Florizelle Liser : « L’Afrique a tout à gagner à multiplier les partenaires »
Florie Liser, 61 ans, a succédé en 2003 à Rosa Whitaker au poste de représentante adjointe des États-Unis pour le commerce extérieur chargée de l’Afrique subsaharienne. Elle répond à « Jeune Afrique ».
Représentante adjointe des États-Unis pour le commerce extérieur chargée de l’Afrique subsaharienne depuis 2003, Florie Liser, 61 ans, y conduit la politique commerciale américaine, en particulier dans le cadre de la Loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (Agoa, African Growth and Opportunity Act), ainsi que les négociations des accords bilatéraux de commerce et d’investissements.
Jeune Afrique : Quelle est la politique commerciale des États-Unis en Afrique subsaharienne ?
Florizelle Liser : En juin 2012, le président Obama a adopté une nouvelle politique en faveur de la démocratie, du développement du libre-échange et des investissements, de l’assistance économique pour favoriser la croissance, ainsi que de l’aide au développement. Toutes les agences américaines mettent en œuvre cette politique, menée selon une approche globale, et qui conduit notre relation avec les pays d’Afrique subsaharienne pour cinq ans.
En quoi le commerce est-il l’un des principaux leviers de développement ?
L’Afrique génère 3 % du commerce mondial. Si le continent parvenait à augmenter cette part ne serait-ce que de 1 %, cela générerait des revenus équivalents à trois fois l’aide publique annuelle dont il bénéficie. L’un des principaux défis est de développer le secteur industriel pour augmenter la valeur ajoutée. C’est pourquoi nos programmes d’aide visent à améliorer la chaîne de valeur et à augmenter les exportations.
L’Agoa bénéficie surtout aux pays producteurs d’hydrocarbures. Cela veut-il dire que l’industrie africaine n’a que peu d’avenir ?
Les pays africains ont besoin de plus de temps pour libéraliser leurs marchés
Les exportations africaines d’hydrocarbures ont considérablement progressé ces dernières années et la tendance va se poursuivre avec l’entrée en production de nouveaux pays, comme le Ghana et la Tanzanie. Mais nous disons à nos partenaires de ne pas s’intéresser qu’à l’essor des gisements pétroliers, de développer les autres secteurs et que c’est l’opportunité que leur offre l’Agoa. Depuis sa mise en place, les exportations hors hydrocarbures ont plus que triplé et une multitude de secteurs en profitent, comme l’agroalimentaire, le textile et la confection de chaussures. Aujourd’hui, l’Éthiopie est le 25e fournisseur de chaussures des États-Unis et le Lesotho son premier fournisseur africain de vêtements [pour une valeur de 300 millions de dollars en 2012, NDLR].
Si vous étendez le mécanisme de l’Agoa aux pays asiatiques en 2015, les Africains pourront-ils les concurrencer ?
Cette décision n’a pas été encore prise, les études sont en cours pour étudier l’impact d’une telle mesure, sachant que certains pays, comme le Bangladesh et le Cambodge, sont déjà très compétitifs dans le secteur du textile. Quant aux pays africains, si certains sont déjà armés pour la compétition mondiale, d’autres ont besoin de plus de temps pour libéraliser leurs marchés et améliorer leur compétitivité, c’est pourquoi nous souhaitons prolonger l’Agoa au-delà de 2015.
Le volume global des échanges entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne est tombé à 72 milliards de dollars en 2012 contre 95 milliards en 2011. Pourquoi ?
Ce déclin est lié à la conjoncture économique mondiale, mais les échanges progressent à nouveau depuis le début de 2013. En Afrique, les coûts de main-d’œuvre sont faibles, les transferts de technologie sont en cours et, suivant l’exemple des pays d’Asie et d’Amérique latine, le continent augmentera ses parts de marché au niveau mondial : l’Afrique du sud est déjà un producteur de véhicules de marque, comme BMW, l’Éthiopie est devenu un important exportateur de graines pour les oiseaux, d’autres, comme le Kenya, sont de grands exportateurs de fleurs coupées.
Le Ghana, qui s’est lancé dans l’habillement, a mis en place des zones franches et des facilités pour les investisseurs, le Lesotho a une industrie textile très développée… Tous peuvent faire mieux à condition de réduire leurs coûts de production (énergie, logistique, transport, etc.), leurs barrières douanières et d’améliorer l’environnement du commerce.
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Croyez-vous au grand retour de la Côte d’Ivoire sur la scène commerciale ?
La Côte d’Ivoire est une locomotive en Afrique francophone. Beaucoup d’entreprises qui avaient fermé durant la crise ont repris leurs activités, d’autres se sont créées. J’ai visité l’an dernier une industrie moderne de transformation chocolatière à Abidjan. En Côte d’Ivoire comme dans le reste de l’Afrique, l’industrie agroalimentaire (fruits frais, jus, conserves) a un potentiel important et je suis optimiste. Les États en reconstruction doivent porter toute leur attention sur l’amélioration du droit des affaires et la bonne gouvernance pour favoriser les investissements.
Pensez-vous que la montée en puissance des entreprises chinoises va freiner l’essor des entreprises africaines ?
Les temps ont changé. L’Afrique compte les pays qui présentent les croissances les plus rapides au monde et le meilleur retour sur investissement, avec des opportunités pour les entrepreneurs nationaux comme pour les entreprises étrangères. Elle n’est plus dans une relation bilatérale et a tout à gagner à multiplier ses partenaires : États-Unis, Europe, Brésil, Malaisie, Chine, Inde, Turquie… À condition, bien sûr, d’améliorer son environnement des affaires, de lutter contre la corruption, de favoriser le transfert de technologie et de chercher à gagner en valeur-ajoutée.
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Propos recueillis par Pascal Airault
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