Agrobusiness, BTP, télécoms… Ces entrepreneurs burkinabè qui innovent malgré la crise

Si la crise n’a pas épargné leurs affaires, pas de quoi entamer l’esprit d’entreprises de ces patrons qui ont toujours un temps d’avance – voire plus.

Hamidou Ouedraogo, dans son hotel « Hotel Ramadan » à Ouagadougou, le 15 mai 2020. © Olympia de Maismont pour JA

Hamidou Ouedraogo, dans son hotel « Hotel Ramadan » à Ouagadougou, le 15 mai 2020. © Olympia de Maismont pour JA

Aïssatou Diallo. NADOUN-COULIBALY_2024

Publié le 11 juin 2020 Lecture : 5 minutes.

Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré dans la salle d’audience du palais de Kosyam, à Ouagadougou. © Sia KAMBOU / AFP
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Le Burkina à l’heure de la mobilisation générale

S’il maintient un haut niveau de vigilance face à la pandémie, mais aussi contre le terrorisme, le pays tout entier se concentre désormais sur la relance de l’activité économique et la préparation de la présidentielle et des législatives du 22 novembre.

Sommaire

Hamidou Ouédraogo, businessman tous risques

S’il avoue que ses affaires ont été sérieusement affectées par l’épidémie de Covid-19 – qui a causé des pertes de plus de 400 millions de F CFA (près de 610 000 euros) en trois mois pour sa seule enseigne hôtelière, Ramada Pearl Hôtel –, Hamidou Ouédraogo veut se montrer résilient.

« Depuis la fermeture des frontières, notre établissement est vide, ce qui occasionne des pertes de plus de 100 millions de F CFA par mois, mais nous continuons à supporter les charges de nos 130 collaborateurs », explique-t-il. Malgré la crise sanitaire et économique, le PDG du groupe Ramada confirme qu’il compte investir 8 milliards de F CFA (mobilisés auprès de banques locales, dont Coris Bank et Banque Atlantique) dans un nouvel hôtel de 86 chambres, à Ouaga 2000.

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À la tête de la Chambre de commerce et d’industrie de la région Centre depuis novembre 2016, El Hadj Hamidou Ouédraogo, 57 ans, débute comme ouvrier du bâtiment au début des années 1980. Il se met ensuite à son compte, crée son entreprise d’importation et de négoce de carreaux pour la construction, ce qui lui vaut le surnom de Hamidou-Carreaux. Devenu rapidement l’un des poids lourds du secteur, son groupe s’est diversifié. Il a investi plus de 6 milliards de F CFA dans la construction de deux hôtels, l’un dans le quartier de Koulouba, à Ouagadougou, et l’autre à Manga, dans le Centre-Sud, sa région d’origine.

La branche matériaux de construction du groupe a de même pâti de la crise sanitaire, qui a entraîné une chute de 30 % de la demande, mais Hamidou Ouédraogo maintient le cap et prépare l’après-crise. « Aujourd’hui, explique-t-il, j’envisage de céder le carreau à mes enfants pour me concentrer sur l’hôtellerie et l’immobilier. » Sa filiale Ramada Immobilier est engagée dans la construction d’une cité de 2 500 logements sur 320 ha. Dans le cadre de ce programme de 70 milliards de F CFA, 100 maisons ont déjà été livrées, dont le coût d’acquisition est compris entre 10 et 70 millions de F CFA.

Autodidacte doté d’un flair certain en matière de marchés émergents, il étudie la possibilité de construire une usine d’aliments pour bétail, ainsi que des unités de fabrication de sacs pour les mines, un projet industriel estimé à 3,5 milliards de F CFA.

Nadoun Coulibaly

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Le Larlé Naaba, chef du développement rural

Le Larlé Naaba Tigré fait partie des cadres ayant démissionné en janvier 2014 du CDP, le parti de Blaise Compaoré. © Sophie Garcia / Hans Lucas

Le Larlé Naaba Tigré fait partie des cadres ayant démissionné en janvier 2014 du CDP, le parti de Blaise Compaoré. © Sophie Garcia / Hans Lucas

Député de 1992 à 2014, chef coutumier réputé influent et ministre du Mogho Naaba (le roi des Mossis de Ouagadougou), Victor Tiendrébéogo a célébré le 1er mars le trentième anniversaire de son accession au trône. Il est le Larlé Naaba, le chef administrateur du quartier de Larlé (dans le nord-ouest de la capitale), et, depuis qu’il a quitté les bancs de l’Assemblée, celui que l’on appelle aussi le Naaba Tigré (« chef de l’abondance ») consacre son temps à son exploitation agricole et au développement rural. Entre autres…

La principale difficulté ici, c’est l’eau

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Il est 9 heures, ce matin-là, au palais du Larlé Naaba. Comme chaque jour, le chef évacue ses dernières audiences avant d’embarquer dans un véhicule flambant neuf. Direction sa ferme, située à 50 km de Ouaga, à Dapélogo, où il improvise une visite guidée.

