Dossier communication : les multinationales veulent mener la danse
Attentifs à l’intérêt que le continent suscite chez leurs clients, les leaders mondiaux de la com intensifient leur développement au sud du Sahara. Sur place, des agences locales ont déjà pris les devants.
Média : les multinationales veulent mener la danse
À 71 ans, Maurice Lévy, l’inamovible PDG de Publicis, a fait du développement de son groupe en Afrique l’un de ses derniers objectifs avant de céder son fauteuil. En septembre 2012, l’entreprise a annoncé sa réorganisation sur le continent avec la création de trois hubs au Kenya, en Afrique du Sud et au Ghana. Dans la zone francophone, le numéro trois mondial de la com a parallèlement officialisé son association avec le réseau AG Partners pour la représentation des trois entités internationales du groupe, Publicis Worldwide, Leo Burnett et Saatchi & Saatchi. « Le temps de l’Afrique est venu, nous observons des signaux constants de croissance positive et d’investissements importants de la part de nos clients internationaux, et ce dans tous les secteurs. C’est la raison de notre action simultanée sur tout le continent », a déclaré Kevin Tromp, patron de Publicis Africa Group.
Une analyse partagée par d’autres grands réseaux mondiaux comme BBDO, qui a ouvert fin 2011 et mi-2012 des bureaux au Nigeria puis au Kenya, et est déjà annoncé par certains observateurs en Côte d’Ivoire. « Le potentiel du continent ne peut être ignoré », expliquait Chris Thomas, PDG de BBDO pour l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique, lors de l’inauguration de ses locaux à Lagos. Selon Guillaume Pierre, de Canal France International, si le marché publicitaire représente actuellement 0,5 % du PIB dans les pays subsahariens – contre 1,5 % en France -, il offre de formidables perspectives de croissance. Entre 2012 et 2015, on attend par exemple une hausse des investissements de 27 % en RD Congo, l’un des marchés les plus recherchés d’Afrique centrale.
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Classe moyenne
Avec des clients comme Pepsi-Cola, Blackberry, Emirates, Johnson & Johnson, HP, FedEx et Mercedes Benz, BBDO illustre parfaitement l’évolution d’un secteur fortement stimulé par l’émergence d’une classe moyenne dans des pays comme le Gabon, le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. Plus encore que les fabricants de sodas, de bouillon en cubes et de produits ménagers, ce sont les opérateurs télécoms qui constituent le principal pourvoyeur d’affaires du secteur – ils représentent de 30 % à 40 % du total des investissements publicitaires. Au Mali, Sotelma (groupe Maroc Télécom) et Orange dépensent à eux deux environ 450 000 euros par mois en achat d’espaces tous médias confondus, d’après les estimations de la société sénégalaise Omedia.
Assurer la communication d’un opérateur suffit à hisser une agence parmi les leaders de la place. C’est le cas de McCann, qui travaille pour Orange à Dakar, ou encore de MW DDB et d’Ocean Ogilvy, chargés respectivement des campagnes de MTN et de Bharti sur l’ensemble des pays francophones où ces groupes sont présents. Et si le japonais Dentsu, via son partenariat avec le saoudien Drive, s’est implanté fin 2011 à Abidjan, c’est à la demande de l’émirati Etisalat, qui lui a confié la communication de sa marque locale Moov.
Mais s’établir sur le continent n’est pas en soi une garantie de succès pour les groupes occidentaux. Havas Media, filiale du français Bolloré notamment présente à Dakar, met ainsi plus de temps que prévu à concrétiser ses ambitions malgré la présence dans son portefeuille de clients comme Air France ou Accor. Au départ spécialisée dans l’achat d’espaces, elle a même dû généraliser son offre pour mieux coller aux besoins du marché.
Fibre nationaliste
Face à l’offensive des géants mondiaux de la communication, certaines agences locales continuent de tenir les premiers rangs, de Dakar à Kinshasa, revendiquant notamment leur compréhension des attentes locales. Au Sénégal, la réussite fulgurante de Bougane Guèye, patron de Dak’Cor, alimente ainsi les conversations. Un acteur d’autant plus dérangeant pour ses concurrents qu’il n’hésite pas à casser les prix et à jouer sur la fibre nationaliste pour inciter les entreprises locales à lui faire confiance. Au-delà de la publicité, cet ancien journaliste a développé un modèle ultra-diversifié intégrant une régie publicitaire et un groupe de presse (télévision, radio, presse écrite).
