les funérailles), des transports publics et du trafic interurbain. Les experts estimant que le pays a passé le pic de la pandémie, les mesures restrictives sont progressivement allégées, avec la réouverture des bars, des restaurants et des maquis, la levée de la quarantaine et la reprise du transport interurbain.
Efficacité de la réponse
« Quand on observe l’évolution de la courbe de la maladie, il y a eu un moment où le Burkina était l’un des pays les plus touchés, en nombre de cas, en Afrique de l’Ouest. Nous avons pris des mesures sanitaires restrictives, comme l’isolement des villes touchées ou encore la fermeture des marchés. C’est l’efficacité de cette réponse qui a permis de contenir l’épidémie en réduisant la chaîne de transmission communautaire. Cela a permis de ralentir la courbe et, in fine, de faire baisser le nombre de nouveaux cas », explique le docteur Brice Wilfried Bicaba, coordonnateur du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (Corus).
Un groupe d’analyse, de réflexion et de recherche composé d’acteurs éminents du monde médical, associé au Haut Conseil scientifique, oriente les choix stratégiques pris par l’exécutif pour infléchir la courbe de la maladie. « Nous allons soumettre de nouvelles propositions au Comité national de coordination de la lutte contre la pandémie, qui les fera valider par les pouvoirs publics », ajoute le Dr Bicaba.
Comme le Sénégal ou le Maroc, les autorités burkinabè ont décidé de recourir à la chloroquine, à travers deux essais cliniques menés conjointement par des chercheurs burkinabè et béninois. « Les essais sur la chloroquine sont en cours, et nous attendons bientôt le rapport de l’équipe de recherche, explique Roger Nebié, délégué général du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST). Mais le protocole sur l’Apivirine a été repris à la suite des observations du comité d’éthique du ministère de la Santé. » Par ailleurs, un fonds spécifique a été activé, alimenté à hauteur de 5 milliards de F CFA, pour aider les PME du secteur de la pharmacie et du biomédical à produire localement la chloroquine.
« À ce stade, nous ne pouvons pas affirmer que le nombre de guérisons est lié à l’usage de l’hydroxychloroquine, précise cependant Brice Wilfried Bicaba. Nous attendons les résultats de l’étude en cours menée par les chercheurs du CNRST, qui vont nous donner des orientations précises. »
Polémiques
Le 29 avril, le coordonnateur de la cellule de réponse à l’épidémie, le professeur Martial Ouédraogo, a été démis de ses fonctions à la suite d’une controverse autour du décès de la première victime officielle du Covid-19, la députée d’opposition et vice-présidente de l’Assemblée, Rose Marie Compaoré. Pour certains Burkinabè, à commencer par le mouvement du Balai citoyen, c’est toute la chaîne de gestion de la lutte contre le Covid-19 qui devrait être sanctionnée.
« En tant qu’opposition républicaine, nous avons dit notre disponibilité à apporter notre contribution pour lutter contre ce fléau qui frappe l’ensemble de la nation et sur lequel il est hors de question de jouer un jeu politique. Mais, du point de vue de la gouvernance globale de la crise, nous avons le sentiment que le gouvernement a voulu gérer tout seul, déplore Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition. Nous avons dénoncé des tâtonnements et beaucoup d’incohérences, poursuit-il. Tout d’abord, alors qu’on voyait venir la crise depuis l’Asie et l’Europe, la préparation n’a pas été optimale. Ensuite, la gestion du volet sanitaire a posé beaucoup de problèmes, notamment en ce qui concerne la détection des cas. »
De son côté, Eddie Komboïgo, le président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), estime qu’en confinant les grandes agglomérations (dont Ouaga et Bobo), principaux centres de consommation, et en coupant la chaîne d’approvisionnement des opérateurs économiques dans les régions on a asphyxié les économies locales. « C’est un échec et une faillite de l’exécutif, qui doit en tirer les conséquences. Le gouvernement a agi dans la précipitation en prenant des mesures drastiques, comme la fermeture des marchés et des yaar, alors que notre économie est alimentée à plus de 80 % par le secteur informel », dénonce Eddie Komboïgo.
Fonds de relance
Alors que les indicateurs macroéconomiques du Burkina étaient au vert et que le pays affichait depuis 2016 un rythme de croissance soutenu, avec une hausse moyenne du PIB de 6 % par an, les prévisions et les plans établis pour les mois – voire les années – à venir sont entièrement bouleversés. Comme pour tous les pays du monde… Selon les prévisions du ministère de l’Économie, le Covid-19 devrait coûter quatre points de croissance au Faso pour l’année 2020.
« Les conséquences attendues de cette pandémie sur notre économie sont la réduction du taux de croissance de 6 % à 2 % en 2020, la baisse estimée à 306 milliards de F CFA des recettes publiques, soit un déficit budgétaire de 5 %, et le ralentissement général des activités économiques, tous secteurs confondus, avec pour conséquence des tensions de trésorerie de l’État », a déclaré, le 2 avril, le président Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier a annoncé l’activation d’un fonds de relance pour les entreprises en difficulté doté d’une enveloppe de 100 milliards de F CFA, mais qui n’est pas encore opérationnel.
L’exécutif burkinabè évalue l’effort public de soutien économique et social à plus de 394 milliards de F CFA, ce qui représente 4,45 % du PIB du pays. « Même si l’activité a repris, les conséquences de cette crise seront durables. D’autant que nombre de partenaires étrangers ne vont pas rouvrir leurs frontières de sitôt. Mais c’est justement l’occasion de mettre l’accent sur la production locale ! » plaide l’universitaire Seydou Ouédraogo, directeur de l’institut indépendant Free Afrik, un centre d’études stratégiques sur l’économie et la sécurité situé à Ouagadougou.
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