Michel Camdessus : « Toutes ces ressources détournées, c’est un crime »

A l’occasion de la publication du rapport de l’Africa Progress Panel sur la gestion des ressources naturelles en Afrique, Michel Camdessus pousse un cri d’alarme en faveur de la transparence et de la lutte contre l’évasion fiscale.  

Michel Camdessus, membre de l’Africa Progress Panel, a notamment dirigé le FMI. © Africa Progress Panel

Michel Camdessus, membre de l’Africa Progress Panel, a notamment dirigé le FMI. © Africa Progress Panel

Publié le 10 mai 2013 Lecture : 5 minutes.

Propos recueillis par Frédéric Maury

Jeune Afrique : Le premier point que souligne votre rapport, c’est que, malgré une croissance économique forte depuis dix ans, les progrès en matière de réduction de la pauvreté restent très faibles. C’est un constat qui tranche avec l’euphorie actuelle autour des économies africaines.

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Michel Camdessus : Vous touchez à l’essentiel. Il est vrai que l’Afrique va mieux, qu’elle est sortie de la crise plus vite que les pays occidentaux. Le boom des matières premières a beaucoup aidé et c’est une bonne chose. Mais tout cela devrait être beaucoup mieux et ces meilleurs taux de croissance ne sont pas traduits par une réduction significative de la pauvreté. Très peu de l’enrichissement qu’a connu l’Afrique cette dernière décennie est arrivé aux plus pauvres. Or, le boom des matières premières va durer en raison de leur rareté par rapport à une demande croissante. Et, en même temps, l’Afrique fait face à un boom démographique qui va faire passer le nombre de ses habitants de 700 millions au tournant de ce millénaire à 2 milliards en 2050. Il faut mieux gérer les ressources, mieux les affecter car le problème majeur de l’Afrique, ce sont les inégalités de revenus.

Le problème majeur de l’Afrique, ce sont les inégalités de revenus.

Quelles sont les raisons de cet échec en matière de réduction de la pauvreté ?

Le modèle colonial s’est poursuivi avec l’absence de toute transparence, en faveur des dirigeants et de leurs clans. Beaucoup de pays en Afrique s’engagent aujourd’hui dans une nouvelle voie en la matière, avec une meilleure gestion budgétaire depuis une décennie mais il faut continuer à renforcer la gouvernance en matière économique. Il faut introduire de la transparence où il y a de l’opacité, de la rigueur où il y a de l’évasion fiscale.

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A ce sujet, vous soulignez le rôle des sociétés offshore dans la corruption et le détournement des richesses nationales. Pourquoi, selon vous, les multinationales ont-elles recours à des places financières comme les Iles Caymans, les Iles Vierges britanniques ?

Tout simplement parce qu’elles veulent payer moins d’impôts et accroître leurs revenus. Tout ce qu’elles peuvent faire dans l’opacité les arrange à court terme. A long terme, en revanche, elles savent désormais que cela peut se retourner contre elles notamment lorsque ces paradis fiscaux opaques permettent à des concurrents malhonnêtes de remporter des marchés dans des conditions litigieuses. J’attire ainsi l’attention de vos lecteurs sur la partie de notre rapport concernant la RD Congo. Nous y avons analysé 5 transactions commerciales dans les mines, qui selon nos calculs ont fait perdre 1,36 milliards de dollars au pays. C’est plus du double du budget de l’éducation dans un pays où sept millions de jeunes ne sont pas scolarisés. Toutes ces ressources détournées, c’est un un crime.

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Le lien entre sociétés offshore et corruption n’est pas toujours prouvée…

Très généralement, on peut soupçonner des affaires de corruption derrière l’utilisation de sociétés offshore.

Entre 2008 et 2010, la perte pour l’Afrique liée à l’évasion fiscale est estimée à 38,5 milliards de dollars, davantage que l’aide au développement sur la même période.

 

Les services fiscaux africains sont-ils armés pour défendre les intérêts budgétaires des Etats ?

Ils ne boxent pas dans la même catégorie que des entreprises ou des individus qui peuvent s’offrir des conseils très sophistiqués. Les pays du G7 et du G20 doivent faire des efforts importants, s’impliquer sur ces sujets car que peuvent faire les services fiscaux africains face à certains types d’évasion fiscale ? 60% du commerce international est réalisé entre des filiales du même groupe. L’évasion fiscale passe alors par des prix de cession intra-groupes inférieurs aux prix de marché. C’est criminel. Entre 2008 et 2010, la perte pour l’Afrique liée à l’évasion fiscale est estimée à 38,5 milliards de dollars, davantage que l’aide au développement sur la même période, qui s’est élevé à une trentaine de milliards.

Les comptes nationaux ont tout de même en partie profité de ce boom des prix des matières premières. Mais vous soulignez dans le rapport que la gestion aurait pu être meilleure et davantage orientée vers les besoins de base des populations…

On ne change pas le monde du jour au lendemain. Il faut que l’opinion publique internationale mette la pression sur les multinationales et les gouvernements mais il faut aussi que l’opinion publique africaine mette la pression sur les gouvernements locaux. Il faut qu’elle puisse avoir entre les mains les éléments, les détails des comptes publics afin de pousser les Etats à mieux gérer et utiliser leurs ressources.

Votre rapport met également en cause l’opacité d’un grand nombre d’entreprises publiques. N’est-ce pas la preuve qu’un certain nombre de dirigeants ne souhaitent pas la transparence des revenus tirés du pétrole ou des mines ?

Vous avez raison. La mobilisation de la société civile doit finir par démontrer aux gouvernements qu’ils ont intérêt à la transparence.

Pour revenir à une note plus positive, comment, pour reprendre une expression du rapport, peut-on débloquer les potentiels pour les générations futures ?

Avec tout ce que nous venons de dire… Il faut appuyer sur la transparence, la lutte contre l’évasion fiscale et la dilapidation des richesses par une minorité. Pour donner les moyens à l’éducation, à la création d’emplois. Permettre aux pays africains d’apporter de la valeur ajoutée dans un continent qui n’exporte bien souvent que des matières premières non transformées.

Il faut comprendre qu’il existe une véritable fenêtre d’opportunités actuellement.

Qu’attendez-vous de ce rapport ? Comment allez-vous l’utiliser pour influer positivement ?

Il faut que ces réalités soient connues et il faut comprendre qu’il existe une véritable fenêtre d’opportunités actuellement. C’est aujourd’hui que cela se passe.


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