Au Maghreb, un marché en berne
Sale temps pour la publicité au Maghreb. Si le marché marocain demeure le plus développé de la région – 619 millions d’euros d’investissements en 2012, loin devant l’Algérie (120 millions d’euros) et la Tunisie (89 millions) -, la crise a fini par rattraper les entreprises locales, et les budgets consacrés à la publicité ont accusé une baisse de 10 % en un an, tous médias confondus. Du fait de son moindre coût, seul l’affichage tire son épingle du jeu (245 millions d’euros), devançant pour la première fois la télévision. Chez ses voisins, c’est cette dernière qui rafle la mise, avec 57 millions et 52 millions d’euros investis respectivement en Algérie et en Tunisie. « À Tunis, le nombre de médias a explosé après la fuite de Ben Ali, et l’offre d’espace publicitaire a considérablement augmenté. Mais les grands annonceurs étant liés au pouvoir en place, il y a eu une contraction du marché qui s’est traduite par une baisse de l’investissement en 2011. En 2012, le marché publicitaire a retrouvé son niveau d’avant les événements avec l’entrée en scène de nouveaux annonceurs », explique Hassen Zargouni, directeur général de Sigma Conseil. En 2013, la tendance s’est de nouveau inversée, avec une baisse de 33 % au premier trimestre. « Il s’agit désormais d’une crise structurelle : la réalité du marché s’est imposée à tous, avec une inflation à 6,5 % et un pouvoir d’achat en berne. Mais cela crée une nouvelle manière d’envisager la publicité, et c’est internet qui va en sortir gagnant », pronostique-t-il. Fanny Rey
Une approche globale également adoptée par Fabrice Sawegnon, fondateur de Voodoo à Abidjan. Présente sur sept marchés de la sous-région, l’agence, qui revendique un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros, a investi dans l’affichage, la presse et a dans ses cartons un projet de télévision. Mais sa réputation repose avant tout sur la créativité de ses campagnes. « Notre stratégie consiste désormais à créer nos propres marques pour ne pas dépendre de l’extérieur. C’est le cas de l’offre mobile Life cocréée avec Orange, qui reprend le nom de notre magazine et de notre boîte de nuit », explique le patron de Voodoo. Les responsables politiques ont été sensibles à cette réussite. En 2010, Fabrice Sawegnon s’est par exemple illustré en signant la campagne du futur président Alassane Ouattara.
Alliances
Les acteurs locaux ne tiennent cependant pas tous à conserver leur indépendance coûte que coûte. « Devenir partenaire d’un grand réseau, c’est aussi la possibilité de partager des expériences et de grandir. Si Publicis s’intéresse à nous, pourquoi pas ? » réagit Didier M’Pambia, cofondateur d’Optimum, en RD Congo. Sur un marché où les agences généralistes dominent, ces alliances permettent souvent aux acteurs locaux de monter en compétences. « Le secteur manque encore de professionnels bien formés, notamment chez les créatifs », confirme Olivier Mourgaye, directeur du développement d’Ocean Ogilvy.
De fait, encore beaucoup d’entreprises telles que le groupe agroalimentaire Patisen ou Senegal Airlines préfèrent concevoir leur com en interne. Et si l’utilisation des nouveaux médias fait une percée, beaucoup de start-up spécialisées ont d’abord été créées à l’initiative de techniciens et manquent d’une approche marketing. Autre frein au développement du marché publicitaire : l’amateurisme des régies des médias africains, pour la plupart incapables de donner des informations fiables sur leur audience et, dans le cas des télévisions ou des radios, d’établir des grilles de programmes à l’avance. Dans ces conditions, difficile pour les annonceurs de mesurer l’efficacité de leurs campagnes, et l’immobilisme des agences n’arrange rien. « C’est à elles de se fédérer pour mieux négocier avec les médias », estime Christophe Gondry, directeur général d’Omedia.
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