« On produit du lait, avec un cheptel de 250 têtes, pour une capacité de 85 litres par jour, mais on envisage d’atteindre 1 000 l/jour d’ici à trois ans. Cela nous permet de produire du yaourt, du beurre et du fromage “made in Burkina” », explique le Larlé Naaba. Il cultive aussi du maïs (6 000 t/an), des produits maraîchers et du jatropha.

« On produit aussi notre propre fourrage, poursuit-il. La principale difficulté ici, c’est l’eau. Mais, à force de persévérance, j’ai fini par en trouver, avec vingt forages solaires à très haut débit. » Et d’ajouter qu’il est en train d’investir 100 millions de F CFA (152 000 euros) dans un barrage artificiel pour permettre à l’exploitation d’avoir une totale maîtrise de l’eau.

Également exportateur de bétail (300 têtes par an vers la Côte d’Ivoire), le Naaba Tigré réinvestit ses revenus, estimés à environ 200 millions de F CFA par an, dans sa communauté et dans sa ferme, qui compte 150 permanents et environ 500 occasionnels. Il a par ailleurs créé Belwet Microfinance, qui a déjà permis d’octroyer 250 000  microcrédits, et prévoit d’augmenter son capital à 500 millions de F CFA.

Le « chef de l’abondance » espère pouvoir bientôt mobiliser les 450 millions de F CFA nécessaires à la construction d’un centre de formation agropastoral et sylvicole. « Mon ambition, dit-il, c’est de démontrer aux jeunes que l’agriculture est un secteur rentable. » Et force est de constater que ses réalisations font école, à l’instar de son modèle d’élevage de volailles, surnommé « 10/1 », qui permet d’avoir un retour sur investissement de l’ordre de 100 000 F CFA au bout de six mois d’exploitation. L’État s’en est inspiré et a injecté plusieurs milliards de francs CFA pour le vulgariser auprès des petits producteurs.

Nadoun Coulibaly

Inoussa Maïga, agripreneur 2.0

Inoussa Maïga, à Ouagadougou, le 16 mars 2020. © Sophie Garcia pour JA

Inoussa Maïga, à Ouagadougou, le 16 mars 2020. © Sophie Garcia pour JA

Donner une image moderne et positive de l’agriculture aux jeunes, tel est l’objectif que s’est fixé Inoussa Maïga. Après avoir créé, en 2014, la société de production audiovisuelle Mediaprod, le journaliste de 34 ans a lancé Agribusiness TV en mai 2016.

À travers des reportages en français et en anglais, la web TV met en avant des exploitants et des transformateurs innovants de moins de 40 ans. Elle enregistre plus de 56 500 abonnés sur YouTube et affiche plus de 12 millions de vues.

« Beaucoup de gens voulaient savoir où acheter les produits, l’idée nous est venue de créer Agribusiness Shop, explique Inoussa Maïga. D’une dizaine au départ, en février 2018, nous proposons aujourd’hui plus de 200 produits. » La possibilité de payer via Orange Money et de se faire livrer dans toute la sous-région séduit la clientèle.

Parmi les produits phares, on trouve la poudre de cacao de Côte d’Ivoire, que la société fournit aux pâtisseries et aux supermarchés de Ouaga. Agribusiness Shop réalise un chiffre d’affaires de 4 millions de F CFA (plus de 6 000 euros) par mois, qui a chuté de 25 % en avril.

« Avec la fermeture des frontières, il était devenu impossible d’importer les produits ou de les livrer. Et pour la télévision, tous les tournages à l’extérieur de Ouaga avaient été suspendus », explique-t-il. Mais depuis la levée des restrictions, il a relancé ses projets : le recrutement de journalistes est en cours pour diversifier la production audiovisuelle, tandis qu’est prévue l’ouverture d’une ­deuxième boutique à Ouaga.

Aïssatou Diallo

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