Mauritania Airways : le rapport qui accuse Tunisair
Plus de un an après la mise en liquidation judiciaire de la compagnie aérienne, les anciens actionnaires se déchirent. Le groupe Bouamatou SA met lourdement en cause l’ancienne direction tunisienne.
À peine sorti de prison, le 9 mai dernier, Mohamed Debagh, vice-président du groupe Bouamatou SA (BSA), a contre-attaqué. Incarcéré pendant trois mois dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de Mauritania Airways, le dernier président du conseil d’administration de la défunte compagnie met en cause Tunisair avec de nouveaux éléments. Un rapport d’audit du cabinet français Gaudino, commandé par BSA et dont Jeune Afrique a obtenu copie, révèle des éléments plus que troublants sur l’ancienne direction missionnée par la compagnie tunisienne, propriétaire de 51 % du capital de Mauritania Airways aux côtés de BSA (39 %) et de l’État mauritanien (10 %).
PRÊTRE-NOMS. Un document déjà ancien – il date d’octobre 2011 -, mais qui porte de lourdes accusations. Selon lui, le loueur d’avions JetClub AG aurait ainsi empoché indûment 8,3 millions d’euros. En 2008, la petite société suisse, ne détenant aucun appareil en propre, aurait sous-loué à Tunisair un Airbus A320 refacturé ensuite à Mauritania Airways (voir ci-contre). Cela pour 11,6 millions d’euros, alors qu’elle le louait elle-même 3,4 millions d’euros – maintenance, assurance et personnel compris. Une somme jugée bien plus élevée qu’il est d’usage. Selon les experts interrogés par J.A., le tarif normal aurait dû se situer entre 2 et 3,5 millions d’euros. Dissous peu de temps après cette opération, fin 2009, JetClub AG était administré par des prête-noms, et son actionnariat réel reste encore inconnu. Le cabinet Gaudino estime que la société suisse (qui n’a rien à voir avec le loueur anglais JetClub International) aurait en réalité servi de société écran au profit de dirigeants de Tunisair de l’époque. Gaudino dénonce également la signature d’autres contrats d’affrètement défavorables à Mauritania Airways, à l’insu des actionnaires minoritaires, le paiement de per diem non dus au personnel navigant et dirigeant issu de Tunisair et la dissimulation de 5,4 millions d’euros de pertes pour l’exercice 2009.
En 2008, JetClub AG aurait empoché indûment 8,3 millions d’euros pour un Airbus A320 refacturé à la société mauritanienne.
Interrogée par J.A., la nouvelle équipe dirigeante de la compagnie tunisienne (la direction générale a été renouvelée deux fois depuis la révolution), menée depuis mars 2012 par Rabah Jerad, fait profil bas. « Dans cette affaire, Tunisair est le premier perdant en tant que premier actionnaire », rétorque Néjia Gharbi, secrétaire générale du groupe, chargée du dossier. Elle rappelle « le contexte économique difficile de l’époque, aggravé par l’inscription de l’aviation civile mauritanienne sur la liste noire de l’Union européenne en 2010 », entraînant l’arrêt des vols vers l’Europe. Sans entrer dans les détails du rapport Gaudino, Néjia Gharbi affirme que l’analyse serait fausse : « Ces accusations ont été infirmées par une contre-expertise du cabinet français Fidal, engagé par nos soins. Ce dernier a notamment montré qu’il n’y avait aucune preuve comptable de malversations », affirme-t-elle. Malgré les demandes répétées de J.A., Tunisair s’est refusé à communiquer le rapport de Fidal, arguant de sa confidentialité dans le cadre de la procédure judiciaire en cours en Mauritanie.
Parti rejoindre Mohamed Ould Bouamatou à Marrakech à sa sortie de prison, Mohamed Debagh est revenu le 30 mai 2013 à Nouakchott. Le numéro deux du groupe privé le plus important de Mauritanie espère cette fois obtenir gain de cause, le contexte politique étant à présent plus favorable. À ce jour, Mohamed Debagh est en effet la seule personne incriminée dans cette affaire. Pourtant, « c’est Tunisair qui dirigeait de fait la société, avec quatre administrateurs sur sept, un directeur général, et des chefs de service tous membres de son personnel », souligne-t-il. Avant d’expliquer ses difficultés pour des raisons politiques : premier patron du pays, président de l’opérateur téléphonique Mattel et de la Générale de banque, Mohamed Ould Bouamatou a financé la campagne électorale de Mohamed Ould Abdelaziz, l’actuel président mauritanien, en juillet 2009. Avant de se brouiller avec lui par la suite, s’exilant en 2010 au Maroc. « Mon emprisonnement, le 5 février 2013, près de un an après la mise en liquidation, le 8 mars 2012, est concomitant avec l’offensive des services de l’État à l’encontre du groupe Bouamatou, dont je suis le vice-président », indique Debagh. Qui s’interroge aussi sur la fuite des dirigeants (tunisiens) de Mauritania Airways en janvier 2011.
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MENACE. L’ancien président du conseil d’administration demande aujourd’hui pourquoi Moncef Badis et Redha Jemaiel, respectivement premier et second directeurs généraux de Mauritania Airways, ne sont toujours pas inquiétés : le premier est à la retraite en Tunisie, le second représente Tunisair à Alger. Quant à Nabil Chettaoui, le PDG de Tunisair à l’époque, il a été limogé après la révolution, mais coule des jours sereins à Tunis. « La fuite de la direction de Mauritania Airways issue de Tunisair est due à la menace d’actions violentes du personnel à son encontre, elle n’avait pas d’autre choix », fait valoir Néjia Gharbi. À ce jour, malgré les éléments contenus dans le rapport Gaudino, BSA n’a entamé aucune procédure judiciaire contre Tunisair. Mohamed Debagh n’entend pas en rester là : « Nous comptons dénoncer les abus des gestionnaires de l’époque, récupérer les commissions perçues sur le contrat JetClub, passé en toute opacité, et amener Tunisair à combler le passif de Mauritania Airways. »
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